La fabrique de mariages, Vol. I. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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sept centième partie de cela…

      – Mais dépense-t-il ses rentes? demanda Clérambault.

      – Mal… il fait beaucoup de bien… pas d'esbrouffe… il y a des gens qui avec ça assourdiraient Paris!

      – Et son beau-père?

      – Le colonel Roger?.. Vieille garde… moustache héroïque… victoires et conquêtes… brave homme… rude au poil… Il est venu s'établir chez son gendre depuis huit jours, on ne sait pourquoi ni comment…

      M. Garnier de Clérambault eut un si singulier sourire, que Fromenteau s'interrompit pour lui demander:

      – Est-ce que vous le savez, vous, patron?

      Le marieur haussa les épaules.

      – C'est qu'il y a des moments, reprit Fromenteau, où je m'imagine que vous êtes plus savant que moi sur le compte de cette famille-là.

      Clérambault toussa et tourna la tête.

      – Le beau-père et le gendre sont bien ensemble? demanda-t-il.

      – Très-bien… Seulement, le beau-père aime trop les Invalides… Il a fait mettre une table de cabaret dans le jardin… et ça marche!.. Il va toujours d'un côté de la table le capitaine Roger, de l'autre un troupier hors d'usage… On cause batailles et fredaines, Mars et Vénus…

      – Ce pauvre bon capitaine! dit Clérambault, qui avait toujours aux lèvres son étrange sourire; ça fait l'éloge de son cœur.

      – Assurément; mais ça ne plaira pas longtemps à son gendre.

      Le marieur prit dans sa poche un autre cigare. Il semblait être d'excellente humeur.

      – Patron, lui dit Fromenteau, vous devez être de la même fournée que le beau-père, ou à peu près…

      M. de Clérambault fit mine d'être très-occupé à allumer son cigare.

      – Vous êtes ancien officier de l'Empire, pas vrai? continua Fromenteau.

      – Je m'en fais gloire, continua solennellement le marieur.

      – On dit que ce capitaine Roger était un diable à quatre…

      – Peuh!.. fit Clérambault, il y a tant de Roger!.. c'est comme les Martin…

      – Et les Durand… et les Lebreton… Pour en revenir…

      Clérambault lui imposa silence d'un geste, remit sa boîte à cigares dans sa poche et tira son portefeuille, qu'il ouvrit.

      – M. Fromenteau, prononça-t-il confidentiellement, vous avez dit tout à l'heure un mot profond.

      – Vraiment, patron?

      – Vous avez dit: «Le comte de Mersanz n'a que trente-huit ans…»

      – Dame!.. de 1798 à 1836…

      Clérambault hocha la tête et laissa tomber ces paroles:

      – Ce n'est pas la fille qui est un grand parti, c'est le père.

      – Le père est marié, dit Fromenteau.

      Clérambault mit du vent dans ses joues. L'agent de renseignements se rapprocha de lui.

      – Est-ce que vous croiriez…? prononça-t-il mystérieusement.

      Puis, comme l'autre gardait le silence, il ajouta:

      – On l'a dit dans le temps…

      Il se fit un bruit léger au-dessus d'eux. Ils levèrent la tête en même temps et vivement. Une haute pyramide de bois à brûler montait à trente pieds au-dessus de la muraille. Aucun ouvrier ne se montrait sur la pile.

      – On l'a dit, répéta Clérambault, qui baissa la voix.

      Il prit dans son portefeuille un billet de banque de mille francs, en ajoutant:

      – Et, si je connaissais quelqu'un qui voulût gagner ceci…

      – Moi, patron, moi! s'écria le pauvre Fromenteau, qui joignit ses mains tremblantes avec ferveur; l'odontophile végétal… Stéphanie… tous mes rêves de fortune et d'amour.

      Clérambault tenait le billet entre l'index et le pouce.

      – Il s'agirait, dit-il posément, d'explorer un peu les cartons de maître Souëf et de chercher le contrat de mariage de M. le comte avec Béatrice Roger.

      Fromenteau, pâle d'émotion, tendait la main déjà pour saisir le billet, lorsqu'un bruit plus distinct se fit au haut de la pile. Nos deux interlocuteurs n'eurent pas même le temps de lever la tête, cette fois. – Un homme tomba comme une bombe entre eux deux. En tombant, et avant de toucher terre, il saisit le billet de banque à la volée.

      Clérambault et Fromenteau reculèrent. Il n'y avait que de l'étonnement dans les yeux du second; mais la physionomie naguère si hautaine du marieur était bouleversée. Ses dents claquaient sous sa moustache.

      – Jean Lagard!.. balbutia-t-il.

      – Bonjour, mon vieux Garnier! fit celui-ci, qui fourra tranquillement le billet dans la poche de son pantalon de toile; comment va?

      Il fit en même temps un signe amical à Fromenteau, qui le regardait, frappé d'étonnement, et n'osait crier au voleur!

      C'était un gros réjoui d'ouvrier, robuste et découplé à merveille. Il paraissait âgé de vingt-cinq à trente ans: l'amour du travail n'était pas gravé sur ses traits.

      Il aurait dû se casser les reins dix fois en sautant du haut de la pyramide; mais ses reins en avaient vu bien d'autres, et sa figure rubiconde n'avait même pas changé de couleur.

      – D'où viens-tu? demanda Clérambault sans réclamer son billet de banque.

      – De loin, mon vieux, répliqua Jean Lagard; on te dira ça quand monsieur ne sera pas là… J'ai pris du service là dedans, un petit peu (il montrait le chantier), pour attendre l'occasion de te présenter mes compliments… Je donne congé… le chiffon vaut deux mois de noces et festins… quand ça sera fini, j'irai te voir… A l'avantage!

      Une voix doucette et charmante cria au bout de la ruelle, derrière l'angle de l'avenue d'Harcourt:

      – Voilà le plaisir, mesdames!.. voilà le plaisir!

      Clérambault et Fromenteau échangèrent un regard.

      – Carabosse! s'écria Jean Lagard, ma bonne amie Carabosse!.. Voilà ce que j'appelle de la chance… j'aurais donné cent sous pour la rencontrer aujourd'hui!

      On vit d'abord apparaître une boîte de forme cylindrique, en bois léger, cerclé de fer, à l'angle de la rue d'Harcourt; puis une petite vieille, proprette, menue, souriante, le corps un peu jeté de côté par l'habitude de porter sa boîte à plaisirs, se montra au bout de la ruelle. Dès qu'elle aperçut notre groupe, elle leur fit gaillardement signe de tête et demanda:

      – En voulez-vous?

      – A bientôt, mon vieux Garnier, dit Lagard, qui s'élança vers la petite vieille et la souleva dans ses bras comme un enfant.

      M. de Clérambault tira sa montre. Il avait l'air consterné.

      – Du moment que ces deux-là nous ont vus ensemble, monsieur Fromenteau, dit-il, vous ne m'êtes plus bon à rien… Bonne santé je vous souhaite!

      Il s'éloigna, laissant le malheureux Fromenteau appuyé contre le mur. Jamais cet agent de renseignements ne s'était vu si près du billet de mille francs qui devait lui donner l'odontophile végétal et Stéphanie.

      Clérambault descendit la ruelle à grands pas; en arrivant à l'avenue de Saxe, une voix railleuse frappa ses oreilles:

      – Voilà le plaisir, mesdames, voilà le plaisir!

      La petite bonne femme avait fait le tour par l'avenue d'Harcourt. Elle arrivait bras dessus bras dessous avec Jean Lagard. – Le marieur se mit en pleine déroute et gagna le revers des Invalides.

      – En