Dans les choeurs des grandes églises bâties pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles, les chapelles présentent généralement en plan une disposition telle que derrière les piles qui forment la séparation de ces chapelles, les murs sont réduits à une épaisseur extrêmement faible (60) à cause de la disposition rayonnante de l'abside.
Si l'on élevait un contre-fort plein sur le mur de séparation de A en B, il y aurait certainement rupture au point C, car c'est sur ce point faible que viendrait se reporter tout le poids de l'arc-boutant. Si on se contentait d'élever un contre-fort sur la partie résistante de cette séparation, de C en B, par exemple, le contre-fort ne serait pas assez épais pour résister à la poussée des arcs-boutants bandés de D en C, en tenant compte surtout de la hauteur des naissances des voûtes, comparativement à l'espace C B. À la cathédrale de Beauvais, la longueur A B de séparation des chapelles est à la hauteur des piles D, jusqu'à la naissance de la voûte comme 1 est à 6, et la longueur C B comme 1 est à 9. Voici donc comment les constructeurs du XIIIe siècle établirent les arcs-boutants du choeur de cette immense église (61).
Pour laisser une plus grande résistance à la culée des contre-forts A C, ils ne craignirent pas de poser la pile A en porte à faux sur la pile B, calculant avec raison que la poussée des deux arcs-boutants supérieurs tendait à faire incliner cette pile A, et reportait sa charge sur son parement extérieur à l'aplomb de la pile B. Laissant un vide entre la pile A et le contre-fort C, ils bandèrent deux autres petits arcs-boutants dans le prolongement des deux grands, et surent ainsi maintenir l'aplomb de la pile intermédiaire A chargée par le pinacle D. Grâce à cette division des forces des poussées et à la stabilité donnée à la pile A et au contre-fort C par ce surcroît de pesanteur obtenu au moyen de l'adjonction des pinacles D et E, l'équilibre de tout le système s'est conservé; et si le choeur de la cathédrale de Beauvais a menacé de s'écrouler au XIVe siècle, au point qu'il a fallu élever de nouvelles piles entre les anciennes dans les travées parallèles, il ne faut pas s'en prendre au système adopté, qui est très-savamment combiné, mais à certaines imperfections dans l'exécution, et surtout à l'ébranlement causé à l'édifice par la chute de la flèche centrale élevée imprudemment sur le transsept avant la construction de la nef. D'ailleurs, l'arc-boutant que nous donnons ici appartient au rond-point dont toutes les parties ont conservé leur aplomb. Nous citons le choeur de Beauvais parce qu'il est la dernière limite à laquelle la construction des grandes églises du XIIIe siècle ait pu arriver. C'est la théorie du système mise en pratique avec ses conséquences même exagérées. Sous ce point de vue, cet édifice ne saurait être étudié avec trop de soin. C'est le Parthénon de l'architecture française; il ne lui a manqué que d'être achevé, et d'être placé au centre d'une population conservatrice et sachant comme les Grecs de l'antiquité, apprécier, respecter et vanter les grands efforts de l'intelligence humaine. Les architectes de la cathédrale de Cologne, qui bâtirent le choeur de cette église peu après celui de Beauvais, appliquèrent ce système d'arcs-boutants, mais en le perfectionnant sous le rapport de l'exécution. Ils chargèrent cette construction simple de détails infinis qui nuisent à son effet sans augmenter ses chances de stabilité (voy. CATHÉDRALE). Dans la plupart des églises bâties au commencement du XIIIe siècle, les eaux des chéneaux des grands combles s'égouttaient par les larmiers des corniches, et n'étaient que rarement dirigés dans des canaux destinés à les rejeter promptement en dehors du périmètre de l'édifice (voy. CHÉNEAU); on reconnut bientôt les inconvénients de cet état de choses, et, vers le milieu du XIIIe siècle, on eut l'idée de se servir des arcs-boutants supérieurs comme d'aqueducs pour conduire les eaux des chéneaux des grands combles à travers les têtes des contre-forts; on évitait ainsi de longs trajets, et on se débarrassait des eaux de pluie par le plus court chemin. Ce système fut adopté dans le choeur de la cathédrale de Beauvais (61). Mais on était amené ainsi à élever la tête des arcs-boutants supérieurs jusqu'à la corniche des grands combles, c'est-à-dire bien au-dessus de la poussée des voûtes, comme à Beauvais, ou à conduire les eaux des chéneaux sur ces arcs-boutants au moyen de coffres verticaux en pierre qui avaient l'inconvénient de causer des infiltrations au droit des reins des voûtes. La poussée de ces arcs-boutants supérieurs, agissant à la tête des murs, pouvait causer des désordres dans la construction. On remplaça donc, vers la fin du XIIIe siècle, les arcs-boutants supérieurs par une construction à claire-voie, véritable aqueduc incliné qui étrésillonnait les têtes des murs, mais d'une façon passive et sans pousser. C'est ainsi que furent construits les arcs-boutants du choeur de la cathédrale d'Amiens, élevés vers 1260 (62).
Cette première tentative ne fut pas heureuse. Les arcs-boutants, trop peu chargés par ces aqueducs à jour, purent se maintenir dans le rond-point, là où ils n'avaient à contre-butter que la poussée d'une seule nervure de la voûte; mais, dans la partie parallèle du choeur, là où il fallait résister à la poussée combinée des arcs-doubleaux et des arcs-ogives, les arcs-boutants se soulevèrent, et au XVe siècle on dut bander, en contre-bas des arcs primitifs, de nouveaux arcs d'un plus grand rayon, pour neutraliser l'effet produit par la poussée des grandes voûtes. Cette expérience profita aux constructeurs des XIVe et XVe siècles, qui combinèrent dès lors les aqueducs surmontant les arcs-boutants, de façon à éviter ce relèvement dangereux. Toutefois, ce système d'aqueducs appartient particulièrement aux églises de Picardie, de Champagne et du nord, et on le voit rarement employé avant le XVIe siècle dans les monuments de l'Île-de-France, de la Bourgogne et du nord-ouest.
Voici comment au XVe siècle l'architecte qui réédifia en grande partie le choeur de l'église d'Eu sut prévenir le relèvement des arcs-boutants surmontés seulement de la trop faible charge des aqueducs à jour. Au lieu de poser immédiatement les pieds-droits de l'aqueduc sur l'extrados de l'arc (63), comme dans le choeur de la cathédrale d'Amiens, il établit d'abord sur cet extrados un premier étai de pierre AB. Cet étai est appareillé comme une plate-bande retournée, de façon à opposer une résistance puissante au relèvement de l'arc produit au point C par la poussée de la voûte; c'est sur ce premier étai, rendu inflexible, que sont posés les pieds-droits de l'aqueduc, pouvant dès lors être allégé sans danger. D'après ce système, les à-jour D ne sont que des étrésillons qui sont destinés à empêcher toute déformation de l'arc de E en C; l'arc ECH et sa tangente AB ne forment qu'un corps homogène parfaitement rigide par suite des forces contraires qui se neutralisent en agissant en sens inverse. L'inflexibilité de la première ligne AB étant opposée au relèvement de l'arc, le chaperon FG conserve la ligne droite et forme un second étai de pierre qui maintient encore les poussées supérieures de la voûte; la figure ECHFG présente toute la résistance d'un mur plein sans en avoir le poids. Ces arcs-boutants sont à doubles volées, et le même principe est adopté dans la construction de chacune d'elles.
L'emploi de l'arc-boutant dans les grands édifices exige une science approfondie de la poussée des voûtes, poussée qui, comme nous l'avons dit plus haut, varie suivant la nature des matériaux employés, leur poids et leur degré de résistance. Il ne faut donc pas s'étonner si de nombreuses tentatives faites par des constructeurs peu expérimentés ne furent pas toujours couronnées d'un plein succès, et si quelques édifices périssent par suite du défaut d'expérience de leurs architectes.
Lorsque le goût dominant vers le milieu du XIIIe siècle poussa les constructeurs à élever des églises d'une excessive légèreté et d'une grande élévation sous voûtes, lorsque l'on abandonna partout le système des arcs-boutants primitifs dont nous avons donné des types (fig. 50, 52, 54), il dut y avoir, et il y eut en effet pendant près d'un demi-siècle, des tâtonnements, des hésitations, avant de trouver ce que l'on cherchait: l'arc-boutant réduit à sa véritable fonction. Les constructeurs habiles résolurent promptement le problème