LIVRE PREMIER
ÉDUCATION DE MADAME ÉLISABETH. – MARIAGE DE MADAME CLOTILDE
13 MARS 1764 – 28 AOÛT 1777
Mulierem fortem quis inveniet?
procul, et de ultimis finibus pretium ejus.
Pour initier le lecteur à la connaissance de l'époque qui précéda immédiatement celle qui sert de cadre à la vie que nous avons entrepris de raconter, nous avons dû esquisser à grands traits le mouvement des idées et des faits des dix dernières années du règne de Louis XV. Le berceau et la première enfance de Madame Élisabeth tinrent si peu de place dans ces dix années, que nous avons eu à peine l'occasion de la nommer dans cette introduction. Au moment d'ouvrir le récit de sa vie, nous devons grouper dans leur ordre chronologique le petit nombre de faits relatifs à cette princesse qui précédèrent l'avénement de son frère le roi Louis XVI.
Élisabeth-Philippine-Marie-Hélène de France, fille de Louis, Dauphin, et de Marie-Joséphine de Saxe, était née à Versailles le jeudi 3 mai 1764, à deux heures du matin. Dans la journée, le duc de Berry, le comte de Provence, le comte d'Artois, se rendirent à la chapelle du château, immédiatement après la messe du Roi, pour la cérémonie du baptême de la princesse nouvellement née. Le Roi et la Reine, Monsieur le Dauphin, Madame Adélaïde, Mesdames Victoire, Sophie et Louise, le duc d'Orléans, le duc de Chartres, le prince de Condé, le prince de Conty, la princesse de Conty, la comtesse de la Marche, le comte de Clermont, le comte d'Eu, le duc de Penthièvre et le prince de Lamballe, assistèrent à cette cérémonie. La petite princesse fut tenue sur les fonts par le jeune duc de Berry, au nom de l'infant don Philippe, et par Madame Adélaïde, au nom de la reine d'Espagne douairière. Le baptême fut administré par l'archevêque de Reims, grand aumônier du Roi, en présence de M. Allant, curé de la paroisse du château. Plusieurs dignitaires de la cour assistaient à la cérémonie, ainsi que les ambassadeurs d'Espagne et de Naples.
Madame Élisabeth, en venant au jour, était d'une complexion si délicate que son existence, pendant les premiers mois, donna lieu à des inquiétudes continuelles. Ceux qui se plaisent à tirer l'horoscope des princes, disaient que cette princesse était trop faible pour saisir les belles destinées qui s'offraient à elle: ils ne se doutaient pas qu'au contraire ses destinées seraient terribles, qu'elle aurait la force de les supporter, et qu'il viendrait des temps mauvais où les maîtres de la France trouveraient trop longue et abrégeraient cette vie qu'on appréhendait alors de voir s'éteindre trop tôt.
La petite orpheline, après la mort de Madame la Dauphine, fut entièrement livrée aux soins de madame la comtesse de Marsan42, gouvernante des Enfants de France, qui déjà voyait croître sous sa direction une autre princesse, la jeune Clotilde, destinée au trône de Sardaigne, dont elle devait être l'amour et l'édification. Il y avait entre l'âge des deux sœurs un intervalle de quatre ans et huit mois. La différence d'humeur et de caractère était encore plus grande: Clotilde était née avec les plus heureuses dispositions, il suffisait de les suivre et de les aider; chez Élisabeth, au contraire, il fallait souvent contrarier la nature, toujours la diriger. Fière, inflexible, emportée, il y avait chez elle à dompter des défauts très-regrettables dans un rang inférieur, intolérables dans une princesse de sang royal. Madame de Marsan avait rempli la première moitié de sa tâche avec zèle et bonheur, mais aussi sans difficulté: la jeune Clotilde était douée des qualités les plus aimables: la crainte d'affliger celle qui prenait soin de son enfance la rendait attentive aux paroles de madame de Marsan et docile à ses leçons; elle cherchait à deviner dans ses regards le moindre de ses désirs, et ce désir lui devenait un devoir. L'application qu'elle apportait à ses travaux attestait le goût qu'elle y prenait, et promettait d'avance le succès qui couronna cette éducation donnée avec tant d'intelligence et reçue avec une docilité si empressée. La bonté de son cœur répondait à l'élévation de son esprit, et elle se faisait aimer sans efforts de tous ceux qui l'approchaient.
La seconde partie de la tâche de madame de Marsan était autrement difficile. L'opiniâtreté de Madame Élisabeth rappelait celle du duc de Bourgogne, l'aîné de ses frères, avant que l'éducation l'eût assouplie; fière de sa naissance, elle exigeait auprès d'elle des instruments souples de sa volonté; elle disait qu'elle n'avait pas besoin