Les amours d'une empoisonneuse. Emile Gaboriau. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Gaboriau
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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se ravisant:

      – Surtout, cria-t-il à son beau-père, dites bien au chevalier que je ne suis pour rien dans cette sotte affaire.

      III

      L'HÔTELLERIE DU MORE-QUI-TROMPE

      Le marquis de Brinvilliers n'avait rien dit que de vrai lorsqu'il avait parlé de la somptuosité des appartements qui composaient le premier étage de l'hôtellerie du More-qui-Trompe.

      Maître Hugonnet, en homme qui connaît les besoins de son époque, s'était appliqué à réunir en cette partie de son logis toutes les superfluités du luxe le plus raffiné, et s'il continuait à tenir au rez-de-chaussée un cabaret borgne des plus mal hantés, c'est qu'il savait que cette honteuse et sordide apparence ajoutait à la sécurité de ses hôtes, grands seigneurs ou grandes dames, qui venaient demander à sa maison un abri sûr pour leurs amours.

      Et, disons-le en passant, maître Hugonnet ne manquait pas de pratiques, et des meilleures, – si bien que ses voisins, tout en blâmant son industrie, ne pouvaient s'empêcher d'envier la fortune assez rondelette qu'ils lui supposaient.

      Certes, en entrant dans la salle commune, l'observateur le plus attentif ne se fût jamais douté des mystères des étages supérieurs.

      Les poutres du plafond étaient noires et humides, les murs maculés; les tables boiteuses et malpropres, et le sol presque aussi détrempé que celui de la rue.

      Enfin, l'escalier de bois à peine équarri, dont on apercevait dans le fond les premières marches disjointes, ne semblait pouvoir conduire qu'à de misérables greniers.

      Mais, dès la dixième marche, cet escalier changeait d'aspect. Une triple porte soigneusement capitonnée et recouverte, du côté du cabaret, de lambeaux d'étoffe, le fermait en cet endroit.

      Cette porte poussée, les enchantements commençaient.

      La rampe était en bois précieux, d'épais tapis couvraient les degrés, de hautes tentures tombaient en plis soyeux le long des murailles.

      La marquise, ainsi que nous l'avons dit, gravit rapidement cet escalier, et, ouvrant une petite porte cachée au fond d'un corridor étroit, pénétra dans un riche appartement où la main prévoyante de maître Hugonnet avait tout disposé pour la recevoir.

      Des bougies parfumées brûlaient dans les candélabres, un grand feu flambait joyeusement dans la cheminée, et, dans l'un des angles de l'appartement, sur une petite table de bois de rose, était servie une délicate collation.

      La porte soigneusement fermée, la jeune femme se débarrassa de sa mante, ôta son masque et échangea promptement ses vêtements souillés de boue et percés par la pluie, contre un négligé des plus galants, préparé dans un cabinet de toilette.

      Alors seulement elle parut respirer; la grande dame se sentait chez elle.

      Elle roula près de la cheminée un vaste fauteuil, s'y allongea paresseusement et présenta à la douce chaleur du foyer ses pieds mignons chaussés de délicieuses mules de velours.

      Madame la marquise Marie-Madeleine de Brinvilliers était alors dans tout l'éclat de sa beauté; sa taille était petite, mais admirablement prise et harmonieusement proportionnée; le pur ovale de sa figure avait toutes ces grâces enfantines, toute cette ravissante mignardise dont Largillière a doué certains portraits des femmes du grand règne.

      Ses yeux bleus, calmes et profonds, avaient d'adorables caresses et voilaient parfois leurs rayons d'une douce mélancolie.

      Dans la pourpre de ses lèvres, un peu dédaigneuses, flamboyaient une double rangée de perles.

      Nulle crainte, nulle émotion ne troublèrent jamais la régularité de cette figure candide.

      Telle était la puissance prodigieuse de la marquise sur elle-même, que jamais son visage ne trahissait les angoisses horribles, les poignantes émotions qui torturaient son âme.

      Plus tard, mêlée aux drames les plus sombres, aux plus épouvantables crimes, elle garda toujours, même devant les juges, même dans la chambre de torture, cette froide et souriante impassibilité. Nul ne la vit se troubler ou rougir.

      On eût dit une admirable statue, chef-d'œuvre taillé dans un bloc de glace des mers australes. Galathée, avant que Pygmalion eût pour elle dérobé l'étincelle de vie…

      Depuis un quart d'heure environ, madame de Brinvilliers sommeillait au coin du foyer, lorsque le timbre sonore d'une grande horloge, placée entre deux fenêtres, la fit tressaillir.

      – Il ne vient pas, murmura-t-elle, et moi qui craignais de le faire attendre!

      Elle se leva et fit quelques pas à travers la chambre avec une visible impatience.

      – Lui serait-il arrivé quelque chose? murmura-t-elle.

      Mais, au même moment, la porte s'ouvrit et Sainte-Croix, souriant, apparut sur le seuil.

      – Enfin! exclama la marquise, et, de son doigt, elle montrait l'horloge qui marquait dix heures et demie.

      – Oui, je le sais, dit le chevalier, j'ai à implorer mon pardon.

      Et, se laissant glisser à genoux aux pieds de la marquise, il couvrit de baisers les belles mains qu'elle lui tendait.

      – Pourtant, dit-il en se relevant, je vous assure que ces quelques minutes me coûtent assez cher. J'ai, pour accourir plus vite, laissé passer un fort joli tas de pistoles dans la poche de maître Hanyvel.

      – Vous jouerez donc toujours, chevalier?

      – Eh! dit tendrement Sainte-Croix, loin de vos beaux yeux, que voulez-vous que je fasse?

      Oui, je joue, faute de mieux; mais, je vous en prie, mon cher cœur, ne parlons pas de ces misères, nos heures sont trop précieuses pour penser à autre chose qu'à notre amour.

      – Hélas! fit tristement la marquise, ces heures que nous passons chaque soir ensemble et qui sont toute ma joie, vont peut-être nous être enlevées!

      – Que voulez-vous dire, Madeleine?

      – Je ne sais, mon ami, mais je sens au cœur une vague inquiétude, comme si un grand danger nous menaçait; M. Dreux d'Aubray…

      – Quoi! votre père, encore! s'écria le chevalier. Oh! qu'il prenne garde!

      Je n'ai pas oublié que par lui est venu le plus grand malheur de ma vie; que par lui j'ai été honteusement chassé de votre hôtel.

      – Il est mon père, chevalier!..

      – Oui, Madeleine; mais je vous aime, moi; mais vous m'aimez, mais pour vous je donnerais avec ivresse la dernière goutte de mon sang, et mes droits sur vous sont plus sacrés que les siens…

      Oh! je vous le répète, qu'il prenne garde!

      Sainte-Croix s'était levé en prononçant ces paroles, la lèvre tremblante de colère, l'œil étincelant, les mains crispées, et comme s'il eût eu devant lui cet ennemi dont il voulait se venger.

      La marquise, calme et souriante, le regardait tendrement. Cette fureur, à la seule idée de la perdre, n'était-elle pas une preuve d'amour?

      – Calmez-vous, chevalier, dit-elle enfin, nul danger sérieux ne nous menace encore.

      – Alors, pourquoi parler comme vous l'avez fait, chère et bien-aimée Madeleine?

      Puis-je rester calme lorsque je pense à la possibilité de vous perdre?

      Ne plus vous voir! mais à cette idée je me sens hors de moi, parce que rien ne me semble pire, non, rien, pas même la mort…

      – Allons, chassez ces vilaines idées, répondit la marquise, et dites-moi plutôt si vous avez enfin des nouvelles de notre enfant.

      Sainte-Croix ne répondit pas.

      – Eh quoi! reprit la marquise, rien encore?

      – Rien!

      – Et vous dites que, loin de moi, les heures vous semblent lentes à mourir,