Histoire littéraire d'Italie (1. Pierre Loius Ginguené. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Pierre Loius Ginguené
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Жанр произведения: Критика
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les rois.

      Les lettres de ce pontife existent 180. Elles déposent de la hardiesse de ses projets et de la force de son génie, en même temps qu'elles sont des pièces importantes pour l'histoire de la souveraineté temporelle des papes 181. Elles donnent à celui-ci, quant au style, une place peu distinguée dans l'Histoire littéraire. Il n'en a une, comme bienfaiteur des lettres, ou du moins des études, que par l'ordre qu'il donna aux évêques, dans un synode tenu à Rome 182, d'entretenir, chacun dans leurs églises, une école pour l'enseignement des lettres 183; mais il n'entendait par là que ce qu'on avait entendu jusqu'alors: cet enseignement des lettres n'avait rien de littéraire; et l'on ne voit encore là, pour le onzième siècle, aucun avantage sur les précédents.

      C'est à ce siècle, cependant, que les Italiens assignent les premiers mouvements de la renaissance: c'est l'époque qu'ils désignent par le nom de ce siècle même, et qu'ils appellent avec respect le Mille, il Mille. Mais le cours du mal, suspendu seulement par Charlemagne, devenu plus rapide depuis sa mort, était arrivé à l'extrême: il n'y avait, pour ainsi dire, plus de degrés d'ignorance, où les esprits pussent encore descendre. Il fallait qu'ils suivissent enfin cette loi d'instabilité qui les entraîne; que les sciences et les arts sortissent de leurs ruines, et recommençassent à s'élever, jusqu'à ce qu'ayant repris toute leur splendeur, de nouvelles causes ramenassent un jour une dégénération nouvelle.

      Parmi celles qui devaient les faire renaître, il en est qu'on a peu observées, mais qui ne laissèrent pas d'influer puissamment sur l'esprit de ce siècle. C'est, par exemple, une circonstance qui paraît peu importante, que cette opinion de la prochaine fin du monde, répandue par le fanatisme intéressé des moines, et dont les imaginations étaient préoccupées. Cependant on ne saurait croire combien elle fit de mal jusqu'au dernier jour du dixième siècle, et quel bien résulta de l'apparition naturelle, mais inattendue, du jour qui commença le onzième 184. L'horreur toujours présente d'une désolation universelle, fondée sur des prédictions répandues et interprétées par les moines qui en retiraient d'opulentes donations, avait en quelque sorte éteint toute espérance, toute pensée relative à un avenir, où personne ne comptait plus ni exister même de nom, ni revivre dans ses descendants, et dans la mémoire des hommes, tous destinés à périr à-la-fois. Ce désespoir devait ne permettre d'autre sentiment que celui de la terreur; il devait tourner toutes les idées vers une autre vie, et n'inspirer, pour les choses de ce monde, qu'indifférence et abandon. Mais quand le terme fatal fut passé, et que chacun se trouva, comme après une tempête, en sûreté sur le rivage, ce fut comme une vie nouvelle, un nouveau jour, et de nouvelles espérances. Le courage, la force, l'activité durent renaître, et les idées se tourner d'elles-même vers tout ce qui pouvait leur servir de but et d'aliment.

      C'est une circonstance peu remarquée dans un autre genre que d'avoir du papier ou d'en manquer; et cependant plusieurs auteurs graves 185 ont observé que la disette qui s'en fit sentir, au dixième siècle, avait beaucoup contribué à prolonger le règne de la barbarie. Le papyrus d'Égypte, dont on se servait encore, et qui était à fort bon compte, cessa de s'y fabriquer quand les Sarrazins y eurent porté leurs ravages, quand ils y eurent détruit les arts, le commerce, renversé les écoles et brûlé les bibliothèques. Le papier était donc devenu, depuis près de trois siècles, très-rare et très-cher en Occident 186. Le prix du parchemin était au-dessus des facultés, et des particuliers qui pouvaient encore écrire, et des moines. Il en résulta un cruel dommage; les copistes, pour ne pas rester oisifs, effaçaient d'anciens ouvrages écrits sur parchemin, et en écrivaient de nouveaux à la place. Muratori rapporte en avoir vu plusieurs de cette espèce à Milan, dans la bibliothèque Ambroisienne. L'un d'eux contenait les œuvres du vénérable Bède. «Ce qui me parut digne d'une attention particulière, dit-il, c'est que l'écrivain s'était servi de ces parchemins, en effaçant la plus ancienne écriture, pour écrire un livre nouveau. Il restait cependant un grand nombre de mots visibles, et tracés depuis tant de siècles, en caractères majuscules, dont la forme indiquait qu'ils avaient plus de mille ans d'antiquité» 187. Il est vrai que ce livre effacé était un livre d'église, mais on ne peut douter que cette méthode, une fois adoptée par le besoin, ne s'exerçât au moins indifféremment sur le sacré et sur le profane; et rien n'est en même temps et plus douloureux et plus croyable que ce que dit notre savant Mabillon 188, que les Grecs, comme les Latins, manquant de parchemin pour leurs livres d'église, se mirent à effacer les premiers manuscrits qui leur tombaient sous la main, et changèrent des Polybes, des Dion, des Diodore de Sicile, en Antiphonaires, en Pentecostaires, et en recueils d'Homélies. Mais le besoin excite à la fin l'industrie. Dans l'incertitude où sont les érudits sur l'époque précise de l'invention du papier d'Europe, le P. Montfaucon, suivi par Maffei, par Muratori et par d'autres qui font autorité, la fait remonter au onzième siècle 189; et cette invention, l'abondance et le bas prix qui durent en être la suite, peuvent être comptés parmi les heureuses circonstances de cette époque.

      Les guerres et les troubles y furent presque continuels, mais ils eurent en partie pour objet une sorte d'élan vers la liberté qui, pour la première fois depuis tant de siècles, se faisait sentir en Italie. L'extinction de la maison de Saxe 190 lui avait donné l'idée de s'affranchir; et de même que les sentiments vils qu'inspire l'esclavage, énervent et abrutissent l'esprit, de même aussi les affections nobles qui tendent vers la liberté le renforcent et le relèvent. Ce fut vraisemblablement un assez pauvre roi d'Italie, que cet Hardoin, marquis d'Ivrée, qui ne put résister long-temps aux armes de l'empereur Henri de Bavière; mais les évêques, les princes et les seigneurs italiens l'avaient élu 191. Ce mouvement d'indépendance annonçait déjà une révolution heureuse, et ce roi italien dut paraître, et se montra, en effet, ambitieux du titre de restaurateur de sa patrie 192, autant du moins que put le lui permettre le peu de pouvoir dont il jouit. Les guerres civiles entre la noblesse et le peuple de Milan, qui commencèrent alors, causèrent, il est vrai, beaucoup de maux, publics et particuliers; mais tandis que les nobles voulaient, dans d'autres villes, secouer le joug des empereurs, le peuple voulait ici briser celui des nobles. Ces querelles, qui furent longues et obstinées, prouvent que le mouvement gagnait de proche en proche, et devenait universel.

      L'agrandissement du pouvoir des évêques de Rome donnait beaucoup d'importance aux dispositions que chacun d'eux annonçait à l'égard des lettres; et ce siècle s'ouvrit sous le pontificat de Sylvestre II, long-temps célèbre, sous le nom de Gerbert, par son savoir et surtout par son zèle ardent pour les sciences. La France doit s'honorer de l'avoir produit. Il était si savant que, dans ce siècle, qui ne l'était guère, il passa pour magicien, et finit par devenir Pape. C'était un des plus habiles mathématiciens et le plus fort dialectitien de son temps. L'union qu'il établit dans ses écoles, entre ces deux sciences, tandis qu'il professa publiquement, donnait à ses élèves une supériorité marquée; et le savant Bruker ne craint pas de dire, que si, dans le onzième siècle, les ténèbres qui avaient couvert les précédents, commencèrent à se dissiper, on le dut principalement à la méthode de Gerbert, qui joignit aux exercices de la dialectique ceux des sciences mathématiques, et donna ainsi plus de force et de pénétration aux esprits 193.

      Cette même comtesse Mathilde, à qui l'on peut reprocher d'avoir alimenté l'ambition violente et l'audace effrénée de Grégoire VII, d'avoir donné un fondement trop réel à la puissance politique des Papes, et d'avoir trop contribué à élever sur des bases solides ce pouvoir colossal qui, depuis, a si long-temps pesé sur l'Europe, doit être d'ailleurs comptée parmi les causes de cette heureuse révolution des connaissances humaines. Son autorité, plus étendue que ne l'avait été celle


<p>180</p>

Dans la collection des conciles du P. Labbe, t. X.

<p>181</p>

Depuis que ceci est écrit, il a paru un jugement plein d'équité sur ces lettres, sur le caractère, les plans et la conduite de leur auteur, dans l'excellent ouvrage de M. le professeur Heeren, traduit de l'allemand en français, par M. Charles Villers, et qui a partagé, en 1808, le prix proposé par la classe d'histoire et de littérature ancienne de l'Institut de France, sur la belle question de l'influence des croisades. Voyez cet ouvrage, p. 73-90.

<p>182</p>

En 1078.

<p>183</p>

Concil. collect. Harduin. t. VI, part. I, p. 1580, cité par Tiraboschi, t. III. p. 218.

<p>184</p>

Bettinelli, Risorgim. d'Ital., c. 2.

<p>185</p>

Muratori, Antichità Ital., Dissert. 43; Andrès, Orig. Progr. e stat. att. d'ogni Lett., c. 7; Bettinelli, Risorg. d'Ital., c. 2.

<p>186</p>

Muratori, loc. cit.

<p>187</p>

Muratori, loc. cit.

<p>188</p>

De re Diplomaticâ, cité par Bettin., Risorg. d'Ital., c. 2.

<p>189</p>

Voy. Montfaucon, Palœogr. Grœca, l. I, c. 2; le même, tome IX de l'Acad. des Inscr., Dissertation sur le papier; Maffei, Histor. Diplomatica, p. 77; Muratori, Antich. d'Ital., Dissert. 43. Il est vrai que Tiraboschi recule jusqu'au quatorzième siècle, l'invention du pap. de lin; t, V, l. I, c. 4, p. 76.

<p>190</p>

Dans la personne d'Othon III, mort en Italie, à la fleur de son âge, en 1002.

<p>191</p>

À Pavie, cette même année.

<p>192</p>

Bettinelli, Risorg. d'Ital., c. 2, dit expressément: Sicche un italiano poté sembrare, ad ei mostrò voler esser lo, un ristorator della patria.

<p>193</p>

Bruker, Hist. Art. Phil., t. III, l. II, c. 2.