Jusqu'alors cependant, les arcatures basses, qu'elles appartiennent à un monument riche ou à une église de petite ville, sont à peu de chose près semblables. Mais vers 1245, au moment où l'architecture ogivale arrivait à son apogée, les arcatures, dans les édifices bâtis avec luxe, prennent une plus grande importance, s'enrichissent de bas-reliefs, d'ornements, d'ajours, tendent à former sous les fenêtres une splendide décoration, en laissant toujours voir le nu des murs dans les entre-colonnements; ces murs eux-mêmes reçoivent de la peinture, des applications de gaufrures ou de verres colorés et dorés. La Sainte-Chapelle haute du Palais à Paris nous offre le plus bel exemple que l'on puisse donner d'une série d'arcatures ainsi traitées (8).
Alors, dans les édifices religieux, le parti adopté par les constructeurs ne laissait voir de murs que sous les appuis des fenêtres des bas côtés; toute la construction se bornant à des piles et des vides garnis de verrières, on conçoit qu'il eût été désagréable de rencontrer sous les verrières des bas-côtés, à la hauteur de l'oeil, des parties lisses qui eussent été en désaccord complet avec le système général de piles et d'ajours adopté par les architectes. Ces arcatures servaient de transition entre le sol et les meneaux des fenêtres en conservant cependant par la fermeté des profils, l'étroitesse des entre-colonnements et les robustes saillies des bancs, une certaine solidité d'aspect nécessaire à la base d'un monument. Les bas côtés de la cathédrale de Reims, quoique pourvus de ces larges bancs avec marche en avant, n'ont jamais eu, ou sont dépouillés de leur arcature; aussi, est-on choqué de la nudité de ces murs de pierre sous les appuis des fenêtres, nudité qui contraste avec la richesse si sage de tout l'intérieur de l'édifice. Pour nous, il n'est pas douteux que les bas côtés de la cathédrale de Reims ont dû être ou ont été garnis d'arcatures comme l'étaient autrefois ceux de la nef de l'église abbatiale de Saint-Denis, les parties inférieures de ces deux nefs ayant les plus grands rapports. Nous donnons ici (9) l'arcature basse de la nef de l'église de Saint-Denis, dont tous les débris existent encore dans les magasins de cet édifice, et dont les traces sont visibles sur place. Disons en passant que c'est avec quelques fragments de cette arcature que le tombeau d'Héloïse et d'Abailard, aujourd'hui déposé au Père-Lachaise, a été composé par M. Lenoir, dans le musée des Petits-augustins.
Il ne faudrait pas croire que les arcatures ont suivi rigoureusement la voie que nous venons de tracer, pour atteindre leur développement; avant d'arriver à l'adoption de la courbe en tiers-point on rencontre des tâtonnements, car c'est particulièrement pendant les périodes de transition que les exceptions se multiplient. Nous en donnerons une qui date des premières années du XIIIe siècle, et qui peut compter parmi les plus originales; elle se trouve dans les bas côtés de l'église de Montier-en-Der (Haute-Marne) (10), charmant édifice rempli de singularités architectoniques, et que nous aurons l'occasion de citer souvent.
Vers la fin du XIIIe siècle, les arcatures basses, comme tous les autres membres de l'architecture ogivale s'amaigrissent; elles perdent l'aspect d'une construction. d'un soubassement, qu'elles avaient conservé jusqu'alors, pour se renfermer dans le rôle de placages. Le génie si impérieusement logique qui inspirait les architectes du moyen âge, les amena bientôt en ceci comme en tout à l'abus. Ils voulurent voir dans l'arcature d'appui la continuation de la fenêtre, comme une allége de celle-ci. Ils firent passer les meneaux des fenêtres à travers la tablette d'appui, et l'arcature vint se confondre avec eux.
Dès lors la fenêtre semblait descendre jusqu'au banc inférieur; les dernières traces du mur roman disparaissaient ainsi, et le système ogival s'établissait dans toute sa rigueur (11). Cet exemple tiré des bas côtés du choeur de la cathédrale de Sées, date des dernières années du XIIIe siècle. Toutefois, les petits pignons ménagés au-dessus des arcs donnent encore à ces soubassements une décoration qui les isole de la fenêtre, qui en fait un membre à part ayant son caractère propre, tandis que plus tard, au commencement du XIVe siècle, comme dans le choeur de l'église Saint-Nazaire de Carcassonne, l'arcature basse en se reliant aux meneaux des fenêtres, adopte leurs formes, se compose des mêmes membres de moulures, répète leurs compartiments (12). Ce n'est plus en réalité que la partie inférieure de la fenêtre qui est bouchée, et par le fait, le mur forcé de se retraiter à l'intérieur au nu des vitraux, pour laisser la moitié des meneaux se dégager en bas-relief, ne conserve plus qu'une faible épaisseur qui équivaut à une simple cloison. Il était impossible d'aller plus loin. Pendant les XIVe et XVe siècles, les arcatures basses conservent les mêmes allures, ne variant que dans les détails de l'ornementation suivant le goût du moment.
On les voit disparaître tout à coup vers le milieu du XVe siècle, et cela s'explique par l'usage alors adopté de garnir les soubassements des chapelles de boiseries plus ou moins riches. Avec les arcatures disparaissent également les bancs de pierre, ceux-ci étant à plus forte raison remplacés par des bancs de bois. Des moeurs plus raffinées, l'habitude prise par les familles riches et puissantes ou par les confréries, de fonder des chapelles spéciales pour assister au service divin, faisaient que l'on préférait les panneaux de bois et des siéges bien secs, à ces murs et à ces bancs froids et humides.
Nous ne pouvons omettre parmi les arcatures de rez-de-chaussée, les grandes arcatures des bas côtés de la cathédrale de Poitiers. Cet édifice (voy. CATHÉDRALE), bâti à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe, présente des dispositions particulières qui appartiennent au Poitou. Les voûtes des bas côtés sont aussi hautes que celles de la nef, et le mur sous les fenêtres, épais et élevé, forme une galerie servant de passage au niveau de l'appui de ces fenêtres. Ce haut appui est décoré par une suite de grandes arcatures plein cintre surmontées d'une corniche dont la saillie est soutenue par des corbelets finement sculptés (13). Des arcatures analogues se voient dans la nef de l'église Sainte-Radegonde de Poitiers, qui date de la même époque.
ARCATURES DE COURONNEMENT. Dans quelques églises romanes, particulièrement celles élevées sur les bords du Rhin, on avait eu l'idée d'éclairer les charpentes au-dessus des voûtes en berceau, au moyen d'une suite d'arcatures à jour formant des galeries basses sous les corniches (voy. GALERIE). Les voûtes, en berceau des nefs ou en cul-de-four des absides, laissaient entre leurs reins et le niveau de la corniche convenablement élevée pour laisser passer les entraits des charpentes au-dessus de l'extrados, un mur nu qui était d'un aspect désagréable, et qui de plus était d'une grande pesanteur. (14) Soit la coupe d'une voûte en berceau plein cintre ou en cul-de-four, les fenêtres ne pouvaient se cintrer au-dessus de la naissance A des voûtes, à moins d'admettre des pénétrations, ce qui était hors d'usage; il restait donc de A en B niveau de la corniche, une élévation de mur commandée par la pose de la charpente; on perça ce mur en C par une galerie à jour ou fermée par un mur mince, destinée alors, soit à donner de l'air sous les combles, soit à former comme un chemin