Histoire anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Premier. Du Casse Albert. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Du Casse Albert
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
après lui, jusqu'à l'année 1630. Ces chœurs récitaient habituellement des strophes morales ayant rapport à la pièce qu'on représentait. Ils n'avaient aucun accompagnement, attendu que la musique instrumentale n'était pas encore en usage à la comédie. Cela dura jusqu'en 1630. Alors eut lieu une modification dans cette partie des représentations théâtrales. Les chœurs causant trop d'embarras et de dépenses, on les remplaça par des joueurs d'instruments que l'on plaça d'abord sur les côtés de la salle. Avant que la pièce ne commençât et ainsi que cela a lieu encore de nos jours, l'orchestre exécutait quelques morceaux. Il en était de même pendant les entr'actes, ce qui n'est plus dans les usages actuels, et c'est peut-être un tort. Les musiciens, installés sur les ailes du théâtre, furent relégués ensuite tout au fond, derrière les troisièmes loges, puis derrière les secondes, et enfin on leur ménagea un certain espace entre la scène et le parterre. C'est celui qu'ils occupent encore aujourd'hui.

      A l'époque des Jodelle, des Garnier, des Hardy, les droits d'auteur n'étaient pas fort élevés et ne pouvaient, comme actuellement, faire la fortune des poëtes dramatiques. Dans le principe, les pièces de théâtre appartenaient à ceux qui les voulaient jouer; plus tard, les comédiens achetèrent les pièces en débattant le prix avec les auteurs; puis enfin, à la suite d'une circonstance assez singulière, (dont nous parlerons en temps et lieu) vers la fin du dix-septième siècle, on fixa les droits:

      1o Au neuvième du produit de la recette pour une tragédie et pour une comédie en cinq actes, le quart des pauvres ainsi que la dépense journalière de la comédie prélevés;

      2o Au dix-huitième pour les pièces d'un acte à trois, toujours après les mêmes prélèvements effectués.

      D'après ce que nous avons dit plus haut du prix des places au théâtre, et en raison des prélèvements, on peut juger de ce qui restait acquis aux auteurs n'ayant droit qu'aux neuvième et dix-huitième non pas de la recette, mais des produits.

      Les trente premières années du dix-septième siècle, années de transition entre la fin de la vieille école théâtrale et la nouvelle inaugurée par Pierre Corneille, produisit des auteurs dont les œuvres dramatiques se rapprochaient ou s'éloignaient plus ou moins des pièces de la troisième période. Dans les uns on trouvait encore le goût des premières époques, tandis que les autres s'élevaient à une certaine hauteur qui permettait d'entrevoir une nouvelle façon d'écrire pour le théâtre. Le public transformait peu à peu son goût, soit qu'il dirigeât les auteurs, soit qu'il se laissât diriger par eux. De temps à autre, pendant ces trente années, quelques tragédies, quelques comédies se produisirent sur la scène, comme des éclaircies de beau temps à travers un ciel encore nuageux.

      Les auteurs qui remplissent cette période transitoire, aussi bien que leurs œuvres, sont curieux à observer.

      Nicolas Chrétien, poëte normand, l'un de ceux qui se rapprochent de la façon primitive, donna plusieurs pastorales fort longues et deux tragédies d'un ridicule achevé. Ses personnages chrétiens parlent en païens, la fable et le christianisme sont confondus avec un sans-façon incroyable. Ainsi, dans Alboin ou la Vengeance trahie, représentée en 1608, la veuve d'Alboin, forcée d'épouser le meurtrier de son mari, empoisonne la coupe nuptiale et la présente au tyran qui, après avoir pris le breuvage, fait tout haut cette réflexion:

      – Ce vin-là n'est pas bon. – C'est donc que votre goût volontiers est changé, reprend la reine. – Eh! comme cela bout dans mon faible estomac, continue le roi. – Cela n'est pas étrange, ajoute la tendre veuve, c'est le mal qui sitôt pour votre bien se change. – Hélas! c'est du poison! – Que dites-vous, grands dieux! – Je suis empoisonné! – Vous êtes furieux, voyez-vous bien cela? – Si tu ne bois le reste, je le crois. Mais la reine n'est pas si niaise et dit tranquillement: Je n'ai soif. – O dangereuse peste (il faut bien pardonner un langage peu élevé à un roi empoisonné), tu le boiras soudain. – J'ai bu vous l'apportant, et ma soif est éteinte. – Il faut boire pourtant, çà, çà, méchante louve, ouvre ta bouche infâme.

      Malheureux est celui qui se fie à sa femme.

      Ce dernier vers semble la morale de la pièce.

      Un peu plus tard, et presque au moment où Corneille fit jouer sa première tragédie, Raissigner, avocat languedocien, protégé du duc de Montmorency et amant malheureux, lança sur la scène plusieurs pastorales de mauvais goût et qui peignaient la douleur de son âme méconnue. Le style de ses œuvres est assez pur, mais hérissé de pointes et d'antithèses. Dans l'une de ses pièces, l'Aminte du Tasse, se trouvent les vers suivants qui soulevèrent contre l'auteur la colère de toutes les femmes…

      Le respect près des dames,

      Ne soulage jamais les amoureuses flammes;

      Et qui veut en amour tant soit peu s'avancer,

      Qu'il entreprenne tout, sans crainte d'offenser.

      Dans une autre pastorale de Raissigner, les Amours d'Astrée et de Céladon, Céladon, dédaigné par Astrée, se jette de désespoir dans le Lignon;

      Mais le Dieu du Lignon, pour lui trop pitoyable,

      Contre sa volonté le jette sur le sable,

      De peur que la grandeur du feu de son amour

      Ne changeât en guérets son humide séjour.

      Voilà certes une pensée d'une audace peu commune; on en retrouve d'autres du même genre dans les pastorales de cet auteur dramatique. Comme on lui faisait observer que cette pièce des Amours d'Astrée était un peu longue, il expliqua dans la préface qu'on devait lui savoir gré d'avoir restreint en deux mille vers une histoire pour laquelle il avait fallu cinq gros volumes.

      Brinon (Pierre), conseiller au Parlement de Normandie, auteur vivant à la même époque que les deux précédents, montra plus de goût.

      Il donna au théâtre deux pièces seulement; mais dans l'une et dans l'autre on trouve de beaux vers, des pensées justes et élevées, comme celle-ci de Baptiste ou la Calomnie, tragédie traduite du latin et représentée en 1613:

      Par moi le peuple obéirait aux rois,

      Les rois à Dieu, si je faisais les lois.

      Dans l'autre de ses pièces, l'Éphésienne, tragi-comédie avec chœurs, jouée l'année suivante, on lit ces vers, dignes de l'école qui tendait à se fonder:

      Voilà de mes labeurs la belle récompense!

      Et puis, suivez la cour, faites service aux grands,

      Donnez à leur plaisir votre force et vos ans,

      Embrassez leurs desseins avec un zèle extrême,

      Méprisez vos amis, méprisez-vous vous-même;

      Courez mille hasards pour leur ambition,

      A la première humeur, la moindre impression

      Qu'ils prendront contre vous, vous voilà hors de grâce,

      Et cela seulement tous vos bienfaits efface.

      Bienheureux celui-là qui, loin du bruit des gens,

      Sans connaître au besoin, ni palais, ni sergents,

      Ni princes, ni seigneurs, d'une tranquille vie,

      Le bien de ses parents ménage sans envie.

      De loin en loin on faisait encore représenter, et surtout par les écoliers, des espèces de tragi-comédies avec chœurs dans le goût des anciennes Moralités. Ainsi en 1606 et même en 1624, Nicolas Soret fit jouer en province, à Reims, le Martyre sanglant de sainte Cécile, et l'élection divine de saint Nicolas à l'archevêché de Myre. C'était une réminiscence de l'art primitif, comme le dernier et pâle reflet d'un feu qui s'éteint pour faire place à une lumière plus vive.

      Quelque temps aussi, les pièces qui n'étaient pas des tragédies portèrent le nom de pastorales, et jusqu'au milieu