Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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il la tira des chairs de la pauvre bête, qui, soulagée aussitôt, se remit à bondir sur ses quatre pieds, et à bondir joyeusement. Aussi joyeuse que lui, Éva se mit à bondir avec lui: comme elle avait partagé ses douleurs, elle partageait sa joie.

      Quelques jours après, la vieille Marthe fit une chute dans l'escalier. Éva était seule à la maison avec elle, elle avait entendu le bruit de cette chute, elle était descendue précipitamment, elle trouva Marthe étendue sur le palier.

      La vieille femme s'était démis le genou dans sa chute. Éva voulut l'aider à se relever, mais c'était impossible, sa force ne lui permettait pas de soulever la vieille servante.

      Elle voulut examiner la plaie, comme elle avait fait pour Scipion, mais il n'y avait pas de plaie; force fut donc d'attendre le docteur, qui, n'étant jamais longtemps dehors, revint quelques minutes après l'accident.

      Dès qu'Éva l'entendit rentrer, elle le reconnut à sa manière d'ouvrir et de fermer la porte. Elle appela de toutes ses forces et d'une voix plus inquiète et plus émue qu'elle n'avait jamais fait pour Scipion.

      Le docteur monta, et, voyant Marthe assise sur l'escalier, il craignit un accident plus grave que celui qui était arrivé, c'est-à-dire une fracture.

      Mais, à la première inspection du genou, il reconnut une simple luxation, prit la vieille dans ses bras, et l'emporta dans sa chambre, suivi d'Éva qui était suivie de Scipion.

      Quant au Président, le bruit de la chute l'avait effrayé, et, abandonnant à son malheureux sort celle qui avait pour lui le cœur et les soins d'une nourrice, il s'était élancé par une fenêtre et avait gagné les toits.

      Pendant toute cette journée, Éva ne joua point et resta dans la chambre de Marthe; mais comme l'indisposition n'était pas grave, dès le lendemain elle se remit à sa vie habituelle.

      Nous avons dit qu'Antoine, en frappant trois fois du pied, en criant sur le seuil de la porte: Cercle de justice!centre de vérité! avait gagné les bonnes grâces d'Éva, qui s'était toujours tenue vis-à-vis de lui néanmoins dans la mesure d'un salut amical.

      Un jour qu'elle était seule avec Scipion dans le laboratoire, Jacques Mérey étant dans le cabinet à côté, le porteur d'eau monta son seau habituel au deuxième étage, frappa du pied, prononça les paroles sacramentelles; et, comme il faisait chaud, que son front ruisselait de sueur et que la jeune fille était seule, il crut pouvoir se permettre, la croyant toujours idiote, de s'écrier devant elle:

      – Sacrisiti! qu'il fait chaud. Je boirais bien un coup.

      Éva le regarda, le vit en effet rouge et couvert de sueur, s'essuyant le front avec sa manche.

      – Attends, lui dit-elle.

      C'était un mot dont elle se servait depuis longtemps, nous l'avons vu, pour commander l'attention.

      Et elle s'élança hors du laboratoire.

      Antoine tout étonné attendit en effet.

      Un instant après, Éva remonta avec un beau verre d'eau claire à la main, et le présenta au journalier.

      – Ah! mademoiselle, dit-il, c'est bien gentil de votre part; mais, comme j'en vends, si j'avais eu soif d'eau, j'aurais pu en boire.

      En ce moment, du cabinet où était Jacques Mérey sortirent ces trois mots:

      – Du vin, Éva!

      Éva savait ce que c'était que du vin, quoiqu'elle n'en eût jamais bu, malgré les instances du docteur, mais elle lui en avait vu boire.

      Elle descendit, en conséquence, et pensant que, quand on offrait du vin à l'homme qui a chaud, il fallait lui en offrir beaucoup et du meilleur, elle lui monta un verre plein de bordeaux.

      En voyant la couleur du breuvage qui lui était offert, Antoine sourit béatifiquement.

      Puis, prenant le verre des mains d'Éva, comme il eût fait d'un verre de vin de Suresnes ou de vin d'Argenteuil, il avala d'un coup, et sans prendre la peine de le déguster, le contenu du verre que lui offrait Éva.

      Éva, joyeuse, le regarda faire.

      Le vin avalé, Antoine cligna de l'œil et fit clapper sa langue.

      – Bon? demanda Éva.

      – Velours! répondit laconiquement Antoine.

      Puis le porteur d'eau vida son seau dans le récipient ordinaire et s'éloigna.

      – Velours? demanda Éva au docteur rentrant dans son laboratoire. Velours?

      Si le docteur n'eût point entendu la demande d'Éva et la réponse d'Antoine, il eût été fort embarrassé pour répondre à la question de son élève.

      Mais il prit dans l'armoire où il enfermait ses effets un habit de velours, fit passer à l'enfant sa main dessus, et, lui faisant le signe d'un homme qui fait glisser lentement sa main sur son estomac, il lui répéta le mot:

      – Velours!

      Alors, Éva comprit que le vin avait fait à l'estomac d'Antoine juste le même effet que le toucher du velours avait fait à sa main.

      Et elle en demeura toute joyeuse le reste de la journée.

      Jacques Mérey était non moins joyeux qu'elle, car il disait, en se rappelant l'épine de Scipion, la foulure de la vieille Marthe et le verre de vin d'Antoine:

      – Non seulement elle sera belle, mais elle sera bonne.

      X

      Ève et la pomme

      Peu à peu, et seulement avec plus de vitesse qu'un enfant n'apprend à parler, Éva en vint à exprimer par la parole à peu près toutes ses pensées; seulement, comme tous les peuples primitifs, elle fut longtemps à s'habituer à mettre les verbes à leurs temps, s'obstinant à s'en servir seulement à l'infinitif; mais, lorsqu'il s'agit de lui apprendre à lire, ce fut un bien autre travail.

      Éva, qui avait toutes les curiosités de la nature, qui ne voyait pas un objet nouveau sans demander le nom de cet objet et sans le graver aussitôt dans sa mémoire, Éva n'avait aucune des curiosités de la science.

      Elle méprisait profondément les livres et ce qu'ils contenaient. Les seuls qu'elle appréciât étaient les livres à gravures, et encore, quand elle regardait la gravure, si Jacques Mérey se refusait à lui en donner l'explication – ce qu'il faisait de temps en temps pour exciter sa curiosité – , elle passait sans se plaindre et sans insister aux gravures suivantes. Le docteur se demandait comment il parviendrait à vaincre une pareille insouciance.

      Il chercha quelque temps, puis une idée lui vint qui lui parut et qui en effet était en tout point lumineuse. Un jour, il prépara du phosphore, prit Éva par la main, descendit dans la cave, en ferma le soupirail de manière que la lumière n'y pénétrât point; puis alors, avec un pinceau, il traça sur la muraille la première lettre de l'alphabet: la lettre à l'instant même apparut toute en flamme.

      Éva jeta un petit cri; mais sa peur disparut bientôt à côté de cette lettre qui s'effaçait lentement c'est vrai, mais qui allait s'effaçant. Il traça un b, puis un c, puis un d, puis un e.

      Il s'arrêta à ces cinq lettres.

      – Encore? dit Éva.

      Oui, répondit Jacques, mais quand tu les auras nommées l'une après l'autre et que tu les sauras par cœur.

      Et il traça de nouveau un a sur la muraille.

      – Quelle est cette lettre, demanda le docteur.

      Éva fit un effort, et, tandis que la lettre allait s'effaçant:

      – Un a, un a, dit-elle.

      Le docteur sourit. Il avait trouvé le moyen d'intéresser la curiosité d'Éva à l'endroit de cette chose si abstraite et si difficile pour les enfants qu'on appelle la lecture.

      Un mois après, Éva savait lire.

      Il n'en était point de même pour la musique.

      Éva