Le Collier de la Reine, Tome II. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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ambitieux, elle lui faisait espérer plus encore.

      Le roi, habilement conduit par sa femme, devenait l'instrument d'une fortune que désormais rien ne pourrait arrêter. Le prince Louis se sentait plein d'idées; il avait autant de génie politique que pas un de ses rivaux, il entendait la question d'amélioration, il ralliait le clergé au peuple pour former une de ces solides majorités qui gouvernent longtemps par la force et par le droit.

      Mettre à la tête de ce mouvement de réforme la reine, qu'il adorait, et dont il eût changé la désaffection toujours croissante en une popularité sans égale: tel était le rêve du prélat, et ce rêve, un seul mot tendre de la reine Marie-Antoinette pouvait le changer en une réalité.

      Alors, l'étourdi renonçait à ses faciles triomphes, le mondain se faisait philosophe, l'oisif devenait un travailleur infatigable. C'est une tâche aisée pour les grands caractères que de changer la pâleur des débauchés contre la fatigue de l'étude. Monsieur de Rohan fût allé loin, traîné par cet attelage ardent que l'on nomme l'amour et l'ambition.

      Il se crut à l'œuvre dès son retour à Paris, brûla d'un coup une caisse de billets amoureux, appela son intendant pour ordonner des réformes, fit tailler des plumes par un secrétaire pour écrire des mémoires sur la politique de l'Angleterre, qu'il comprenait à merveille, et, depuis une heure au travail, il commençait à rentrer dans la possession de lui-même, lorsqu'un coup de sonnette l'avertit, dans son cabinet, qu'une visite importante lui arrivait.

      Un huissier parut.

      – Qui est là? demanda le prélat.

      – La personne qui a écrit ce matin à monseigneur.

      – Sans signer?

      – Oui, monseigneur.

      – Mais cette personne a un nom. Demandez-le-lui.

      L'huissier revint le moment d'après:

      – Monsieur le comte de Cagliostro, dit-il.

      Le prince tressaillit.

      – Qu'il entre.

      Le comte entra, les portes se refermèrent derrière lui.

      – Grand Dieu! s'écria le cardinal, qu'est-ce que je vois?

      – N'est-ce pas, monseigneur, dit Cagliostro avec un sourire, que je ne suis guère changé?

      – Est-il possible… murmura monsieur de Rohan, Joseph Balsamo vivant, lui qu'on disait mort dans cet incendie. Joseph Balsamo…

      – Comte de Foenix, vivant, oui, monseigneur, et vivant plus que jamais.

      – Mais, monsieur, sous quel nom vous présentez-vous alors… et pourquoi n'avoir pas gardé l'ancien?

      – Précisément, monseigneur, parce qu'il est ancien et qu'il rappelle, à moi d'abord, aux autres ensuite, trop de souvenirs tristes ou gênants. Je ne parle que de vous, monseigneur; dites-moi, n'eussiez-vous pas refusé la porte à Joseph Balsamo?

      – Moi! mais, non, monsieur, non.

      Et le cardinal, encore stupéfait, n'offrait pas même un siège à Cagliostro.

      – C'est qu'alors, reprit celui-ci, Votre Éminence a plus de mémoire et de probité que tous les autres hommes ensemble.

      – Monsieur, vous m'avez autrefois rendu un tel service…

      – N'est-ce pas, monseigneur, interrompit Balsamo, que je n'ai pas changé d'âge, et que je suis un bien bel échantillon des résultats de mes gouttes de vie.

      – Je le confesse, monsieur, mais vous êtes au-dessus de l'humanité, vous qui dispensez libéralement l'or et la santé à tous.

      – La santé, je ne dis pas, monseigneur; mais l'or… non, oh! non pas…

      – Vous ne faites plus d'or?

      – Non, monseigneur!

      – Et mais pourquoi?

      – Parce que j'ai perdu la dernière parcelle d'un ingrédient indispensable que mon maître, le sage Althotas, m'avait donné après sa sortie d'Égypte. La seule recette que je n'aie jamais eue en propre.

      – Il l'a gardée?

      – Non… c'est-à-dire oui, gardée ou emportée dans le tombeau, comme vous voudrez.

      – Il est mort.

      – Je l'ai perdu.

      – Comment n'avez-vous pas prolongé la vie de cet homme, indispensable receleur de l'indispensable recette, vous qui vous êtes gardé vivant et jeune depuis des siècles, à ce que vous dites?

      – Parce que je puis tout contre la maladie, contre la blessure, mais rien contre l'accident qui tue sans qu'on m'appelle.

      – Et c'est un accident qui a terminé les jours d'Althotas!

      – Vous avez dû l'apprendre, puisque vous saviez ma mort, à moi.

      – Cet incendie de la rue Saint-Claude, dans lequel vous avez disparu…

      – A tué Althotas tout seul, ou plutôt le sage, fatigué de la vie, a voulu mourir.

      – C'est étrange.

      – Non, c'est naturel. Moi, j'ai songé cent fois à en finir de vivre à mon tour.

      – Oui, mais vous y avez persisté, cependant.

      – Parce que j'ai choisi un état de jeunesse dans lequel la belle santé, les passions, les plaisirs du corps me procurent encore quelque distraction; Althotas, au contraire, avait choisi l'état de vieillesse.

      – Il fallait qu'Althotas fît comme vous.

      – Non pas, il était un homme profond et supérieur, lui; de toutes les choses de ce monde, il ne voulait que la science. Et cette jeunesse au sang impérieux, ces passions, ces plaisirs, l'eussent détourné de l'éternelle contemplation; monseigneur, il importe d'être exempt toujours de fièvre; pour bien penser, il faut pouvoir s'absorber dans une somnolence imperturbable.

      «Le vieillard médite mieux que le jeune homme, aussi quand la tristesse le prend, n'y a-t-il plus de remède. Althotas est mort victime de son dévouement à la science. Moi, je vis comme un mondain, je perds mon temps et ne fais absolument rien. Je suis une plante… je n'ose dire une fleur; je ne vis pas, je respire.

      – Oh! murmura le cardinal, avec l'homme ressuscité, voilà tous mes étonnements qui renaissent. Vous me rendez, monsieur, à ce temps où la magie de vos paroles, où le merveilleux de vos actions doublaient toutes mes facultés, et rehaussaient à mes yeux la valeur d'une créature. Vous me rappelez les vieux rêves de ma jeunesse. Il y a dix ans, savez – vous, que vous m'ayez apparu.

      – Je le sais, nous avons bien baissé tous deux, allez. Monseigneur, moi je ne suis plus un sage, mais un savant. Vous, vous n'êtes plus un beau jeune homme, mais un beau prince. Vous souvient-il, monseigneur, de ce jour où dans mon cabinet, rajeuni aujourd'hui par les tapisseries, je vous promettais l'amour d'une femme dont ma voyante avait consulté les blonds cheveux?

      Le cardinal pâlit, puis rougit tout à coup. La terreur et la joie venaient de suspendre successivement les battements de son cœur.

      – Je me souviens, dit-il, mais avec confusion…

      – Voyons, fit Cagliostro en souriant, voyons si je pourrais encore passer pour un magicien. Attendez que je me fixe sur cette idée.

      Il réfléchit.

      – Cette blonde enfant de vos rêves amoureux, dit-il après un silence, où est-elle? Que fait-elle? Ah! parbleu! je la vois; oui… et vous-même l'avez vue aujourd'hui. Il y a plus encore, vous sortez d'auprès d'elle.

      Le cardinal appuya une main glacée sur son cœur palpitant.

      – Monsieur, dit-il si bas que Cagliostro l'entendit à peine, par grâce…

      – Voulez-vous que nous parlions d'autre chose? fit le devin avec courtoisie. Oh! je suis bien à vos ordres, monseigneur.