La San-Felice, Tome 03. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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Seulement, dites-moi…

      Salvato prit les deux mains de la jeune femme debout près de son lit, et, se soulevant pour se rapprocher d'elle, il la regarda fixement.

      Luisa, étonnée et ne sachant ce qu'il allait lui demander, le regarda de son côté. Il n'y avait rien dans le regard du jeune homme qui pût lui faire baisser les yeux; ce regard était tendre, mais plus interrogateur que passionné.

      – Que voulez-vous que je vous dise? demanda-t-elle.

      – Vous êtes sortie de ma chambre hier à deux heures du matin, n'est-ce pas?

      – Oui.

      – Y êtes-vous rentrée après en être sortie?

      – Non.

      – Non? Vous dites bien non?

      – Je dis bien non.

      – Alors, dit le jeune homme se parlant à lui-même, c'est elle!

      – Qui, elle? demanda Luisa plus étonnée que jamais.

      – Ma mère, répliqua le jeune homme, dont les yeux prirent une expression de vague rêverie et dont la tête s'abaissa sur sa poitrine avec un soupir qui n'avait rien de douloureux ni même de triste.

      A ces mots: «Ma mère,» Luisa tressaillit.

      – Mais, lui demanda Luisa, votre mère est morte?

      – N'avez-vous pas entendu dire, chère Luisa, répondit le jeune homme sans que ses yeux perdissent rien de leur rêverie, qu'il était, parmi les hommes, sans qu'on pût les reconnaître à des signes extérieurs, sans qu'eux-mêmes se rendissent compte de leur pouvoir, des êtres privilégiés qui avaient la faculté de se mettre en rapport avec les esprits?

      – J'ai entendu quelquefois le chevalier San-Felice raisonner de cela avec des savants et des philosophes allemands, qui donnaient ces communications entre les habitants de ce monde et ceux d'un monde supérieur comme des preuves en faveur de l'immortalité de l'âme; ils nommaient ces individus des voyants, ces intermédiaires des médiums.

      – Ce qu'il y a d'admirable en vous, dit Salvato, c'est que, sans que vous vous en doutiez, Luisa, sous la grâce de la femme, vous avez l'éducation d'un érudit et la science d'un philosophe; il en résulte qu'avec vous, on peut parler de toutes choses, même des choses surnaturelles.

      – Alors, fit Luisa très-émue, vous croyez que cette nuit…?

      – Je crois que, cette nuit, si ce n'est point vous qui êtes entrée dans ma chambre et qui vous êtes penchée sur mon lit, je crois que j'ai été visité par ma mère.

      – Mais, mon ami, demanda Luisa frissonnante, comment vous expliquez-vous l'apparition d'une âme séparée de son corps?

      – Il y a des choses qui ne s'expliquent pas, Luisa, vous le savez bien. Hamlet ne dit-il point, au moment où vient de lui apparaître l'ombre de son père: There are more things in heaven and earth, Horatio, than there are dreamt of in your philosophy?.. Eh bien, Luisa, c'est d'un de ces mystères que je vous parle.

      – Mon ami, dit Luisa, savez-vous que parfois vous m'effrayez?

      Le jeune homme lui serra la main et la regarda de son plus doux regard.

      – Et comment puis-je vous effrayer, lui demanda-t-il, moi qui donnerais pour vous la vie que vous m'avez sauvée? Dites-moi cela.

      – C'est que, continua la jeune femme, vous me faites parfois l'effet de n'être point un être de ce monde.

      – Le fait est, répliqua Salvato en riant, que j'ai bien manqué d'en sortir avant d'y être entré.

      – Serait-il donc vrai, comme le disait la sorcière Nanno, demanda en pâlissant la jeune femme, que vous fussiez né d'une morte?

      – La sorcière vous a dit cela? demanda le jeune homme en se soulevant étonné sur son lit.

      – Oui; mais ce n'est pas possible, n'est-ce pas?

      – La sorcière vous a dit la vérité, Luisa; c'est une histoire que je vous raconterai un jour, mon amie.

      – Oh! oui, et que j'écouterai avec toutes les fibres de mon coeur.

      – Mais plus tard.

      – Quand vous voudrez.

      – Aujourd'hui, continua le jeune homme en retombant sur son lit, ce récit dépasserait mes forces; mais, comme je vous le dis, tiré violemment du sein de ma mère, les premières palpitations de ma vie se sont mêlées aux derniers tressaillements de sa mort, et un étrange lien a continué, en dépit du tombeau, de nous attacher l'un à l'autre. Or, soit hallucination d'un esprit surexcité, soit apparition réelle, soit qu'enfin, dans certaines conditions anormales, les lois qui existent pour les autres hommes n'existent pas pour ceux qui sont nés en dehors de ces lois, de temps en temps, – j'ose à peine dire cela, tant la chose est improbable! – de temps en temps, ma mère, sans doute parce qu'elle fut en même temps sainte et martyre, de temps en temps, ma mère obtient de Dieu la permission de me visiter.

      – Que dites-vous là! murmura Luisa toute frissonnante.

      – Je vous dis ce qui est, mais ce qui est pour moi n'est peut-être pas pour vous, et cependant je n'ai pas vu seul cette chère apparition.

      – Une autre que vous l'a vue? s'écria Luisa.

      – Oui, une femme bien simple, une paysanne, incapable d'inventer une semblable histoire: ma nourrice.

      – Votre nourrice a vu l'ombre de votre mère?

      – Oui; voulez-vous que je vous raconte cela? demanda le jeune homme en souriant.

      Pour toute réponse, Luisa saisit les deux mains du blessé et le regarda avidement.

      – Nous demeurions en France, – car, si ce n'est point en France que mes yeux se sont ouverts, c'est là qu'ils ont commencé à voir; – nous habitions au milieu d'une grande forêt; mon père m'avait donné une nourrice d'un village distant d'une lieue et demie ou deux lieues de la maison que nous habitions. Une après-midi, elle alla demander à mon père la permission de faire une course pour voir son enfant, qu'on lui avait dit être malade; c'était celui-là même qu'elle avait sevré pour me donner sa place; non-seulement mon père le lui permit, mais encore il voulut l'accompagner pour visiter son enfant avec elle; on me donna à boire, on me coucha dans mon berceau, et, comme je ne me réveillais jamais qu'à dix heures du soir, et que mon père, avec son cabriolet, ne mettait qu'une heure et demie pour aller au village et revenir à la maison, mon père ferma la porte, mit la clef dans sa poche, fit monter la nourrice près de lui et partit tranquille.

      »L'enfant n'avait qu'une légère indisposition; mon père rassura la bonne femme, laissa une ordonnance au mari et un louis pour être sûr que l'ordonnance serait suivie, et s'en allait revenir à la maison en y ramenant la nourrice, lorsqu'un jeune homme éploré vint tout à coup lui dire que son père, un garde de la forêt, avait été grièvement blessé la nuit précédente par un braconnier. Mon père ne savait point ce que c'était que de repousser un semblable appel; il remit la clef de la maison à la nourrice et lui recommanda de revenir sans perdre un instant, d'autant plus que le temps devenait orageux.

      »La nourrice partit. Il était sept heures du soir; elle promit d'être avant huit heures à la maison, et mon père s'en alla de son côté, après lui avoir vu prendre le chemin qui devait la ramener près de moi. Pendant une demi-heure, tout alla bien; mais alors le temps s'obscurcit tout à coup, le tonnerre gronda et un orage terrible éclata, mêlé d'éclairs et de pluie. Par malheur, au lieu de suivre le chemin frayé, la bonne femme prit, afin d'arriver plus vite à la maison, un sentier qui raccourcissait la distance, mais que la nuit rendait plus difficile; un loup qui, effrayé lui-même par l'orage, croisa son chemin, lui fit peur; elle se jeta de côté, s'enfuit, s'engagea dans un taillis, s'y égara, et, de plus en plus épouvantée par l'orage, erra au hasard, appelant, pleurant, criant, mais n'ayant pour réponse à ses cris que ceux des chouettes et des hiboux.

      »Folle,