Lettres à Mademoiselle de Volland. Dénis Diderot. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dénis Diderot
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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pour l'aller retrouver37… J'ai rendez-vous chez lui, au sortir d'ici… Quel plaisir j'ai eu à le revoir et à le recouvrer! Avec quelle chaleur nous nous sommes serrés! Mon cœur nageait. Je ne pouvais lui parler, ni lui non plus. Nous nous embrassions sans mot dire, et je pleurais. Nous ne l'attendions pas. Nous étions tous au dessert quand on l'annonça: C'est monsieur Grimm. – C'est monsieur Grimm! repris-je, avec un cri; et je me levai, et je courus à lui, et je sautai à son cou! Il s'assit, il dîna mal, je crois. Pour moi, je ne pus desserrer les dents, ni pour manger, ni pour parler. Il était à côté de moi. Je lui serrais la main, et je le regardais. Jugez combien je vais être heureux tout à l'heure que je vous reverrai!.. Après dîner, notre tendresse reprit; mais elle fut un peu moins muette. Je ne sais comment le Baron, qui est un peu jaloux, et qui peut-être est un peu négligé, regardait cela. Je sais seulement que ce fut un spectacle bien doux pour les autres; car ils me l'ont dit. Enfin, chère amie, il est ici; quand il a su que vous y étiez aussi, il m'a dit: Et que faites-vous donc dans ces champs!..

      On en a usé avec nous comme avec un amant et une maîtresse pour qui on aurait des égards; on nous a laissés seuls dans le salon; on s'est retiré, le Baron même. Il faut que notre entrevue l'ait singulièrement frappé. Mais à propos du Baron, le lendemain de son incartade, il entre chez moi le matin, et il me dit: «Il est une mauvaise qualité que j'ai parmi beaucoup d'autres que vous me connaissiez déjà: c'est que, sans être avare, je suis mauvais joueur; je vous ai brusqué hier, bien ridiculement; j'en suis bien taché.» Comment trouvez-vous ce procédé? Très-beau, je pense! Adieu, ma Sophie; estimez le Baron: si vous le connaissiez, vous l'aimeriez trop.

      XIX

9 octobre 1759.

      La chaleur d'hier au soir est bien tombée. Je ne sens plus ce matin qu'une chose, c'est que je m'éloigne de vous. Tandis que M. de Montamy38 et le Baron prennent des arrangements pour la distribution d'un cabinet d'histoire naturelle qui est resté enfermé dans des caisses depuis dix ans, je m'amuse à causer encore un moment avec vous. Ne trouvez-vous pas singulier que l'histoire naturelle soit la passion dominante de cet ami? qu'il se soit pourvu à grands frais de tout ce qu'il y a de plus rare en ce genre, et que cette précieuse collection soit restée des années entières dans le fond d'une écurie, entre la paille et le fumier? Les goûts des hommes sont passagers: ils n'ont que des jouissances d'un moment. Ah! chère femme, quelle différence d'un homme à un autre! mais aussi quelle différence d'une femme à une autre!

      Adieu, ma tendre amie; vous n'attendiez pas de moi ce billet, il vous en sera plus doux. Je m'en vais, et je souffre; je ne devinais guère hier au soir mon abattement de ce matin. Que serait-ce donc, si j'allais à mille lieues? Que serait-ce, si je vous perdais? mais je ne vous perdrai pas; il faut bien que je le croie, et que je me le dise pour n'être pas fou. Adieu.

      XX

9 octobre 1759.

      Je suis chez mon ami, et j'écris à celle que j'aime. Ô vous, chère femme, avez-vous vu combien vous faisiez mon bonheur! Savez-vous enfin par quels liens je vous suis attaché? Doutez-vous que mes sentiments ne durent aussi longtemps que ma vie? J'étais plein de la tendresse que vous m'aviez inspirée quand j'ai paru au milieu de nos convives; elle brillait dans mes yeux; elle échauffait mes discours; elle disposait de mes mouvements; elle se montrait en tout. Je leur semblais extraordinaire, inspiré, divin. Grimm n'avait pas assez de ses yeux pour me regarder, pas assez de ses oreilles pour m'entendre; tous étaient étonnés; moi-même j'éprouvais une satisfaction intérieure que je ne saurais vous rendre. C'était comme un feu qui brûlait au fond de mon âme, dont ma poitrine était embrasée, qui se répandait sur eux et qui les allumait. Nous avons passé une soirée d'enthousiasme dont j'étais le foyer. Ce n'est pas sans regret qu'on se soustrait à une situation aussi douce. Cependant il le fallait; l'heure de mon rendez-vous m'appelait: j'y suis allé. J'ai parlé à d'Alembert comme un ange. Je vous rendrai cette conversation au Grandval. Au sortir de l'allée d'Argenson, où vous n'étiez pas, je suis rentré chez Montamy, qui n'a pu s'empêcher de me dire en me quittant: «Ah! mon cher monsieur, quel plaisir vous m'avez fait!» Et moi, je répondais tout bas à l'homme froid que j'avais remué: Ce n'est pas moi; c'est elle, c'est elle qui agissait en moi À huit heures je l'ai quitté. Je suis chez lui39; je l'attends, et en l'attendant je rends compte des moments doux qu'ils vous doivent et que je vous dois: mais le voilà venu. Adieu, ma Sophie, adieu, chère femme! je brûle du désir de vous revoir, et je suis à peine éloigné de vous. Demain à neuf heures je serai chez le Baron. Ah! si j'étais à côté de vous, combien je vous aimerais encore! Je me meurs de passion. Adieu, adieu.

      XXI

Au Grandval, 11 octobre 1759.

      Je vois, ma tendre amie, que Grimm ne s'est pas acquitté bien exactement de sa commission. Je vous écrivais de chez lui avant-hier au soir; vous pouviez avoir ma lettre hier de bon matin, savoir qu'à neuf heures je serais chez le Baron, et me dire un petit mot d'adieu.

      Nous dînâmes chez Montamy avec la gaieté que je vous ai dit. À six heures j'étais dans l'allée d'Argenson. Je regardai plusieurs fois sur un certain banc, je regardai aussi aux environs; mais je ne vis ni celle que je désirais, ni celle que je craignais; et je pensai que le temps incertain et froid vous aurait retenue à la maison, que vous y causiez avec le gros abbé40, et que peut-être il faisait à votre mère des questions auxquelles vous aviez la bonté de répondre pour elle.

      Je vous ai promis le détail de ce qui s'est dit entre d'Alembert et moi; le voici presque mot pour mot. Il débuta par un exorde assez doux: c'était notre première entrevue depuis la mort de mon père et mon voyage de province. Il me parla de mon frère, de ma sœur, de mes arrangements domestiques, de ma petite fortune et de tout ce qui pouvait m'intéresser et me disposer à l'entendre favorablement; puis il ajouta (car il en fallait bien venir à un objet auquel j'avais la malignité de me refuser): «Cette absence a dû retentir un peu votre travail – Il est vrai; mais depuis deux mois j'ai bien compensé te temps perdu, si c'est perdre le temps que d'assurer son sort à venir. – Vous êtes donc fort avancé? – Mes articles de philosophie sont tous faits; ce ne sont ni tes moins difficiles ni tes plus courts; et la plupart des autres sont ébauchés. – Je vois qu'il est temps que je m'y mette. – Quand vous voudrez. – Quand tes libraires voudront. Je tes ai vus; je leur ai fait des propositions raisonnables; s'ils tes acceptent, je me livre à l'Encyclopédie comme auparavant; sinon, je m'acquitterai de mes engagements à la rigueur. L'ouvrage n'en sera pas mieux, mais ils n'auront rien de plus à me demander. – Quelque parti que vous preniez, j'en serai content. – Ma situation commence à devenir désagréable: on ne paye point ici nos pensions; celles de Prusse sont arrêtées; nous ne touchons plus de jetons à l'Académie française. Je n'ai d'ailleurs, comme vous savez, qu'un revenu fort modique; je ne dois ni mon temps ni ma peine à personne, et je ne suis plus d'humeur à en faire présent à ces gens-là. – Je ne vous blâme pas; il faut que chacun pense à soi – Il reste encore six à sept volumes à foire. Ils me donnaient, je crois, 500 francs par volume lorsqu'on imprimait, il faut qu'ils me tes continuent; c'est un millier d'écus qu'il leur en coûtera; les voilà bien à plaindre! mais aussi ils peuvent compter qu'avant Pâques prochain le reste de ma besogne sera prêt. – Voilà ce que vous leur demandez? – Oui. Qu'en pensez-vous? – Je pense qu'au lieu de vous fâcher, comme vous fîtes, il y a six mois, lorsque nous nous assemblâmes pour délibérer sur la continuation de l'ouvrage, si vous eussiez fait aux libraires ces propositions, ils tes auraient acceptées sur-le-champ; mais aujourd'hui qu'ils ont tes plus fortes raisons d'être dégoûtés de vous, c'est autre chose. – Et quelles sont ces raisons? – Vous me les demandez? – Sans doute. – Je vais donc vous tes dire. Vous avez un traité avec tes libraires; vos honoraires y sont stipulés, vous n'avez rien à exiger au delà. Si vous avez plus travaillé que vous ne deviez, c'est par intérêt pour l'ouvrage, c'est par amitié pour moi, c'est par égard pour vous-même: on ne paye point en argent ces motifs-là. Cependant ils vous ont envoyé vingt louis à chaque volume; c'est cent quarante louis que vous avez reçus et qui


<p>37</p>

Mme d'Épinay.

<p>38</p>

Voir sur M. de Montamy le t.X. (L'histoire et le secret de la peinture en cire.)

<p>39</p>

Chez Grimm.

<p>40</p>

Le Monnier.