Le Collier de la Reine, Tome II. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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madame?

      – Jugez-en. Le roi a refusé les cinq cent mille livres.

      – À monsieur de Calonne?

      – À tout le monde. Le roi ne veut plus me donner d'argent. Ces choses là n'arrivent qu'à moi.

      – Mon Dieu! murmura la comtesse.

      – C'est à ne pas croire, n'est-ce pas, comtesse? Refuser, biffer l'ordonnance déjà faite. Enfin, ne parlons plus de ce qui est mort. Vous allez vite retourner à Paris.

      – Oui, madame.

      – Et dire au cardinal, puisqu'il a mis tant de dévouement à me faire plaisir, que j'accepte ses cinq cent mille livres jusqu'au prochain trimestre. C'est égoïste de ma part, comtesse! mais il le faut… j'abuse.

      – Eh! madame, murmura Jeanne, nous sommes perdues, monsieur le cardinal n'a plus d'argent.

      La reine fit un bond, comme si elle venait d'être blessée ou insultée.

      – Plus… d'argent… balbutia-t-elle.

      – Madame, une créance sur laquelle ne comptait plus monsieur de Rohan lui est revenue. C'était une dette d'honneur, il a payé.

      – Cinq cent mille livres?

      – Oui, madame.

      – Mais…

      – Son dernier argent… Plus de ressources!

      La reine s'arrêta comme étourdie par ce malheur.

      – Je suis bien éveillée, n'est-ce pas? dit-elle. C'est bien à moi qu'arrivent tous ces mécomptes? Comment savez-vous cela, comtesse, que monsieur de Rohan n'a plus d'argent?

      – Il me contait ce désastre, il y a une heure et demie, madame. Ce désastre est d'autant moins réparable que les cinq cent mille livres étaient ce qu'on appelle le fond du tiroir.

      La reine appuya son front sur ses deux mains.

      – Il faut prendre un parti, dit-elle.

      «Que va faire la reine?» pensa Jeanne.

      – Voyez-vous, comtesse, c'est une leçon terrible, qui me punira d'avoir fait en cachette du roi une action de médiocre importance, de médiocre ambition ou de mesquine coquetterie. Je n'avais aucun besoin de ce collier, avouez-le?

      – C'est vrai, madame, mais si une reine ne consultait que ses besoins et ses goûts…

      – Je veux consulter avant tout ma tranquillité, le bonheur de ma maison. Il ne fallait rien moins que ce premier échec pour me prouver à combien d'ennuis j'allais m'exposer, combien était féconde en disgrâces la route que j'avais choisie, j'y renonce. Allons franchement, allons librement, allons simplement.

      – Madame!

      – Et pour commencer, sacrifions notre vanité sur l'autel du devoir, comme dirait monsieur Dorat.

      Puis, avec un soupir:

      – Ah! ce collier était bien beau, cependant, murmura-t-elle.

      – Il l'est encore, madame, et c'est de l'argent vivant, ce collier.

      – Dès à présent, il n'est plus qu'un tas de pierres pour moi. Les pierres, on en fait, quand on a joué avec elles, ce que font les enfants après la partie de marelle, on les jette, on les oublie.

      – Que veut dire la reine?

      – La reine veut dire, chère comtesse, que vous allez reprendre l'écrin apporté… par monsieur de Rohan… le reporter aux joailliers Bœhmer et Bossange.

      – Le leur rendre?

      – Précisément.

      – Mais, madame, Votre Majesté a donné deux cent cinquante mille livres d'arrhes.

      – C'est encore deux cent cinquante mille livres que je gagne, comtesse; me voilà d'accord avec les comptes du roi.

      – Madame! madame! s'écria la comtesse, perdre ainsi un quart de million! Car il peut arriver que les joailliers fassent des difficultés pour rendre des fonds dont ils auraient disposé.

      – J'y compte et leur abandonne les arrhes, à condition que le marché sera rompu. Depuis que j'entrevois ce but, comtesse, je me sens plus légère. Avec ce collier sont venus s'installer ici les soucis, les chagrins, les craintes, les soupçons. Jamais ces diamants n'auraient eu assez de feux pour sécher toutes les larmes que je sens peser en nuages sur moi. Comtesse, emportez-moi cet écrin tout de suite. Les joailliers font là une bonne affaire. Deux cent cinquante mille livres de pot-de-vin, c'est un bénéfice; c'est le bénéfice qu'ils faisaient sur moi, et, de plus, ils ont le collier. Je pense qu'ils ne se plaindront pas, et que nul n'en saura rien.

      «Le cardinal n'a agi qu'en vue de me faire plaisir. Vous lui direz que mon plaisir est de n'avoir plus ce collier, et s'il est homme d'esprit, il me comprendra; s'il est bon prêtre, il m'approuvera et m'affermira dans mon sacrifice.»

      En disant ces mots, la reine tendait à Jeanne l'écrin fermé. Celle-ci le repoussa doucement.

      – Madame, dit-elle, pourquoi ne pas essayer d'obtenir encore un délai?

      – Demander… non!

      – J'ai dit obtenir, madame.

      – Demander, c'est s'humilier, comtesse; obtenir, c'est être humiliée. Je concevrais peut-être qu'on s'humiliât pour une personne aimée, pour sauver une créature vivante, fût-ce son chien; mais pour avoir le droit de garder ces pierres qui brûlent comme le charbon allumé sans être plus lumineuses et aussi durables, oh! comtesse, voilà ce que nul conseil ne pourra jamais me décider à accepter. Jamais! Emportez l'écrin, ma chère, emportez!

      – Mais songez, madame, au bruit que ces joailliers vont faire, par politesse, au moins, et pour vous plaindre. Votre refus sera aussi compromettant que l'eût été votre acquiescement. Tout le public saura que vous avez eu les diamants en votre pouvoir.

      – Nul ne saura rien. Je ne dois plus rien à ces joailliers; je ne les recevrai plus; c'est bien le moins qu'ils se taisent pour mes deux cent cinquante mille livres; et mes ennemis, au lieu de dire que j'achète des diamants un million et demi, diront seulement que je jette mon argent dans le commerce. C'est moins désagréable. Emportez, comtesse, emportez, et remerciez bien monsieur de Rohan pour sa bonne grâce et sa bonne volonté.

      Et par un mouvement impérieux, la reine remit l'écrin à Jeanne, qui ne sentit pas ce poids entre ses mains sans une certaine émotion.

      – Vous n'avez pas de temps à perdre, poursuivit la reine; moins les joailliers auront d'inquiétude, plus nous serons assurées du secret; repartez vite, et que nul ne voie l'écrin. Touchez d'abord chez vous, dans la crainte qu'une visite chez Bœhmer à cette heure n'éveille les soupçons de la police, qui certainement s'occupe de ce qu'on fait chez moi; puis, quand votre retour aura dépisté les espions, rendez-vous chez les joailliers, et rapportez-moi un reçu d'eux.

      – Oui, madame, il en sera fait ainsi, puisque vous le voulez.

      Elle serra l'écrin sous son mantelet, ayant soin que rien ne trahît le volume de la boîte, et monta en carrosse avec tout le zèle que réclamait l'auguste complice de son action.

      D'abord, pour obéir, elle se fit conduire chez elle, et renvoya le carrosse chez monsieur de Rohan, afin de ne rien dévoiler du secret au cocher qui l'avait conduite. Ensuite, elle se fit déshabiller pour prendre un costume moins élégant, plus propre à cette course nocturne.

      Sa femme de chambre l'habilla rapidement et observa qu'elle était pensive et distraite durant cette opération, ordinairement honorée de toute l'attention d'une femme de cour.

      Jeanne réellement ne songeait pas à sa toilette, elle se laissait faire, elle tendait sa réflexion vers une idée étrange inspirée par l'occasion.

      Elle se demandait si le cardinal ne commettait pas une grande faute en laissant la reine rendre cette parure, et si la faute commise n'allait pas devenir un amoindrissement pour la fortune que monsieur de Rohan