Avant de terminer cet article, nous tenterons encore de détruire une erreur fort répandue, touchant l'établissement des léproseries. On a prétendu que la lèpre avait été rapportée d'Orient en Occident au moment des croisades; mais, ainsi que nous l'avons dit plus haut, il y avait, du temps de Mathieu Pâris, 19,000 ladreries en Europe, la plupart bâties dans des contrées qui n'avaient eu aucun rapport avec l'Orient. De plus, des 300,000 hommes conduits en Orient par le frère de Philippe 1er, 5,000 à peine parvinrent en Palestine, et très-peu revinrent en Europe. De l'armée de l'empereur Conrad III, il ne resta qu'un bien petit nombre de croisés en état de revoir leur patrie. Louis le Jeune et Richard Coeur-de-Lion revinrent presque seuls de Palestine. Comment donc ces armées, qui furent englouties en Orient, auraient-elles pu rapporter et répandre la lèpre en Occident, de manière qu'on fût obligé de fonder 19,000 maisons pour soigner les lépreux? Sans entrer dans une discussion qui ne serait pas à sa place ici, à propos de l'invasion de cette maladie en Europe et particulièrement en France, on peut toutefois reconnaître comme certain qu'elle existait. bien avant les croisades 67.
Voici la liste des principaux hôpitaux fondés à Paris du VIIe au XVIe siècle:
Hôtel-Dieu, fondé, dit la tradition. par saint Landry (VIIe siècle).
Hôpital des Haudriettes, fondé sous Clovis, et où l'on prétend que mourut sainte Geneviève. Au XIIIe siècle, la famille Haudry reconstruisit cet établissement.
Hôpital de Saint-Gervais, fondé par Gatien Masson, prêtre, en 1171, la chapelle de cet hôpital ne fut dédiée qu'en 1411.
Hôpital de Sainte-Catherine, appelé primitivement de Sainte-Opportune (1180 environ), La chapelle fut construite en 1222, puis réparée en 1479.
Hôpital de la Sainte-Trinité, rue Saint-Denis, fondé par les deux frères Escuacol en 1202. Cet hôpital possédait une fort belle salle pour coucher les pauvres. En 1210, on y ajouta une chapelle. Les enfants des pauvres étaient recueillis et élevés dans l'établissement. Cet hôpital fut successivement augmenté jusqu'en 1598.
Hôpital des Quinze-Vingts, fondé par saint Louis en 1254.
Hôpital de Saint-Marcel (anciennement de l'Oursine), fondé par Marguerite de Provence après la mort de saint Louis.
Hôpital des Jacobins, fondé en 1263. En 1366, Jeanne de Bourbon, femme de Charles V, l'augmenta.
Hôpital de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, fondé par Philippe IV en 1286.
Hôpital tenant au prieuré de la Charité (Notre-Dame-des-Billettes), fondé par le bourgeois de Paris Roger Flamming, en 1299.
Hôpital Saint-Jacques-aux-Pèlerins, rue Saint-Denis, fondé en 1315 par Louis X. La chapelle fut terminée en 1323.
Hôpital Saint-Julien-aux-Ménétriers, fondé par deux ménétriers en 1330. En 1334, les fondateurs augmentèrent cet hôpital par l'acquisition de plusieurs maisons voisines.
Hôpital du Saint-Sépulcre, fondé par Philippe de Valois en 1333.
Hôpital du Saint-Esprit, fondé en 1361 pour les enfants.
Hôpital conventuel ou commanderie du Petit-Saint-Antoine, fondé en 1368, sous Charles V.
Il existait encore, en dehors de ces établissements, dans un grand nombre de communautés et dans les paroisses, des maisons ou salles pour les malades, les pauvres et les pèlerins.
HÔTELLERIE. Il existait, à l'époque gallo-romaine, sur les grands chemins, des hôtelleries à distances assez rapprochées pour que le voyageur pût trouver un gîte à la fin de chaque journée. Ces auberges, mansions, étaient de grandes hôtelleries dans lesquelles on trouvait des chevaux de poste, un gîte, à boire et à manger. Elles servaient d'étapes pour les soldats et étaient placées sous la surveillance d'inspecteurs, frumentarii et curiosi, qui veillaient à leur bonne tenue et qui étaient chargés d'espionner les voyageurs. Les hôtelleries devenaient ainsi des lieux utiles à la police secrète des préfets du prétoire, et cependant, pour avoir droit de gîte dans les mansions, il fallait se munir d'une sorte de carte de circulation, diploma tractatorium. D'ailleurs, les mansions servaient de gîte non-seulement aux simples particuliers et aux soldats, mais aux magistrats et préteurs en tournée, et à l'empereur lui-même lorsqu'il voyageait. C'est dans une mansion du pays des Sabins que Titus fut pris de la fièvre dont il mourut peu de jours après. S'il fallait montrer sa carte de circulation pour coucher dans une mansion, à plus forte raison ne pouvait-on se procurer des chevaux de relais qu'avec des lettres de poste.
Après l'invasion des barbares, cette institution des hôtelleries impériales fut, bien entendu, entièrement ruinée. Les races germaines pratiquaient largement l'hospitalité. Un Franc, un Bourguignon, ne croyaient pas pouvoir refuser l'entrée de sa maison à un étranger; aussi, dans les voyages, pendant les premiers siècles du moyen âge, avait-on pour habitude, à chaque couchée, de demander le gîte et la nourriture dans les habitations que l'on rencontrait sur son chemin. Si le propriétaire auquel on s'adressait était trop pauvre ou trop à l'étroit pour pouvoir vous satisfaire, il vous accompagnait chez un voisin mieux partagé, et tous ensemble prenaient leur repas. «Aucune autre nation, dit Tacite en parlant des Germains 68, n'accueille ses convives et ses hôtes avec plus de générosité; fermer sa maison a une personne, quelle qu'elle fût, serait un crime 69. Selon sa fortune, chacun reçoit l'hôte, offre un repas; et lorsque les provisions sont épuisées, celui qui, tout à l'heure, recevait, indique un autre asile et y conduit: ils entrent chez ce nouvel hôte sans invitation, et sont accueillis avec une égale bonté: connus, inconnus, sont, quant aux droits d'hospitalité, traités avec les mêmes égards.» En faisant la part de l'exagération dans le tableau tracé par Tacite, il est certain toutefois que les conquérants barbares des Gaules regardaient l'hospitalité comme un devoir dont on ne pouvait s'affranchir.
Cependant, du temps de Grégoire de Tours, il existait des auberges, puisqu'il en signale quelques-unes. Les établissements monastiques répandus sur le sol des Gaules dès le IXe siècle exerçaient l'hospitalité, et dans les abbayes ou prieurés des XIe et XIIe siècles il est toujours fait mention de la maison des hôtes, bâtie proche la porte d'entrée. Il n'en existait pas moins, au XIIe siècle, un nombre prodigieux d'hôtelleries sur les grands chemins et dans les faubourgs des villes, et ces hôtelleries, moins bien surveillées que ne l'étaient celles du temps de l'Empire, étaient le refuge des voleurs, des assassins, des femmes perdues, des joueurs et des débauchés. La légende de l'Enfant prodigue le représente toujours, à cette époque, dans une hôtellerie, au milieu de femmes qui l'enivrent et lui dérobent son argent. Courtois d'Arras est dépouillé dans une auberge où on lui présente tout ce qui peut séduire un jeune homme: car les hôtelleries alors étaient bien garnies, pourvues de bons lits mous de plumes, de bon vin à foison, souvent frelaté cependant, de volaille et de venaison; des filles étaient attachées à l'établissement et servaient d'appât pour attirer, retenir et dépouiller les voyageurs.
Au XIIIe