Les Merveilles de la Locomotion. Ernest Deharme. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ernest Deharme
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
sonnettes qui servent à enfoncer les pieux. La charge d'un fusil suffit pour actionner un mouton de 180 kilogrammes. Que le lecteur ne sourie pas! Nous n'avons pas l'intention de le mettre à cheval sur un boulet ou sur un javelot ailé et de le lancer ainsi dans l'air, à la vitesse vertigineuse que produit l'explosion de la poudre ou celle d'un picrate quelconque; mais, en présence des effets foudroyants dus à la combustion instantanée et à l'explosion de certaines matières fulminantes, n'est-il pas permis de supposer que l'homme pourra fixer le régime de ces sources de forces, en rendre l'action continue et la régler enfin selon le but particulier qu'il se propose?

      L'homme doit-il prétendre lutter contre toutes les tempêtes de l'atmosphère? Nous ne le croyons pas. Ses efforts doivent tendre à triompher du vent, tant que son intensité ne dépasse pas certaines limites, à tirer parti des courants naturels de l'air, comme il le fait de ceux de la mer ou des rivières, ces chemins qui marchent, ainsi qu'a dit Pascal; mais il doit se résigner, quant à présent, à fuir les ouragans de l'air comme il fuit ceux de l'Océan, se rappelant sans cesse son infimité vis-à-vis du grand maître de la nature.

      CHAPITRE II

      LES ANIMAUX MOTEURS

      I. – L'HOMME MARCHEUR, COUREUR, PATINEUR, ÉCHASSIER

      Quelle a dû être la situation de notre premier père à sa sortie des mains du Créateur, et quel ressort a pu le pousser à se mettre sur ses jambes et à quitter la place où Dieu l'avait fait naître? Est-ce la faim, est-ce le désir de contempler les beautés du monde terrestre qui lui était donné comme séjour? Est-ce une sensation, est-ce un sentiment qui a parlé le premier? L'être matériel s'est-il révélé avant l'être moral? Les philosophes résoudront, s'il leur plaît, cette question. Pour nous, nous supposerons tout simplement que les muscles de la locomotion ont bien pu être impressionnés par ceux de l'estomac et que, la manne ne tombant pas du ciel, l'homme alla chercher des fruits pour satisfaire son appétit.

      Quant à ses descendants, ils suivirent l'exemple de leur père, à cela près que peut-être ils commencèrent à marcher à quatre pattes, pour ne plus marcher bien tôt que sur deux et pour finir avec trois, comme l'a fait remarquer le fils de Laïus et de Jocaste.

      Mais nous laissons l'enfance et la vieillesse de l'homme pour ne nous occuper que de son âge mûr et de l'individu à l'état parfait.

      Tandis que la plante meurt où elle a poussé, que la bête broute le sol qui l'a vu naître, l'homme seul va chercher bien loin les aliments nécessaires à sa vie matérielle, à sa vie intellectuelle. Aussi comprend-on bien que les anciens aient tenu en si grand honneur les exercices de la marche et de la course, les seuls moyens qu'avait l'homme, aux époques primitives, de pourvoir à entretenir les forces de son corps et à l'activité de son cerveau.

      On sait que des couronnes étaient réservées aux vainqueurs des courses aux jeux olympiques. C'est qu'alors on attachait plus d'importance qu'on n'en donne aujourd'hui à la forte constitution de l'homme. La guerre était le but principal dans lequel on formait des jeunes gens vigoureux, mais les travaux de la paix bénéficiaient aussi des exercices du gymnase, et la santé du corps, l'équilibre maintenu dans l'accomplissement de toutes ses fonctions n'étaient pas sans influence sur les productions du cerveau: Athènes et Rome resteront le berceau toujours admiré des lettres, des sciences et des arts.

      La jeunesse tout entière était formée aux exercices du corps, les hommes étaient généralement bon marcheurs (on se rappelle l'usage qui existait à Sparte de sacrifier, dès leur naissance, les enfants difformes). Mais, parmi tous ces hommes, quelques-uns se sont trouvés doués de cette poitrine plus large, de ces jambes mieux musclées et plus longues, dont les médailles ou les vases anciens nous ont laissé l'image et dont les historiens et les poëtes nous ont raconté les hauts faits.

      Sans parler d'Achille aux pieds légers, que tout le monde connaît, on peut citer Hermogène, de Xante (en Lycie), qui remporta huit victoires en trois olympiades, Lasthine le Thébain, qui battit un cheval à la course, et Polymestor, jeune chevrier de Milet, qui attrapait un lièvre à la course.

      Au moyen âge, on trouve des coureurs émérites au service de la noblesse. De grands gaillards «fort bien fendus,» à l'haleine longue, au costume léger, ornés de plumes, de clochettes, de rubans, s'en allaient en avant du carrosse de leur maître pour annoncer son arrivée. Tantôt ils étaient pieds nus, tantôt ils n'avaient que des chaussures légères. Ils portaient à la main une longue canne terminée par une pomme d'argent, dans laquelle ils enfermaient leur repas. Inutile de dire que ces hommes vivaient peu et que, du jour où leurs membres épuisés réclamaient le repos, le corps tout entier cédait à l'excès de la fatigue, et ils succombaient.

      De ces coureurs, il n'est guère resté que le nom; il existe encore des valets de pied en France et des footmen en Angleterre; mais l'aristocratie a très-heureusement renoncé au privilége qu'elle tenait de la féodalité d'avoir à son service des hommes dont elle faisait des esclaves, honteusement soumis à tous ses caprices. Les valets de pied usent maintenant des voitures comme leurs maîtres, et ce n'est plus qu'aux cortéges des rois, à des occasions solennelles, qu'on les voit cheminer à côté des chevaux d'apparat, dont ils servent à régler l'allure et à diriger la marche.

      On rencontre encore des coureurs dans quelques pays primitifs, où ils sont chargés du service de la poste, chez les Cafres, par exemple. Munis du message de leur maître pour un chef voisin, les coureurs partent dans le plus simple appareil, mâchant seulement quelques feuilles de tabac, dont le jus sert à tromper leur soif. Dès qu'ils ont la réponse attendue, ils repartent en courant.

      Les plus singuliers coureurs sont ces petits négrillons, à peine vêtus de lambeaux, qui se cramponnent à la queue des chevaux arabes et les suivent à la course. Le cheval arrêté, ils vont de la queue à la tête et gardent le coursier pendant que le maître vaque à ses plaisirs ou à ses affaires.

      Mais s'il n'y a plus d'autres coureurs que ceux que l'on voit paraître en maillot, de temps en temps, dans les villes de province et qui en font le tour pour quelques pièces de monnaie, il y a encore des marcheurs.

      Ceux que j'admire le plus sont ces soldats qui, avec des charges de 15 à 20 kilogrammes, des vêtements étouffants et une coiffure aussi pesante que ridicule, font des étapes variables de 30 à 40 kilomètres pendant quinze à vingt jours consécutifs; et je mets au nombre des faits les plus remarquables, les marches forcées des armées en campagne. Les distances parcourues en un jour, durant les guerres du premier empire, ont atteint 48 et même 60 kilomètres. Qu'on se rappelle le passage des Alpes ou la retraite de Russie: dans un cas, un faîte à franchir avec des canons et tout un matériel de guerre; dans l'autre, une longue marche à fournir dans la neige ou dans la boue, en dépit du froid et de la faim. Il faut, chez les hommes qui accomplissent de semblables hauts faits, une force physique doublée d'une force morale exceptionnelle, comme peuvent seuls en faire naître des événements exceptionnels. Mais fallait-il bien tant de gloire et tant de vertu pour verser tant de sang?

      Le soldat rentrant au village devient souvent facteur rural; nous le voyons, dans certaines parties montagneuses de la France, faire, pour un salaire des plus modestes, un service des plus fatigants. Les vélocipèdes, dont nous parlerons plus loin, viendront-ils quelque jour rendre leur tâche moins rude? Nous n'osons l'espérer; car, tandis que le facteur passe partout, à travers champs, dans les sentiers, sur les rochers, le vélocipède ne passe que sur les chemins frayés, sur les chaussées unies et peu inclinées. Combien de nos chemins vicinaux ne pourraient convenir à ces légers véhicules!

      Indépendamment de ces marcheurs de profession, il apparaît de loin en loin quelque marcheur hors ligne. L'un des plus remarquables est le capitaine Barclay. C'était en juillet 1809; il paria 3,000 livres sterling (75,000 francs) qu'il parcourrait en 1,000 heures consécutives un espace de 1,000 milles. Les paris s'élevèrent même jusqu'à 100,000 livres sterling (2,500,000 francs): 41 jours et 41 nuits de marche non interrompue! La distance de 1,000 milles correspond à 1,609 kilomètres ou 402 lieues. Le pari fut gagné, et le retour du capitaine Barclay salué par les cloches sonnant à toute volée.

      Mais qu'importent ces tours de force, aussi dépourvus