Le Bossu Volume 3. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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manteau pour nous envelopper toutes deux et nous continuâmes de grimper, pressant notre mule paresseuse sous une torrentielle averse.

      »Flor nous avait promis l'hospitalité la plus cordiale au nom de ses frères. Une ondée n'était pas faite pour effrayer mon ami Henri, et nous deux, Flor et moi, nous étions d'humeur à narguer la plus terrible tempête sous l'abri flottant qui nous unissait.

      »Les nuées couraient, roulant les unes sur les autres et laissant parfois entre elles des déchirures où apparaissait le bleu profond du ciel. La ligne de l'horizon, vers le couchant, semblait un chaos empourpré. C'était la seule lumière qui restât au ciel. Elle teignait tous les objets en rouge. La route grimpait en spirale une rampe roide et pierreuse. Les rafales étaient si fortes que nos mules tremblaient sur leurs jambes.

      » – C'est drôle, m'écriai-je, comme cette lumière fait voir toute sorte d'objets… Là-bas, à la crête de ce rocher, j'ai cru apercevoir deux hommes taillés dans la pierre.

      »Henri regarda vivement de ce côté.

      » – Je ne vois rien, dit-il.

      » – Ils n'y sont plus… prononça Flor à voix basse…

      » – Il y avait donc réellement deux hommes? demanda Henri.

      »Je sentis venir en moi une vague terreur que la réponse de Flor augmenta.

      » – Non pas deux, répliqua-t-elle, mais dix pour le moins.

      » – Armés?

      » – Armés.

      » – Ce ne sont pas tes frères?

      » – Non, certes.

      » – Et nous guettent-ils depuis longtemps?

      » – Depuis hier matin, ils rôdent autour de nous.»

      IV

      – Où Flor emploie un charme. —

      «Henri regardait Flor avec défiance; moi-même, je ne pus me défendre d'un soupçon. Pourquoi ne nous avait-elle pas prévenus?

      » – J'ai cru d'abord que c'étaient des voyageurs comme vous, dit-elle, répondant d'elle-même et d'avance à notre pensée; ils suivaient le vieux sentier vers l'ouest; nos hidalgos font presque tous ainsi. Il n'y a guère que le menu peuple à fréquenter les routes nouvelles… C'est seulement depuis notre entrée dans la montagne que leurs mouvements me sont devenus suspects… Je ne vous ai point avertis parce qu'ils sont en avant de nous désormais, et engagés dans une voie où nous ne pouvons plus les rencontrer.

      »Elle nous expliqua que la vieille route, abandonnée à cause de ses difficultés, passait du côté nord du Baladron, tandis que la nôtre tournait de plus en plus vers le sud, à mesure qu'on approchait des gorges; les deux routes se réunissaient à un passage unique, appelé el Paso de los Rapadores, bien au delà du campement des bohémiens.

      »Par le fait, en avançant dans l'intérieur de la montagne, nous n'aperçûmes plus ces fantastiques silhouettes, découpant leurs profils sur le ciel écarlate.

      »Les roches étaient désertes aussi loin que l'œil pouvait se porter. On n'apercevait d'autres mouvements que le frémissement des hêtres agités par la rafale.

      »La nuit tomba. Nous ne songions plus à nos rôdeurs inconnus. D'énormes ravins et des défilés infranchissables les séparaient de nous maintenant. Toute notre attention était pour notre mule, dont le pied sûr avait grand'peine à surmonter les obstacles du chemin.

      »Il était nuit close, quand un cri de joie de Flor annonça la fin de nos peines. Nous avions devant les yeux un grand et magnifique spectacle.

      »Depuis quelques minutes, nous marchions entre deux hautes rampes qui nous cachaient l'horizon et le ciel. On aurait dit deux gigantesques remparts. – L'averse avait cessé. Le vent du nord-ouest, chassant devant soi les nuées, balayait le firmament, toujours plus étincelant après l'orage. La lune épandait à flots sa blanche lumière.

      »Au sortir du défilé, nous nous trouvâmes en face d'une sorte de vallée circulaire, entourée de pics dentelés, où croissaient encore çà et là quelques bouquets de pins de montagne: c'était la Taza del Diablillo (la tasse du diablotin), point central du mont Baladron, dont les plus hauts sommets sont jetés de côté et penchent vers l'Escurial.

      »La Taza del Diablillo nous apparaissait en ce moment comme un gouffre sans fond. Les rayons de la lune, qui éclairaient vivement le tour de la tasse et ses dentelures, laissaient le vallon dans l'ombre et lui donnaient une effrayante profondeur.

      »Juste vis-à-vis de nous s'ouvrait une gorge pareille à celle que nous quittions, de telle sorte que l'une continuait l'autre, et que la Tasse, située entre deux, était évidemment le produit de quelque grande convulsion du sol.

      »Un grand feu s'allumait à l'entrée de cette deuxième gorge. Autour du feu, des hommes et des femmes étaient assis.

      »Leurs figures maigres et vigoureusement accentuées se rougissaient aux lueurs du brasier, ainsi que les saillies des rocs voisins, – tandis que, tout près de là, les reflets blafards de la lune glissaient sur les rampes mouillées.

      »A peine sortions-nous du défilé, que notre présence fut signalée. Ces sauvages ont une finesse de sens qui nous est inconnue. – On ne cessa point de boire, de fumer et de causer autour du feu, mais deux éclaireurs se jetèrent rapidement à droite et à gauche. L'instant d'après, Flor nous les montra, rampant vers nous dans la vallée.

      »Elle poussa un cri particulier. Les éclaireurs s'arrêtèrent.

      »A un second cri, ils rebroussèrent chemin et vinrent paisiblement reprendre leur place au devant du brasier.

      »C'était loin de nous encore, ce brasier. – Au premier moment, j'avais cru apercevoir des ombres noires derrière le cercle pailleté des gitanos, mais j'étais en garde désormais contre les illusions de la montagne. Je me tus et en approchant, je ne vis plus rien.

      »Plût à Dieu que j'eusse parlé!

      »Nous étions à peu près au milieu de la vallée, lorsqu'un grand gaillard à face basanée se dressa au devant du bûcher, tenant à la main une escopette d'une longueur démesurée. Il cria en langue orientale une sorte de qui vive, et Flor lui répondit dans la même langue.

      » – Soyez les bienvenus! dit l'homme à l'escopette; – nous vous donnerons le pain et le sel, puisque notre sœur vous amène.

      »Ceci était pour nous.

      »Les gitanos d'Espagne, et généralement toutes les bandes qui vivent en dehors de la loi dans les différents royaumes de l'Europe jouissent d'une réputation méritée sous le rapport de l'hospitalité. Le plus sanguinaire brigand respecte son hôte; ceci même en Italie, où les brigands ne sont pas des lions, mais des hyènes.

      »Une fois promis le sel et l'eau, nous n'avions plus rien à craindre, selon la commune croyance.

      »Nous approchâmes sans défiance. On nous fit bon accueil. – Flor baisa le genou du chef, qui lui imposa les mains fort solennellement.

      »Après quoi, ce même chef fit verser du brandevin dans une coupe de bois sculpté, et le présenta à Henri en grande cérémonie.

      »Henri but. – Le cercle se reforma autour du foyer.

      »Une gitana vint chanter et danser à l'intérieur du cercle, se jouant avec la flamme et faisant voltiger son écharpe au-dessus du brasier.

      »Quelques minutes s'écoulèrent, – puis la voix d'Henri s'éleva, rauque et changée:

      » – Coquins! s'écria-t-il, – qu'avez-vous mis dans ce breuvage?

      »Il voulut se lever, mais ses jambes chancelèrent, et il tomba lourdement sur le sol.

      »Je sentis que mon cœur ne battait plus.

      »Henri était à terre et luttait contre un engourdissement qui garrottait chacun de ses muscles.

      »Ses paupières alourdies allaient