Tamaris. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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moi dont le père était soldat à la batterie des hommes sans peur, je tiens à voir l'emplacement, et, d'après ses récits, je parierais que je le reconnaîtrai!

      – Eh bien, allons-y; mais votre propriété?

      – Ma propriété m'intéresse beaucoup moins. Je la verrai au retour, s'il n'est pas trop tard.

      – Alors, reprit M. Pasquali, il nous faut descendre la côte en ligne droite et suivre le chemin creux de l'Évescat, parce que je suis sûr que les corps français républicains ont dû passer par là pour aller assaillir le fort, pendant qu'une autre colonne partie de la Butte-des-Moulins passait par la Seyne.

      Nous suivîmes pendant vingt minutes le petit chemin bas, ombragé et mystérieux qu'il désignait, puis pendant vingt minutes encore un sentier qui remontait vers des collines, et nous entrâmes à tout hasard dans un bois de pins, de liéges et de bruyère blanche de la même nature que celui du fort. Un sentier tracé par des troupeaux dans le fourré nous conduisit à une palombière. Dix pas plus loin, pénétrant à tour de bras à travers des buissons épineux, nous trouvâmes les débris d'un four à boulets rouges et les buttes régulières bien apparentes de la fameuse batterie; les arbres et les arbustes avaient poussé tout à l'entour, mais ils avaient respecté la terre végétale sans profondeur qui avait été remuée et recouverte de fragments de schiste. Nous pûmes suivre, retrouver et reconstruire tout le plan des travaux et ramasser des débris de forge et de projectiles. En face de nous, à portée de boulet, nous apercevions le fort à travers les branches; un peu plus loin, d'énormes blocs de quartz portés par des collines vertes avaient été soulevés par la nature dans un désordre pittoresque; puis, à la lisière du bois, une vallée charmante d'un aspect sauvage et mélancolique que le soleil bas couvrait d'un reflet violet; les montagnes, la mer au loin; autour de nous, un troupeau de chèvres d'Afrique couleur de caramel, gardées par une belle petite fille de cinq ans, qui, chose fantastique et comme fatale, ressemblait d'une manière saisissante à une médaille du premier consul.

      – Impératrice romaine, m'écriai-je, que diable faites-vous ici?

      – Elle s'appelle Rosine, répondit la mère de l'enfant en sortant des bruyères.

      – Et comment s'appelle l'endroit où vous êtes?

      – Roquille.

      – Et la batterie?

      – Il n'y a pas de batterie.

      – Personne ne vient se promener dans ce bois?

      – Personne; mais on vient là-bas chez moi pour boire de bon lait; en souhaitez-vous? Tenez, voilà une chèvre blonde qui me rapporte un franc par jour. Croyez-vous que c'est là une chèvre!

      Le jour tombait, nous nous fîmes montrer un sentier pour gagner la Seyne à vol d'oiseau. J'y pris congé à la hâte de mon aimable compagnon de promenade. Il rentrait à son bord, c'est-à-dire dans sa maison de citadin, et j'avais à me presser pour ne pas manquer le dernier départ du petit steamer-omnibus qui, à chaque heure du jour, transporte en vingt minutes à Toulon la nombreuse et active population ouvrière et bourgeoise occupée ou intéressée aux travaux des ateliers de construction marine.

      A peine eus-je retrouvé la Florade, qui m'attendait sur le port avec une anxiété à laquelle je ne donnai pas en ce moment l'attention voulue, que je lui parlai de ma découverte et de l'abandon où j'avais trouvé la batterie des hommes sans peur; mais il était distrait, et il n'écoutait pas.

      – Avez-vous enfin vu votre propriété? me dit-il.

      – Non, je n'ai pas eu le temps.

      – Ah! vous n'avez pris alors aucun renseignement sur la valeur de votre lot?

      – Si fait! Est-ce que cela vous intéresse?

      – A cause de vous … oui! Combien ça vaut-il?

      – Quinze mille.

      – Diable! c'est trop cher!

      – Vous croyez? Moi, je n'en sais rien.

      – Je ne discute pas la valeur, du moment que c'est le papa Pasquali…

      – Auriez-vous par hasard l'intention d'acheter?

      – Je l'avais, je ne l'ai plus.

      – Que ne le disiez-vous? Vous auriez fait le prix vous-même.

      – Moi, je n'y entends rien, et je m'en serais rapporté au parrain. Je m'étais imaginé que c'était une affaire de deux ou trois mille francs; mais la différence est trop grande. Je n'ai pas le sou, je n'attends aucun héritage, il n'y faut plus songer.

      – Comment! m'écriai-je en riant, vous êtes Provençal à ce point-là, de penser déjà, vous, marin de vingt-huit ans, à l'achat d'un verger et d'une bastide! Si quelqu'un me semblait devoir être exempt de cette manie locale, c'est vous, le roi du beau pays d'imprévoyance.

      – Aussi, répondit-il, n'était-ce pas pour moi… On a toujours quelque parent ou ami à caser;… mais n'en parlons plus, je chercherai autre chose. – Vous me disiez donc que la fameuse batterie était abandonnée? Je savais cela. J'y ai été, comme vous, à l'aventure, et j'ai vu avec chagrin que le caprice de la pioche du propriétaire peut la faire disparaître d'ici à demain. Les antiquaires cherchent avec amour sur nos rivages les vestiges de Tauroëntum et de Pomponiana; on a écrit des volumes sur le moindre pan de muraille romaine ou sarrasine de nos montagnes, et vous trouveriez difficilement des détails et des notions topographiques bien exactes sur le théâtre d'un exploit si récent et si grandiose! Aucune administration, aucun gouvernement, même celui-ci, n'a eu l'idée d'acheter ces vingt mètres de terrain, de les enclore, de tracer un sentier pour y conduire, et de planter là une pierre avec ces simples mots: Ici reposent les hommes sans peur!– Ça coûterait peut-être cinq cents francs! – Ma foi, si je les avais, je me payerais ça! Il semble que chacun de nous soit coupable de ne l'avoir pas encore fait! Quoi! tant de braves sont tombés là, et l'écriteau prestigieux qui les clouait à leurs pièces n'est pas même quelque part dans l'arsenal ou dans le musée militaire de la ville?

      – Ah! qui sait, lui dis-je, si, en présence d'un monument fréquenté par les oisifs, le charme serait aussi vif que dans la solitude? Je ne peux pas vous dire l'émotion que j'ai eue là. Je reconstruisais dans ma pensée une série de tableaux qui me faisaient battre le cœur. Je rétablissais la petite redoute, je revoyais les vieux habits troués des volontaires de la République, et leurs armes, et leurs groupes pittoresques, et leurs bivacs, et la baraque des officiers … peut-être la palombière qui est là auprès dans une petite clairière gazonnée.

      – Et lui! s'écria la Florade, l'avez-vous vu, lui, le petit jeune homme pâle, avec son habit râpé, ses bottes percées, ses longs cheveux plats, son œil méditatif, son prestige de certitude et d'autorité déjà rayonnant sur son front, et cela sans orgueil, sans ambition personnelle, sans autre rêve de grandeur que le salut de la patrie? La plus belle page, la plus belle heure de sa vie peut-être! Mais il est trop beau quand on le voit là, et la foule aime mieux le voir drapé et couronné sur les monuments grecs et romains de l'Empire!

      Tout en causant avec le jeune lieutenant, je commis une grande faute que je me reprocherai toute ma vie. Je ne me bornai pas à lui parler du bon accueil que m'avait fait son parrain, je me laissai entraîner à lui parler avec enthousiasme de la voisine établie depuis peu au petit manoir de Tamaris. Je vis aussitôt ses yeux briller et ses paupières rougir jusqu'aux sourcils.

      – Ah! ah! lui dis-je, vous la connaissiez avant moi?

      – Je vous jure que je n'en ai jamais entendu parler. Il y a deux ou trois mois que je n'ai été voir Pasquali, et vous m'apprenez que le gaillard a une belle voisine; mais je vous réponds bien que, s'il en rêve la nuit, c'est sous la forme d'un poulpe caché entre deux roches. Voyons, voyons! parlez-moi de cette beauté mystérieuse: une grande dame, vous dites?

      – J'ai dit l'air d'une grande dame; mais elle s'appelle d'un nom plébéien.

      – Ça m'est bien égal! il n'y a pour moi de noblesse que celle du type.