C'est surtout comme historien et comme poète, que Paul Diacre se rendit célèbre: il ne conserve aujourd'hui quelque célébrité que comme historien. Il était cependant (si l'on en veut croire les éloges que Pierre de Pise lui adressait en vers au nom de l'Empereur lui-même), un Homère dans la langue grecque, dans le latin un Virgile, dans l'hébreu un Philon, un Horace en poésie, etc. 142; mais on sait combien il faut rabattre de toutes ces louanges, et Paul nous le dit lui-même, en répondant à Pierre, ou plutôt à Charlemagne, qu'il ne sait point le grec, qu'il ignore l'hébreu, que toute sa gloire dans ces deux langues, consiste en trois ou quatre syllabus qu'il avait apprises dans les écoles 143. Mais peut-être sa modestie exagère-t-elle ici dans le sens contraire, surtout à l'égard du grec. Parmi les ouvrages historiques qu'il a laissés, on distingue principalement son Histoire des Lombards 144. C'est la seule que nous ayons de ces peuples, et quoiqu'elle soit aussi décriée par le défaut de critique, les récits fabuleux et l'inexactitude chronologique, que par son style, on est heureux de l'avoir, puisque sans elle on ignorerait une multitude de faits et de détails importants. Ce prétendu rival d'Horace, composa plusieurs hymnes. Le plus connu, est celui de saint Jean-Baptiste, Ut queant laxis resonare fibris, qui n'est pas un chef-d'œuvre de poésie, mais qui est devenu, comme nous le verrons, une sorte de monument en musique.
Paulin, que l'on nommait le grammairien, dont Charlemagne fit un patriarche d'Aquilée; et dont l'église a fait un Saint, n'était point né en Austrasie ni en Autriche, comme quelques auteurs l'ont prétendu, mais dans le Frioul, où il enseignait depuis long-temps la grammaire, quand Charles s'empara de cette province 145. Il ne suivit point en France le conquérant de l'Italie. Revêtu de l'une des grandes dignités de l'église, il en remplit les devoirs utilement pour son nouveau Souverain. Il fut appelé à tous les synodes que l'Empereur fit assembler en Allemagne, en France et en Italie, et rédigea les décrets de plusieurs. Charles et Alcuin lui-même avaient la plus grande estime pour lui, le consultaient dans les affaires et dans les questions délicates, et l'engagèrent à composer divers ouvrages contre les hérésies de ce temps. Les Italiens et les Français reconnaissent en lui un des hommes qui contribuèrent le plus à entretenir dans Charlemagne l'amour des sciences, et à en répandre le goût par ses discours et par son exemple.
Théodulphe était Goth d'origine et né en Italie. La réputation qu'il y avait acquise dans les lettres, engagea Charlemagne à l'appeler en France. Il lui donna l'évêché d'Orléans, bientôt après l'abbaye de Fleury: il le combla de richesses, d'honneurs et de témoignages de confiance. Théodulphe ne se montra point ingrat pendant la vie de Charles; mais après sa mort il fut enveloppé dans la révolte de Bernard, roi d'Italie, contre Louis-le-Débonnaire, et dans sa ruine. Malgré toutes les protestations qu'il fit de son innocence, il fut arrêté, comme tous les autres évêques qui avaient pris part à cette révolte, et renfermé à Angers dans un couvent; il mourut en 821, au moment où, ayant obtenu sa grâce, ainsi que tous ses complices, il se disposait à retourner dans son évêché. Outre plusieurs ouvrages de sa profession, écrits en prose latine qu'on ne peut lire, on a conservé de lui six livres de vers, tant sacrés que profanes, aussi illisibles que sa prose. Entre plusieurs élégies qu'il composa pendant sa captivité, on en distingue une, qui est devenue un hymne de l'église, et dont les vers sont rimés du milieu à la fin, comme il était déjà d'usage dans cette poésie latine dégénérée. Elle commence par ce vers:
On a prétendu que, s'étant mis à chanter à pleine voix cette élégie dans sa prison, lorsque l'empereur Louis passait dans la rue, ce fut ce qui lui fit obtenir sa liberté: mais c'est une fable sans vraisemblance.
Malgré l'exemple et les travaux de ces savants et de plusieurs autres, répandus dans les différentes parties de l'Italie, l'impulsion donnée aux études par Charlemagne, fut passagère et ne lui survécut pas. Elle eût été plus durable, peut-être dès ce moment l'Italie aurait vu le génie des lettres reprendre son essor, si elle eût été moins profondément ensevelie sous ses propres débris, et si Charlemagne eût fait un plus long séjour au-delà des Alpes. Mais trop d'objets, trop de pays divers, trop de parties de son vaste Empire l'appelaient à la fois; il encouragea, honora et récompensa les savants; le reste il le laissa tout entier à faire, et, malgré le mouvement qu'il avait imprimé aux esprits, ils croupirent long-temps encore, ou plutôt ils s'enfoncèrent bientôt plus avant que jamais dans l'invincible ignorance où les retenaient et le manque absolu de bons livres, et les traces profondes que laissaient après eux plusieurs siècles de barbarie.
Une autre raison s'opposait encore à ce que les germes semés par Charlemagne, produisissent pour les lettres en général des fruits réels et surtout durables. «Si je pénètre, avec attention, dit l'ingénieux Bettinelli 147, dans le secret de ces temps et de leurs mœurs, je crois trouver, outre les maux causés par les successeurs de ce monarque, une raison du triste succès de tant d'espérances. Réformer des peuples et des états lui parut être, comme en effet ce l'est et le fut toujours, une grande, mais très-difficile entreprise; il pensa que la religion était le moyen le plus facile et le plus efficace pour contenir et assujétir les peuples les plus féroces, quand il les avait conquis; c'est donc de ce côté qu'il tourna toutes ses vues. Ses conseillers furent des hommes religieux; et le moine Alcuin fut le premier de ses confidents. Leur zèle n'ayant pour objet que les études sacrées, leur donna des préventions contre les anciens auteurs grecs et latins, qu'ils regardèrent comme des corrupteurs de la morale chrétienne et ils les bannirent des écoles, tellement que Sigulfe, disciple d'Alcuin, et moins scrupuleux que lui, eut ensuite beaucoup de peine à les remettre en crédit. Si Charlemagne eût moins méprisé les anciens 148, il lui eût été plus facile de faire aux arts et aux études un bien durable, par l'attrait du plaisir, et par les exemples de bon goût et de bon style que fournissent les langues mortes».
Le savant abbé Andrès est de la même opinion, et lui a donné plus de développements 149. L'Empereur, Alcuin, Théodulphe et tous les autres qui travaillèrent à la réforme des études, n'avaient, dit-il, d'autre objet en vue que le service de l'église; ils n'avaient pas tant à cœur de faire d'habiles littérateurs, que d'élever de bons ecclésiastiques. Aussi, dans toutes les écoles qu'ils fondèrent, on n'apprenait guère que la grammaire et le chant de l'église… Si dans quelques-unes on s'occupait des arts libéraux, c'était uniquement pour aider à l'intelligence des lettres sacrées… Les maîtres eux-mêmes n'en savaient pas davantage, et ne pouvaient enseigner autre chose à leurs disciples. Le grand Alcuin dont les auteurs contemporains ne parlent que comme d'un prodige de science, n'était après tout qu'un médiocre théologien, et ses connaissances si vantées, en philosophie et en mathématiques, ne s'étendaient qu'a quelques subtilités de dialectique, et à ces premiers éléments de musique, d'arithmétique et d'astronomie, nécessaires pour le chant et pour le comput ecclésiastiques…
«Les promoteurs des études et les maîtres ayant donc des idées si étroites des sciences, quels progrès pouvait-on espérer de leurs soins et de leurs leçons? On fondait