Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1. Baron Gaspard Gourgaud. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Baron Gaspard Gourgaud
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: История
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à aucune des considérations ordinaires; les préposés de la santé déclarèrent qu'il n'y avait pas lieu à la quarantaine, motivant leur procès-verbal sur ce que la pratique avait eu lieu à Ajaccio. Cependant cette raison n'était pas valable, c'était seulement un motif pour mettre la Corse en quarantaine. L'administration de Marseille en fit quinze jours après l'observation avec raison. Il est vrai que depuis cinquante jours que les bâtiments avaient quitté l'Égypte, aucune maladie ne s'était déclarée à bord, et qu'avant leur départ la peste avait cessé depuis trois mois.

      Sur les six heures du soir, Napoléon, accompagné de Berthier, monta en voiture pour se rendre à Paris.

      § II

      Les fatigues de la traversée et les effets de la transition d'un climat sec à une température humide, décidérent Napoléon à s'arrêter six heures à Aix. Tous les habitants de la ville et des villages voisins accouraient en foule et témoignaient le bonheur qu'ils éprouvaient de le revoir. Partout la joie était extrême: ceux qui des campagnes n'avaient pas le temps d'arriver sur la route sonnaient les cloches, et plaçaient des drapeaux sur les clochers. La nuit, ils les couvraient de feux. Ce n'était pas un citoyen qui rentrait dans sa patrie, ce n'était pas un général qui revenait d'une armée victorieuse; c'était déja un souverain qui retournait dans ses états. L'enthousiasme d'Avignon, Montélimar, Valence, Vienne, ne fut surpassé que par les élans de Lyon.

      Cette ville, où Napoléon séjourna douze heures, fut dans un délire universel. De tout temps les Lyonnais ont montré une grande affection à Napoléon, soit que cela tienne à cette générosité de caractère, qui est propre aux Lyonnais; soit que Lyon se considérant comme la métropole du Midi, tout ce qui était relatif à la sûreté des frontières du côté de l'Italie, touchât vivement ses habitants; soit enfin que cette ville, composée en grande partie de Bourguignons et de Dauphinois, partageât les sentiments plus fortement existants dans ces deux provinces. Toutes les imaginations étaient encore exaltées par la nouvelle qui circulait depuis huit jours de la bataille d'Aboukir et des brillants succès des Français en Égypte, qui contrastaient tant avec les défaites de nos armées d'Allemagne et d'Italie. De toute part le peuple semblait dire: «Nous sommes nombreux, nous sommes braves, et cependant nous sommes vaincus: il nous manque un chef pour nous diriger; il arrive, nos jours de gloire vont revenir»!

      Cependant la nouvelle du retour de Napoléon était parvenue à Paris: on l'annonça sur tous les théâtres; elle produisit une sensation extrême, une ivresse générale. Les membres du directoire la durent partager. Quelques membres de la société du manège en pâlirent; mais, ainsi que les partisans de l'étranger, ils dissimulèrent et se livrèrent au torrent de la joie générale. Baudin, député des Ardennes, homme de bien, vivement tourmenté de la fâcheuse direction qu'avaient prise les affaires de la république, mourut de joie en apprenant le retour de Napoléon.

      Napoléon avait déja passé Lyon, lorsque son débarquement fut annoncé à Paris. Par une précaution bien convenable à sa situation, il avait indiqué à ses courriers une route différente de celle qu'il prit; de sorte que sa femme, sa famille, ses amis, se trompèrent en voulant aller à sa rencontre: ce qui retarda de plusieurs jours le moment où il put les revoir. Arrivé ainsi à Paris, tout-à-fait inattendu, il était dans sa maison, rue Chantereine, qu'on ignorait encore son arrivée dans la capitale. Deux heures après il se présenta au directoire: reconnu par des soldats de garde, des cris d'allégresse l'annoncèrent. Chacun des membres du directoire semblait partager la joie publique; il n'eut qu'à se louer de l'accueil qu'il reçut.

      La nature des évènements passés l'instruisait de la situation de la France, et les renseignements qu'il s'était procurés sur la route, l'avaient mis au fait de tout. Sa résolution était prise. Ce qu'il n'avait pas voulu tenter à son retour d'Italie, il était déterminé à le faire aujourd'hui. Son mépris pour le gouvernement du directoire et pour les meneurs des conseils était extrême.

      Résolu de s'emparer de l'autorité, de rendre à la France ses jours de gloire, en donnant une direction forte aux affaires publiques: c'était pour l'exécution de ce projet qu'il était parti d'Égypte; et tout ce qu'il venait de voir dans l'intérieur de la France avait accru ce sentiment et fortifié sa résolution.

      § III

      De l'ancien directoire, il ne restait que Barras: les autres membres étaient Roger-Ducos, Moulins, Gohier, et Siéyes.

      – Ducos était un homme d'un caractère borné et facile.

      – Moulins, général de division, n'avait pas fait la guerre, il sortait des gardes-françaises, et avait reçu son avancement dans l'armée de l'intérieur. C'était un honnête homme, patriote chaud et droit.

      – Gohier était un avocat de réputation, d'un patriotisme exalté, jurisconsulte distingué; homme intègre et franc.

      – Siéyes était depuis long-temps connu de Napoléon. Né à Fréjus, en Provence, il avait commencé sa réputation avec la révolution; il avait été nommé à l'assemblée constituante par les électeurs du tiers-état de Paris, après avoir été repoussé par l'assemblée du clergé, qui se tint à Chartres. C'est lui qui fit la brochure, Qu'est-ce que le tiers? qui eut une si grande vogue. Il n'est pas homme d'exécution: connaissant peu les hommes, il ne sait pas les faire agir. Ses études ayant toutes été dirigées vers la métaphysique, il a les défauts des métaphysiciens, et dédaigne trop souvent les notions positives; mais il est capable de donner des avis utiles et lumineux dans les circonstances et dans les crises les plus sérieuses. C'est à lui que l'on doit la division de la France en départements, qui a détruit l'esprit de province. Quoiqu'il n'ait jamais occupé la tribune avec éclat, il a été utile au succès de la révolution par ses conseils dans les comités.

      Il avait été nommé directeur, lors de la création du directoire; mais, ayant refusé alors, Lareveillère le remplaça. Envoyé depuis en ambassade à Berlin, il puisa dans cette mission une grande défiance de la politique de la Prusse.

      Il siégeait depuis peu au directoire, mais il avait déja rendu de grands services, en s'opposant aux succès de la société du manège, qu'il voyait prête à saisir le timon de l'état. Il était en horreur à cette faction; et, sans craindre de s'attirer l'inimitié de ce puissant parti, il combattait avec courage les menées de ces hommes de sang, pour sauver la république du désastre dont elle était menacée.

      A l'époque du 13 vendémiaire, le trait suivant avait mis Napoléon à même de le bien juger. Dans le moment le plus critique de cette journée, lorsque le comité des quarante avait perdu la tête, Siéyes s'approcha de Napoléon, l'emmena dans une embrasure de croisée, pendant que le comité délibérait sur la réponse à faire à la sommation des sections. «Vous les entendez, général; ils parlent quand il faudrait agir: les corps ne valent rien pour diriger les armées, car ils ne connaissent pas le prix du temps et de l'occasion. Vous n'avez rien à faire ici: allez, général, prenez conseil de votre génie et de la position de la patrie: l'espérance de la république n'est qu'en vous.»

      § IV

      Napoléon accepta un dîner chez chaque directeur, sous la condition que ce serait en famille, et sans aucun étranger. Un repas d'apparat lui fut donné par le directoire. Le corps-législatif voulut suivre cet exemple: lorsque la proposition en fut faite au comité-général, il s'éleva une vive opposition; la minorité ne voulant rendre aucun hommage au général Moreau, que l'on proposait d'y associer; elle l'accusait de s'être mal conduit au 18 fructidor. La majorité eut recours, pour lever toute difficulté, à l'expédient d'ouvrir une souscription. Le festin fut donné dans l'église Saint-Sulpice; la table était de sept cents couverts. Napoléon y resta peu, y parut inquiet et fort préoccupé. Chaque ministre voulait lui donner une fête; il n'accepta qu'un dîner chez celui de la justice, qu'il estimait beaucoup: il desira que les principaux jurisconsultes de la république s'y trouvassent; il y fut fort gai, disserta longuement sur le code civil et criminel, au grand étonnement de Tronchet, de Treilhard, de Merlin, de Target, et exprima le desir qu'un code simple, et approprié aux lumières du siècle, régit les personnes et les propriétés de la république.

      Constant