Les amours d'une empoisonneuse. Emile Gaboriau. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Gaboriau
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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voie de salut vous est ouverte, partez, au nom du ciel, partez!

      – Le chevalier a raison, reprit le financier, le temps presse, venez, madame.

      La jeune femme s'élança au cou de son amant.

      – Mais comment saurai-je?..

      – Un nœud à ce mouchoir que vous portera La Chaussée, vous dira que je suis à la Bastille; deux, hors de Paris; trois, hors de France.

      – Encore une fois, partons! s'écria Penautier; on monte…

      Et arrachant la jeune femme aux étreintes de son amant, il l'emporta presque dans le passage secret.

      Le panneau tourna de nouveau, toute trace d'issue disparut.

      Il était temps, on heurtait à la porte.

      Sainte-Croix n'attendit pas que des sommations fussent réitérées: s'enveloppant de son manteau, enfonçant son feutre sur son front, et s'assurant que son épée jouait bien dans le fourreau, il marcha droit à la porte et l'ouvrit.

      Il se trouva face à face avec Desgrais.

      Quatre sergents suivaient leur chef. Dans la pénombre du couloir, le lieutenant civil et ses deux fils attendaient en groupe.

      Enfin, sur les dernières marches de l'escalier, deux agents surveillaient La Chaussée.

      Sainte-Croix prit l'offensive:

      – Que voulez-vous, monsieur? demanda-t-il à Desgrais d'un ton hautain et impératif.

      – Et d'abord, répliqua l'exempt sans se laisser intimider, veuillez répondre à mes questions.

      – J'écoute, dit le jeune homme, se faisant visiblement violence pour conserver son sang-froid.

      – Êtes-vous bien le chevalier Guadin de Sainte-Croix?

      – C'est moi-même.

      – Capitaine au régiment de Tracy?

      – Oui.

      – Alors livrez-nous passage, il y a dans cette chambre quelqu'un à qui nous avons affaire.

      Le chevalier haussa les épaules.

      – Vous vous trompez, mon maître, dit-il, il n'y a personne.

      – Il ment, fit une voix dans le couloir.

      Cette voix était celle de M. Dreux d'Aubray.

      – Il ment, continua le vieillard, mais cette ruse ne sauvera pas sa complice. Entrez donc, messieurs, et faites votre devoir.

      Un éclair de haine passa dans le regard de Sainte-Croix et alla frapper le lieutenant entre ses deux fils.

      – Je ne sais ce que prétend celui qui m'accuse de mensonge et qui se cache là-bas, fit Sainte-Croix avec un sang-froid merveilleusement joué. En tout autre temps, en tout autre lieu, je saurais bien le faire repentir de son imprudente parole. Mais on doit le respect aux ordres du roi, et vous avez un ordre, n'est-il pas vrai, monsieur?

      – Le voici, monsieur, fit Desgrais en exhibant un parchemin.

      Sainte-Croix, qui ne démasquait pas la porte, parcourut minutieusement le papier.

      – Mais qu'attendez-vous: donc? criait le lieutenant civil, entrez, entrez!

      Sainte-Croix calcula que la marquise et Penautier devaient être hors de danger, et qu'on pouvait impunément forcer le passage secret, si ou venait par hasard à le découvrir: il se recula de deux pas, et dit ironiquement aux sergents:

      – Faites ce qu'on vous dit, messieurs, entrez.

      Desgrais se rua le premier. En un instant tous les coins et recoins de la chambre furent explorés, fouillés, sondés par l'exempt et par ses hommes.

      – L'oiseau est déniché, s'écria l'exempt, mais sur mon âme, il était au nid, voilà encore ses plumes!

      Et il montrait avec dépit au lieutenant civil et à ses deux fils, qui s'étaient élancés à sa suite, la mante et les vêtements encore humides abandonnés par la marquise dans le cabinet de toilette.

      – Elle ne saurait nous échapper, s'écria M. d'Aubray, ce cabaret n'a qu'une issue.

      – Eh! répliqua Desgrais, sait-on jamais à quoi s'en tenir avec ces maisons à double face, tavernes en bas, boudoirs en haut, machinés pour l'intrigue et toutes percées de trappes et de mystérieux passages!

      – Cherchez partout, alors, sondez les murs, ne laissez pas pierre sur pierre.

      – Inutile, je connais mon métier; celle que nous poursuivons est à l'abri de nos recherches.

      – Celui-ci est resté pourtant, dit M. d'Aubray en montrant Sainte-Croix.

      – Pardieu! il assurait la retraite. Oh! mais c'est égal, je prendrai ma revanche.

      Pendant tout ce colloque, le chevalier était resté immobile, accoudé à la cheminée.

      Le lieutenant civil se retourna vers lui.

      – Finissons-en, commanda-t-il.

      Aussitôt Desgrais s'approcha du capitaine, et le touchant à l'épaule:

      – Au nom du roi, dit-il, je vous arrête, et vous somme de me suivre.

      – Marchons, dit tranquillement Sainte-Croix.

      Et il s'engagea dans l'escalier, précédé de deux sergents.

      Arrivé à la porte, devant laquelle stationnait une voiture:

      – Puis-je savoir où vous me conduisez? demanda-t-il.

      – A la Bastille, répondit le lieutenant civil.

      Sainte-Croix s'inclina sans mot dire, tandis qu'un sergent passait devant lui pour ouvrir la portière; mais pendant ce mouvement, il avait eu le temps de faire un nœud au coin de son mouchoir. Se reculant alors, il coudoya La Chaussée, debout, entre deux des hommes de Desgrais, et put lui glisser le mouchoir, avec ces deux mots:

      – Pour la marquise.

      – Allons, montez donc, monsieur, dit le lieutenant civil avec impatience, nous n'avons déjà perdu que trop de temps.

      – Mort de Dieu! hurla Sainte-Croix, laissant éclater l'orage terrible qui depuis une heure s'amassait dans son âme, c'en est trop, à la fin, monsieur le lieutenant civil!

      Et avec une force irrésistible, écartant les gardes qui l'entouraient, il tira son épée qu'on avait oublié de lui enlever.

      – A vous, messieurs, cria-t-il aux fils de M. d'Aubray, à vous, lâches qui vous dites gentilshommes, qui oubliez votre épée, et n'avez au service de l'honneur d'une femme qu'une lettre de cachet et des suppôts de police.

      Et avec un rugissement qui appartenait plutôt à une bête fauve qu'à une créature humaine, affolé par la fureur, il se précipita la tête baissée sur les deux jeunes gens.

      Mais déjà les hommes de Desgrais étaient revenus de leur surprise. Ils se jetèrent sur lui et le serrèrent de si près, qu'il ne put faire usage de son épée.

      – Je me rends, dit-il en laissant tomber son arme.

      On le poussa alors dans la voiture où prirent place avec lui Desgrais et deux sergents.

      M. d'Aubray lui-même referma la portière, et, se reculant un peu, fit signe au cocher de partir en lui jetant cet ordre sinistre:

      – A la Bastille!

      Un escalier dérobé avait rapidement conduit madame de Brinvilliers et son sauveur improvisé jusqu'au carrosse de celui-ci qui stationnait dans une petite rue parallèle à celle de l'Arbre-Sec, et où l'hôtellerie du More-qui-Trompe avait, comme la plupart des lieux de rendez-vous de l'époque, une sortie de dégagement.

      Quelques instants plus tard, le carrosse de Penautier les emportait tous deux vers la rue des Lions-Saint-Paul.

      Toute trace du danger passé avait disparu sur le visage de la marquise.

      La