La San-Felice, Tome 01. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
n'avait pas voulu de lui; mais il avait reçu une cruelle blessure. Un boulet du Guillaume-Tell, expirant, avait brisé une vergue du Van-Guard, qu'il montait, et la vergue brisée lui était tombée sur le front au moment même où il levait la tête pour reconnaître la cause du craquement terrible qu'il entendait, lui avait rabattu la peau du crâne sur l'oeil unique qui lui restait, et, comme un taureau frappé de la masse, l'avait renversé sur le pont, baigné dans son sang.

      Nelson crut la blessure mortelle, fit appeler le chapelain pour qu'il lui donnât sa bénédiction, et le chargea de ses derniers adieux pour sa famille; mais, avec le prêtre, était monté le chirurgien.

      Celui-ci examina le crâne, le crâne était intact; la peau seule du front était détachée et retombait jusque sur la bouche.

      La peau fut remise à sa place, recollée au front, maintenue par un bandeau noir. Nelson ramassa le porte-voix échappé de sa main, et se remit à son oeuvre de destruction en criant: «Feu!» Il y avait le souffle d'un Titan dans la haine de cet homme contre la France.

      Le 2 août, à huit heures du soir, nous l'avons dit, il ne restait plus de la flotte française que deux vaisseaux qui se réfugièrent à Malte.

      Un navire léger porta à la cour des Deux-Siciles et à l'Amirauté d'Angleterre la nouvelle de la victoire de Nelson et de la destruction de notre flotte.

      Ce fut dans toute l'Europe un immense cri de joie qui retentit jusqu'en Asie, tant les Français étaient craints, tant la révolution française était exécrée!

      La cour de Naples surtout, après avoir été folle de rage, devint insensée de bonheur.

      Ce fut naturellement lady Hamilton qui reçut la lettre de Nelson, annonçant cette victoire, laquelle renfermait à tout jamais trente mille Français en Égypte, et Bonaparte avec eux.

      Bonaparte, l'homme de Toulon, du 13 vendémiaire, de Montenotte, de Dego, d'Arcole et de Rivoli, le vainqueur de Beaulieu, de Wurmser, d'Alvinzi et du prince Charles, le gagneur de batailles qui, en moins de deux ans, avait fait cent cinquante mille prisonniers, conquis cent soixante et dix drapeaux, pris cinq cent cinquante canons de gros calibre, six cents pièces de campagne, cinq équipages de pont; l'ambitieux qui avait dit que l'Europe était une taupinière, et qu'il n'y avait jamais eu de grands empires et de grande révolution qu'en Orient; l'aventureux capitaine qui, à vingt-neuf ans, déjà plus grand qu'Annibal et que Scipion, a voulu conquérir l'Égypte pour être aussi grand qu'Alexandre et que César, le voilà confisqué, supprimé, rayé de la liste des combattants; à ce grand jeu de la guerre, il a enfin trouvé un joueur plus heureux ou plus habile que lui. Sur cet échiquier gigantesque du Nil, dont les pions sont des obélisques, les cavaliers des sphinx, les tours des pyramides, où les fous s'appellent Cambyse, les rois Sésostris, les reines Cléopâtre, il a été fait échec et mat!

      Il est curieux de mesurer la terreur qu'imprimaient aux souverains de l'Europe les deux noms de la France et de Bonaparte réunis, par les cadeaux que Nelson reçut de ces souverains, devenus fous de joie en voyant la France abaissée et en croyant Bonaparte perdu.

      L'énumération en est facile; nous la copions sur une note écrite de la main même de Nelson:

      De George III, la dignité de pair de la Grande-Bretagne et une médaille d'or;

      De la Chambre des communes, pour lui et ses deux plus proches héritiers, le titre de baron du Nil et de Barnham-Thorpes, avec une rente de deux mille livres sterling commençant à courir du 1er août 1798, jour de la bataille;

      De la Chambre des pairs, même rente, dans les mêmes conditions, à partir du même jour;

      Du Parlement d'Irlande, une pension de mille livres sterling;

      De la Compagnie des Indes orientales, dix mille livres une fois données;

      Du sultan, une boucle en diamants avec la plume du triomphe, évaluée deux mille livres sterling, et une riche pelisse évaluée mille livres sterling;

      De la mère du sultan, une boîte enrichie de diamants, évaluée douze cents livres sterling;

      Du roi de Sardaigne, une tabatière enrichie de diamants, évaluée douze cents livres sterling;

      De l'île de Zante, une épée à poignée d'or et une canne à pomme d'or;

      De la ville de Palerme, une tabatière et une chaîne d'or, sur un plat d'argent;

      Enfin, de son ami Benjamin Hallowell, capitaine du Swiftsure, un présent tout anglais, qui manquerait trop à notre énumération si nous le passions sous silence.

      Nous avons dit que le vaisseau l'Orient avait sauté en l'air; Hallowell recueillit le grand mât et le fit porter à bord de son bâtiment; puis, avec le mât et ses ferrements, il fit faire, par le charpentier et le serrurier du bord, un cercueil orné d'une plaque contenant ce certificat d'origine:

      «Je certifie que ce cercueil est entièrement construit avec le bois et le fer du vaisseau l'Orient, dont le vaisseau de Sa Majesté sous mes ordres sauva une grande partie dans la baie d'Aboukir.

»Ben. Hallowell.»

      Puis, de ce cercueil ainsi certifié, il fit don à Nelson avec et par cette lettre:

A l'honorable Nelson C. B.«Mon cher seigneur,

      »Je vous envoie, en même temps que la présente, un cercueil taillé dans le mât du vaisseau français l'Orient, afin que vous puissiez, quand vous abandonnerez cette vie, reposer d'abord dans vos propres trophées. L'espérance que ce jour est encore éloigné est le désir sincère de votre obéissant et affectionné serviteur.

»Ben. Hallowell.»

      De tous les dons qui lui furent offerts, hâtons-nous de dire que ce dernier parut être celui qui toucha le plus Nelson; il le reçut avec une satisfaction marquée, il le fit placer dans sa cabine, appuyé contre la muraille et précisément derrière le fauteuil où il s'asseyait pour manger. Un vieux domestique, que ce meuble posthume attristait, obtint de l'amiral qu'il fût transporté dans le faux pont.

      Lorsque Nelson quitta, pour le Fulminant, le Van-Guard, horriblement mutilé, le cercueil, qui n'avait point encore trouvé sa place sur le nouveau bâtiment, demeura quelques mois sur le gaillard d'avant. Un jour que les officiers du Fulminant admiraient le don du capitaine Hallowell, Nelson leur cria de sa cabine:

      – Admirez tant que vous voudrez, messieurs, mais ce n'est pas pour vous qu'il est fait.

      Enfin, à la première occasion qu'il trouva, Nelson l'expédia à son tapissier, en Angleterre, le priant de le garnir immédiatement de velours, attendu que, pouvant, au métier qu'il faisait, en avoir l'emploi d'un moment à l'autre, il désirait le trouver tout prêt à l'heure où il en aurait besoin.

      Inutile de dire que Nelson, tué sept ans plus tard à Trafalgar, fut enseveli dans ce cercueil.

      Revenons à notre récit.

      Nous avons dit que, par un bâtiment léger, Nelson avait expédié la nouvelle de la victoire d'Aboukir à Naples et à Londres.

      Aussitôt la lettre de Nelson reçue, Emma Lyonna courut chez la reine Caroline et la lui tendit tout ouverte; celle-ci jeta les yeux dessus et poussa un cri ou plutôt un rugissement de bonheur; elle appela ses fils, elle appela le roi, elle courut comme une insensée dans les appartements, embrassant ceux qu'elle rencontrait, serrant dans ses bras la messagère de bonnes nouvelles et ne se lassant pas de répéter: «Nelson! brave Nelson! O sauveur! ô libérateur de l'Italie! Dieu te protège! le ciel te garde!»

      Puis, sans s'inquiéter de l'ambassadeur français Garat, le même qui avait lu à Louis XVI sa sentence de mort et qui avait sans doute été envoyé par le Directoire comme un avertissement à la monarchie napolitaine, elle ordonna, croyant n'avoir plus rien à craindre de la France, de faire hautement, ostensiblement et au grand jour, tous les préparatifs nécessaires pour recevoir Nelson à Naples comme on reçoit un triomphateur.

      Et, pour ne pas rester en arrière des autres souverains, elle qui croyait lui devoir plus que les autres, menacée qu'elle était