La San-Felice, Tome 01. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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même temps, on voyait grandir à l'horizon, bien au delà encore de Capri et du cap Campanella, un vaisseau de guerre qui, de son côté, en apercevant la flottille royale, manoeuvra pour naviguer au plus près, et, mettant le cap sur elle, tira un coup de canon.

      Une légère fumée apparut aussitôt au flanc du colosse, et l'on vit gracieusement monter à sa corne le pavillon rouge d'Angleterre.

      Puis on entendit, quelques secondes après, une détonation prolongée pareille au roulement d'un tonnerre lointain.

      II

      LE HÉROS DU NIL

      Ce bâtiment qui accourait au-devant de la flottille royale, et à la corne duquel nous avons vu monter le pavillon rouge d'Angleterre, se nommait le Van-Guard.

      L'officier qui le commandait était le commodore Horace Nelson, – qui venait de détruire la flotte française à Aboukir, d'enlever à Bonaparte et à l'armée républicaine tout espoir de retour en France.

      Disons en quelques mots ce que c'était que ce commodore Horace Nelson, un des plus grands hommes de mer qui aient jamais existé, le seul qui ait balancé, et même ébranlé sur l'Océan, la fortune continentale de Napoléon.

      On s'étonnera peut-être de nous entendre faire, à nous, l'éloge de Nelson, ce terrible ennemi de la France, qui lui a tiré du coeur le meilleur et le plus pur de son sang à Aboukir et à Trafalgar; mais les hommes comme lui sont un produit de la civilisation universelle; la postérité ne fait pas pour eux une acception de naissance et de pays: elle les considère comme une partie de la grandeur de l'espèce humaine, que l'espèce humaine doit envelopper d'un large amour, caresser d'un immense orgueil; une fois descendus dans la tombe, ils ne sont plus compatriotes ni étrangers, amis ni ennemis: ils s'appellent Annibal et Scipion, César et Pompée, c'est-à-dire des oeuvres et des actions. L'immortalité naturalise les grands génies au profit de l'univers.

      Nelson était né le 29 septembre 1758; c'était donc, à l'époque où nous sommes arrivés, un homme de trente-neuf à quarante ans.

      Il était né à Barnham-Thorpes, petit village du comté de Norfolk; son père en était le pasteur; sa mère, qui mourut jeune, mourut en laissant onze enfants.

      Un oncle qu'il avait dans la marine, et qui était apparenté aux Walpole, le prit avec lui comme aspirant, sur le vaisseau de soixante-quatre canons le Redoutable.

      Il alla au pôle et fut pris pendant six mois dans les glaces, lutta corps à corps avec un ours blanc qui l'eût étouffé entre ses pattes si un de ses camarades n'eût fourré le bout de son mousquet dans l'oreille de l'animal et n'eût fait feu.

      Il alla sous l'équateur, s'égara dans une forêt du Pérou, s'endormit au pied d'un arbre, fut piqué par un serpent de la pire espèce, faillit en mourir et en garda, pour toute sa vie, des taches livides pareilles à celles du serpent lui-même.

      Au Canada, il eut son premier amour et pensa faire sa plus grande folie. Pour ne point quitter celle qu'il aimait, il voulut donner sa démission de capitaine de frégate. Ses officiers s'emparèrent de lui par surprise, le lièrent comme un criminel ou comme un fou, l'emportèrent sur le Sea-Horse, qu'il montait alors, et ne lui rendirent la liberté qu'en pleine mer.

      De retour à Londres, il se maria à une jeune veuve nommée mistress Nisbett; il l'aima avec cette passion qui s'allumait si facilement et si ardemment dans son âme, et, lorsqu'il se remit en mer, il emmena avec lui un fils nommé Josuah, qu'elle avait eu de son premier mari.

      Lorsque Toulon fut livré aux Anglais par l'amiral Trogof et le général Maudet, Horace Nelson était capitaine à bord de l'Agamemnon; il fut envoyé avec son bâtiment à Naples pour annoncer au roi Ferdinand et à la reine Caroline la prise de notre premier port militaire.

      Sir William Hamilton, ambassadeur d'Angleterre, comme nous l'avons dit, le rencontra chez le roi, le ramena chez lui, le laissa au salon, passa dans la chambre de sa femme et lui dit:

      – Je vous amène un petit homme qui ne peut pas se vanter d'être beau; mais, ou je m'étonne fort, ou il sera un jour la gloire de l'Angleterre et la terreur de ses ennemis.

      – Et comment prévoyez-vous cela? demanda lady Hamilton.

      – Par le peu de paroles que nous avons échangées. Il est au salon; venez lui faire les honneurs de la maison, ma chère. Je n'ai jamais reçu chez moi aucun officier anglais; mais je ne veux pas que celui-ci loge ailleurs que dans mon hôtel.

      Et Nelson logea à l'ambassade d'Angleterre, située à l'angle de la rivière et de la rue de Chiaïa.

      Nelson était alors, en 1793, un homme de trente-quatre ans, petit de taille comme l'avait dit William, pâle de visage, avec des yeux bleus, avec ce nez aquilin qui distingue le profil des hommes de guerre et qui fait ressembler César et Condé à des oiseaux de proie, avec ce menton vigoureusement accentué qui indique la ténacité poussée jusqu'à l'obstination; quant aux cheveux et à la barbe, ils étaient d'un blond pâle, rares et mal plantés.

      Rien n'indique qu'à cette époque, Emma Lyonna ait été sur le physique de Nelson d'un autre avis que son mari; mais la foudroyante beauté de l'ambassadrice produisit son effet: Nelson quitta Naples, emmenant les renforts qu'il était venu demander à la cour des Deux-Siciles, et amoureux fou de lady Hamilton.

      Fut-ce par pure ambition de gloire, fut-ce pour guérir de cet amour qu'il sentait inguérissable, qu'il voulut se faire tuer à la prise de Calvi, où il perdit un oeil, et dans l'expédition de Ténériffe, où il perdit un bras? On ne sait; mais, dans ces deux occasions, il joua sa vie avec une telle insouciance, que l'on dut penser qu'il n'y tenait que médiocrement.

      Lady Hamilton le revit ainsi borgne et manchot, et rien n'indique que son coeur ait ressenti, pour le héros mutilé, un autre sentiment que cette tendre et sympathique pitié que la beauté doit aux martyrs de la gloire.

      Ce fut le 16 juin 1798 qu'il revint pour la seconde fois à Naples, et pour la seconde fois se retrouva en présence de lady Hamilton.

      La position était critique pour Nelson.

      Chargé de bloquer la flotte française dans le port de Toulon et de la combattre si elle en sortait, il avait vu lui glisser entre les doigts cette flotte, qui avait pris Malte en passant, et débarqué 30,000 hommes à Alexandrie!

      Ce n'était pas le tout: battu par une tempête, ayant fait des avaries graves, manquant d'eau et de vivres, il ne pouvait continuer sa poursuite, obligé qu'il était d'aller se refaire à Gibraltar.

      Il était perdu; on pouvait accuser de trahison l'homme qui pendant un mois avait cherché dans la Méditerranée, c'est-à-dire dans un grand lac, une flotte de treize vaisseaux de ligne et de trois cent quatre-vingt-sept bâtiments de transport, non-seulement sans pouvoir la joindre, mais encore sans avoir découvert son sillage.

      Il s'agissait, sous les yeux de l'ambassadeur français, d'obtenir de la cour des Deux-Siciles, qu'elle permit à Nelson de prendre de l'eau et des vivres dans les ports de Messine et de Syracuse, et du bois pour remplacer ses mâts et ses vergues brisés, dans la Calabre.

      Or, la cour des Deux-Siciles avait un traité de paix avec la France; ce traité de paix lui commandait la neutralité la plus absolue, et c'était mentir au traité et rompre cette neutralité que d'accorder à Nelson ce qu'il demandait.

      Mais Ferdinand et Caroline détestaient tellement les Français et avaient juré une telle haine à la France, que tout ce que demandait Nelson lui fut impudemment accordé, et Nelson, qui savait qu'une grande victoire seule pouvait le sauver, quitta Naples, plus amoureux, plus fou, plus insensé que jamais, jurant de vaincre ou de se faire tuer à la première occasion.

      Il vainquit et faillit être tué. Jamais, depuis l'invention de la poudre et l'emploi des canons, aucun combat naval n'avait épouvanté les mers d'un pareil désastre.

      Sur treize vaisseaux de ligne dont se composait, comme nous l'avons dit, la flotte française, deux seulement avaient pu se soustraire aux flammes et échapper à l'ennemi.

      Un vaisseau avait sauté, l'Orient; un autre vaisseau