Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 4. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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      Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 4

      IV

      LE GRENIER

      C'était une chambre petite et presque nue, où se trouvaient pour tout meuble deux chaises et une couchette en bois blanc. Dans un coin se voyait une pauvre petite harpe qui n'était, hélas! ni peinte, ni sculptée, ni dorée comme celle du salon de Penhoël…

      Dans la ruelle du lit, au-dessus d'un petit bénitier de verre, pendait une image de la Vierge.

      Diane et Cyprienne venaient de rentrer. Les quatre étages qui séparaient leur chambre de la rue avaient achevé d'épuiser leurs forces.

      Cyprienne s'était laissée choir sur une chaise. Diane était tombée à genoux devant le lit, et sa tête brûlante se cachait entre ses deux mains.

      En ce moment, il n'y avait aucune différence entre les deux jeunes filles: le courage de Diane fléchissait enfin, et son accablement égalait celui de Cyprienne.

      Elles ne se parlaient point; un voile était sur leur pensée confuse. Elles se laissaient aller à l'engourdissement du désespoir.

      En ce moment de suprême lassitude et d'apathie profonde, elles ne songeaient même pas à la rencontre qu'elles venaient de faire.

      Il y avait à peine deux ou trois minutes qu'elles avaient vu Blanche de Penhoël, leur cousine aimée, et nulle parole ne s'échangeait entre elles à ce sujet.

      Elles ne pouvaient plus… Et pourtant, par suite de circonstances que nous connaîtrons bientôt, Diane et Cyprienne étaient à même de mesurer l'importance de cette rencontre fortuite.

      Diane et Cyprienne n'ignoraient rien de ce qui s'était passé à Penhoël, après la nuit de la Saint-Louis. Elles savaient l'enlèvement de l'Ange, l'expulsion des maîtres du manoir et tout ce qui s'y rattachait.

      Elles savaient que Madame, brisée de douleur, Madame, qu'elles aimaient si tendrement autrefois! cherchait sa fille depuis deux mois, courant la ville au hasard et arrêtant les passants, comme une pauvre folle, pour leur demander son enfant!..

      Mais il est des heures où l'âme épuisée reste sourde à toute voix. On dit que, dans les vastes solitudes d'outre-mer, le voyageur, accablé, se couche parfois sur la terre. Il reste là, immobile, haletant; il reste, s'il entend au loin la voix menaçante du lion ou du tigre. Et, si tout près de lui, sous l'herbe, ce bruit sinistre se fait ouïr qui annonce l'approche du serpent, il reste encore…

      Une demi-heure se passa; puis Diane releva la tête lentement et jeta un regard sur sa sœur.

      – Tu souffres?.. dit-elle.

      Cyprienne serrait toujours sa poitrine à deux mains.

      Elle ne répondit pas.

      Diane se redressa, galvanisée par un élan de colère. Le sang remonta brusquement à sa joue; elle secoua les masses bouclées de ses beaux cheveux.

      – Paris!.. s'écria-t-elle avec une amertume déchirante; Paris que nous voyions si beau!.. Paris où nous allons mourir désespérées! oh! que de brillants rêves et que de promesses menteuses!.. N'était-ce pas plus beau que le paradis même? Du pain, mon Dieu! du pain!.. Faut-il nous châtier si cruellement pour avoir été aveugles?.. Sainte Vierge! vous savez bien que si nous avons abandonné la maison de notre père, ce n'était pas pour nous! Sainte Vierge, ayez pitié!.. du pain! un peu de pain!..

      Elle se tordait en une sorte de délire. Et Cyprienne, accablée, morne, ne prenait point garde.

      Il y avait deux jours entiers qu'elles n'avaient mangé.

      La veille, elles avaient encore un dernier morceau de pain. Mais Marthe de Penhoël, son mari et le pauvre oncle Jean souffraient non loin de là d'une misère pareille. C'étaient eux qui, sans le savoir, avaient mangé le dernier morceau de pain de Diane et de Cyprienne…

      Diane poursuivait, soutenue par sa fièvre:

      – Pourquoi ces choses sont-elles possibles?.. Pourquoi Dieu laisse-t-il ces espoirs insensés entrer dans le cœur de deux pauvres enfants?.. Était-ce un crime que de vouloir défendre ceux que nous aimions?.. Oh! maintenant que nous voyons notre folie, comment y croire?..

      Elle eut un rire amer et désolé.

      – Te souviens-tu de ce que nous venions chercher à Paris, ma sœur?.. dit-elle; sais-tu encore ce que nous voulions gagner avec nos harpes et nos pauvres chansons?.. Cinq cent mille francs pour reconquérir les biens volés de Penhoël!.. cinq cent mille francs!..

      Sa taille se renversa en arrière, ses mains jointes se levèrent au ciel.

      – Et nous avons dépensé les pièces de six livres du pauvre Benoît Halligan… reprit-elle; et nous avons vendu l'une après l'autre nos robes apportées de Penhoël, nos croix d'or que notre père nous avait données… tout, jusqu'au médaillon où étaient les cheveux de notre mère!.. Oh!.. maudit sois-tu, Paris! Je te déteste! Pour tous nos efforts, tu nous as donné l'insulte et la misère!.. Nous étions venues vers toi chercher la vie, et tu nous as tout pris, Paris impitoyable!..

      Cyprienne rendit une plainte faible. Diane s'élança vers elle, et se mit à genoux à ses pieds.

      – Si tu savais comme cela me fait mal!.. murmura Cyprienne en se tordant les mains; cherche… oh! cherche, ma sœur, s'il y a encore quelque chose à vendre!..

      Le regard de Diane fit le tour de la chambre.

      – Rien!.. murmura-t-elle désespérée; nous n'avons plus rien!

      Elle entoura de ses bras le corps de Cyprienne, comme pour la défendre contre la torture qui l'accablait.

      Dans ce mouvement, elle sentit un objet résistant sous l'étoffe légère du tablier de sa sœur.

      – Qu'est-ce que cela?.. s'écria-t-elle.

      Cyprienne, réveillée par cette exclamation, porta la main à la poche de son tablier.

      Et aussitôt, vous l'eussiez vue bondir sur les pieds, joyeuse et ranimée.

      – De l'argent! de l'argent!.. s'écria-t-elle. Merci, sainte Vierge! vous avez eu pitié de nous!

      – De l'argent!.. répéta Diane étonnée.

      Cyprienne ouvrit la main devant le regard avide de sa sœur.

      Elles tombèrent dans les bras l'une de l'autre.

      Vous ne les auriez point reconnues. C'était la gaieté vive de leurs jours de bonheur. Que le désespoir était loin d'elles! Avaient-elles seulement désespéré?..

      Leurs joues se coloraient; leurs yeux petillaient.

      Elles étaient jolies comme autrefois, quand le plaisir animait leurs gracieux visages dans le salon de verdure de Penhoël.

      Aussi, quel trésor pour elles, qui étaient venues chercher à Paris cinq cent mille francs, afin de racheter le manoir!.. Trois gros sous, glissés dans la poche de Cyprienne par le pauvre soldat breton! Un bon grand morceau de pain!..

      Pauvre soldat, que Dieu vous le rende! Puissiez-vous, quand vous retournerez au pays, trouver votre fiancée fidèle et les bras ouverts de votre vieille mère!..

      Cyprienne descendit l'escalier quatre à quatre. Diane était seule.

      Un instant, elle demeura immobile; puis, comme si un souvenir s'était éveillé en elle tout à coup, elle franchit la porte à son tour.

      La joie vive qui naguère animait son joli visage faisait place à un grave recueillement.

      Elle monta un étage, puis deux. Elle se trouvait sur un étroit carré, souillé de poussière, sur lequel s'ouvrait la porte d'un grenier vide.

      Elle entra dans ce grenier, dont la charpente trouée donnait passage au vent froid du soir et aux rayons de la lune.

      Une cloison, désemparée et plus trouée encore que la charpente, se trouvait du côté opposé à la porte.

      Diane s'en approcha sur la pointe des pieds.

      Elle colla son œil à l'une des fentes larges et nombreuses qui séparaient les planches.

      Au delà, il y avait un second grenier à peu près semblable