Le dernier chevalier. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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puisque c'est à peine si Beaumarchais, leur père, commençait, tout au fond de ses tracasseries, la première esquisse de son arlequin-perruquier, maraud joyeux, mais sinistre, mêlant un peu de bien avec beaucoup de mal, beaucoup d'esprit avec énormément de corruption, faisant mousser du même coup de blaireau, son courage, sa lâcheté, ses convoitises, son bon cœur, ses cruautés, son orgueil et sa bassesse, qui devait ravaler si étrangement le niveau de nos mœurs, assassiner la vie privée et crotter jusqu'à l'échine la robe nuptiale de la classe moyenne en France.

      Les journaux bien informés n'existant pas, ce pauvre beau roi Louis XV, qui en eût été le plus fidèle abonné, se fournissait où il pouvait: chez la marquise et chez M. de Sartines, qui se fournissaient tous les deux chez Marais.

      Marais, en définitive, était donc un luron de qualité. Il jouissait de la considération sui generis dévolue à ceux qui regardent dans les maisons par les trous de serrure. Les curieux d'un côté, de l'autre les poltrons de scandale se cotisaient pour lui faire une aisance. Il portait des bagues aux doigts, et prenait du tabac d'Espagne dans une boîte d'or.

      Avec cela, pas méchant. Il avait bien tué, çà et là, quelques familles, mais c'était pour gagner sa vie.

      La veuve du sergent Homayras ne s'était pas approchée impunément d'un si attrayant personnage, et, quoique rien dans la conduite de M. Marais n'eût dépassé jamais les bornes de la cordialité permise entre gens de bonne humeur, elle nourrissait le secret espoir de s'élever, un jour venant, jusqu'à la dignité d'observatrice.

      – D'un roi, répéta-t-elle, oui, M. Marais, je ne m'en dédis pas, il a l'air d'un roi, et, soit dit sans perdre le respect, le nôtre, de roi, donnerait gros, puisque notre argent ne lui coûte rien, pour avoir la mine de M. Nicolas, et le sang qu'il a sous la peau, et le feu qu'il a dans les yeux, et son jarret, vertugodiche! Et sa figure, et sa tournure, et tout!

      – Tubieu! dit l'inspecteur en riant, comme vous vous enflammez, Madeleine!

      – Voulez-vous les voir, M. Joseph et lui? demanda la veuve. Ils sont ensemble dans la chambre qui a un œil.

      Un instant la curiosité professionnelle de M. Marais avait été éveillée, mais c'était déjà passé. Il fit sauter hors de son gousset une montre épaisse et large et la consulta avec ostentation.

      – Mon aimable commère dit-il en se levant, l'œil aura tort pour aujourd'hui, et je vais, bien à regret, priver les miens du bonheur de contempler les vôtres.

      – Ah! fit Madeleine, comme c'est joliment dégoisé!

      – Voici déjà six heures sonnées, continua l'inspecteur, et je n'ai pas encore glané la moindre historiette. Si, au lieu de votre prince Joseph et de votre roi Nicolas, il y avait seulement une bergère dans la chambre qui a un œil

      – Pour ça non! s'écria la veuve: depuis que M. Joseph est chez moi, pas une seule dame n'a passé le seuil de sa porte!

      – On demande M. Joseph, cria la voix d'une servante au bas de l'escalier.

      – Faites monter! ordonna la veuve.

      Et elle ajouta:

      – C'est drôle. Nicolas n'est pourtant pas ressorti, et hormis M. Nicolas, jamais personne ne vient chez M. Joseph.

      M. Marais avait pris sa canne et son chapeau; il se disposait à sortir. On entendit un pas léger qui montait l'escalier. Madeleine se mit à rire.

      – Tiens! tiens! fit-elle, il y a un commencement à tout; on dirait que ça sent la jeunesse!

      M. Marais, en homme de cour qu'il était, se penchait justement pour lui baiser la main avant de prendre congé. Il se retourna en sursaut. Une voix douce disait sur le palier:

      – Quelqu'un voudrait-il bien m'indiquer l'appartement de M. Joseph?

      La porte, en même temps, s'entrouvrit, laissant voir une femme, vêtue de noir et coiffée «à la créole», d'un voile de dentelle très riche et très épais, disposé de façon à lui couvrir entièrement le visage.

      – Tubieu! grommela Marais, nous avions un prince et un roi, voici la reine! Et moi qui ne demandais qu'une bergère!

      – Ne pouvez-vous vous adresser à une servante?.. avait commencé Madeleine, qui aimait assez à faire la dame, surtout en présence d'un homme du bel air tel que M. l'inspecteur.

      Mais elle n'alla pas seulement jusqu'à la moitié de sa phrase. Elle fit une profonde révérence, accompagnée d'un «À votre service, Mademoiselle,» et sortit précipitamment pour conduire elle-même la nouvelle venue jusqu'à l'appartement de son locataire.

      Quand elle revint, elle trouva M. Marais immobile à la même place. La figure du chasseur d'aventures avait une si singulière expression que la veuve lui demanda:

      – Vous l'avez reconnue? je m'en doutais!

      – Reconnue! répéta Marais: je la connais donc?

      – Dame! fit Madeleine, est-ce que je sais, moi? à vous voir là planté comme un mai…

      – C'est la surprise.

      – Surprise de quoi?

      – Tant de noblesse! balbutia Marais, tant de beauté!..

      – Vous avez donc pu voir sous son voile, vous?

      – Ma foi, non, répondit l'inspecteur, qui se remettait; mais il y a des choses qui passent à travers les voiles.

      – Ça, c'est vrai, dit Madeleine.

      – Dites-moi bien vite qui elle est.

      – Je n'en sais rien.

      – Comment! vous aviez pourtant débuté par de la rudesse…

      – Et j'ai eu le bec cousu, c'est encore vrai.

      – Et vous avez fait une révérence…

      – Comme pour un évêque, je ne dis pas non!

      – Et vous l'avez appelée «Mademoiselle…»

      – Quand vous parleriez pendant une heure! Il y a des choses qui se voient à travers les voiles: vous l'avez dit vous-même.

      – C'est vrai, murmura l'inspecteur à son tour.

      Au lieu de se retirer, il déposa de nouveau son chapeau sur un meuble, puis sa canne dans un coin et reprit d'un ton digne:

      – Ma chère Madame Homayras, je vous prie de m'ouvrir l'œil de la chambre, là-bas, pour service public.

      Assurément la veuve avait fait de son mieux pour en arriver là, et pourtant elle n'obéit point tout de suite.

      – Est-il vrai, demanda-t-elle, qu'on va tirer un feu d'artifice au Pont-Tournant, pour la petite victoire de M. d'Aché, qui a brûlé quatre frégates anglaises?

      – Au Bengale? On le dit, répliqua Marais. Pondichéry est ravitaillé…

      – Ça ne serait pas beaucoup la peine, continua la veuve, de montrer de la complaisance aux amis qu'on a dans le gouvernement, s'ils ne vous retournaient pas de temps en temps vos politesses.

      – Vous avez envie de voir les fusées?

      – Oui, mais pas avec le peuple.

      – C'est naturel. Je vous apporterai deux billets verts pour le boulingrin de la Petite-Provence.

      – Pourquoi pas des billets bleus pour la terrasse du bord de l'eau?

      – Ce sont les places du beau monde.

      – Eh bien! fit la veuve, si vous me preniez sous le bras, vous, M. Marais, qui êtes quelqu'un de conséquence, je suppose que nous ne salirions pas les banquettes du beau monde à nous deux!

      – Certes, certes, ma commère; mais qui veillerait au bien du roi, si j'allais ainsi promener les dames à l'heure de la besogne? Vous aurez des billets bleus à fleurs de lis jaunes. C'est dit, mais je ne vous accompagnerai pas… Voyons! faisons vite!

      Il