La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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rentre chez toi, pauvre affligée! En présence de tant de malheurs, l'abbé me donnera sans doute l'absolution des péchés véniels que les ruses du monde nous obligent à commettre. Laisse-moi, ma fille, dit-elle en allant à son prie-Dieu, je vais implorer Notre-Seigneur et la sainte Vierge pour toi, plus spécialement. Adieu, ma chère Sabine, n'oublie aucun de tes devoirs religieux, surtout, si tu veux que nous réussissions…

      – Nous aurons beau triompher, ma mère, nous ne sauverons que la Famille. Calyste a tué chez moi la sainte ferveur de l'amour en me blasant sur tout, même sur la douleur. Quelle lune de miel que celle où j'ai trouvé dès le premier jour l'amertume d'un adultère rétrospectif!

      Le lendemain, vers une heure après-midi, l'un des curés du faubourg Saint-Germain, désigné pour un des évêchés vacants en 1840, siége trois fois refusé par lui, l'abbé Brossette, un des prêtres les plus distingués du clergé de Paris, traversait la cour de l'hôtel de Grandlieu, de ce pas qu'il faudrait nommer un pas ecclésiastique, tant il peint la prudence, le mystère, le calme, la gravité, la dignité même. C'était un homme petit et maigre, d'environ cinquante ans, à visage blanc comme celui d'une vieille femme, froidi par les jeûnes du prêtre, creusé par toutes les souffrances qu'il épousait. Deux yeux noirs, ardents de foi, mais adoucis par une expression plus mystérieuse que mystique, animaient cette face d'apôtre. Il souriait presque en montant les marches du perron, tant il se méfiait de l'énormité des cas qui le faisaient appeler par son ouaille; mais comme la main de la duchesse était trouée pour les aumônes, elle valait bien le temps que volaient ses innocentes confessions aux sérieuses misères de la paroisse. En entendant annoncer le curé, la duchesse se leva, fit quelques pas vers lui dans le salon, distinction qu'elle n'accordait qu'aux cardinaux, aux évêques, aux simples prêtres, aux duchesses plus âgées qu'elle et aux personnes du sang royal.

      – Mon cher abbé, dit-elle en lui désignant elle-même un fauteuil et parlant à voix basse, j'ai besoin de l'autorité de votre expérience avant de me lancer dans une assez méchante intrigue, mais d'où doit résulter un grand bien, et je désire savoir de vous si je trouverai dans la voie du salut des épines à ce propos…

      – Madame la duchesse, répondit l'abbé Brossette, ne mêlez pas les choses spirituelles et les choses mondaines, elles sont souvent inconciliables. D'abord, de quoi s'agit-il?

      – Vous savez, ma fille Sabine se meurt de chagrin; monsieur du Guénic la laisse pour madame de Rochefide.

      – C'est bien affreux, c'est grave; mais vous savez ce que dit à ce sujet notre cher saint François de Sales. Enfin songez à madame Guyon qui se plaignait du défaut de mysticisme des preuves de l'amour conjugal, elle eût été très-heureuse de voir une madame de Rochefide à son mari.

      – Sabine ne déploie que trop de douceur, elle n'est que trop bien l'épouse chrétienne; mais elle n'a pas le moindre goût pour le mysticisme.

      – Pauvre jeune femme! dit malicieusement le curé. Qu'avez-vous trouvé pour remédier à ce malheur?

      – J'ai commis le péché, mon cher directeur, de penser à lâcher à madame de Rochefide un joli petit monsieur, volontaire, plein de mauvaises qualités, et qui certes ferait renvoyer mon gendre.

      – Ma fille, nous ne sommes pas ici, dit-il en se caressant le menton, au tribunal de la pénitence, je n'ai pas à vous traiter en juge. Au point de vue du monde, j'avoue que ce serait décisif…

      – Ce moyen m'a paru vraiment odieux!.. reprit-elle…

      – Et pourquoi? Sans doute le rôle d'une chrétienne est bien plutôt de retirer une femme perdue de la mauvaise voie que de l'y pousser plus avant; mais quand on s'y trouve aussi loin qu'y est madame de Rochefide, ce n'est plus le bras de l'homme, c'est celui de Dieu qui ramène ces pécheresses; il leur faut des coups de foudre particuliers.

      – Mon père, reprit la duchesse, je vous remercie de votre indulgence; mais j'ai songé que mon gendre est brave et Breton, il a été héroïque lors de l'échauffourée de cette pauvre Madame. Or, si monsieur de la Palférine, que je crois non moins brave, avait des démêlés avec Calyste, qu'il s'ensuivît quelque duel…

      – Vous avez eu là, madame la duchesse, une sage pensée, et qui prouve que, dans ces voies tortueuses, on trouve toujours des pierres d'achoppement.

      – J'ai découvert un moyen, mon cher abbé, de faire un grand bien, de retirer madame de Rochefide de la voie fatale où elle est, de rendre Calyste à sa femme, et peut-être de sauver de l'enfer une pauvre créature égarée…

      – Mais alors, à quoi bon me consulter? dit le curé souriant.

      – Ah! reprit la duchesse, il faut se permettre des actions assez laides…

      – Vous ne voulez voler personne?

      – Au contraire, je dépenserai vraisemblablement beaucoup d'argent.

      – Vous ne calomniez pas? vous ne…

      – Oh!

      – Vous ne nuirez pas à votre prochain?

      – Hé, hé! je ne sais pas trop.

      – Voyons votre nouveau plan? dit l'abbé devenu curieux.

      – Si, au lieu de faire chasser un clou par un autre, pensai-je à mon prie-Dieu après avoir imploré la sainte Vierge de m'éclairer, je faisais renvoyer Calyste par monsieur de Rochefide en lui persuadant de reprendre sa femme: au lieu de prêter les mains au mal pour opérer le bien chez ma fille, j'opérerais un grand bien par un autre bien non moins grand…

      Le curé regarda la Portugaise et resta pensif.

      – C'est évidemment une idée qui vous est venue de si loin que…

      – Aussi, reprit la bonne et humble duchesse, ai-je remercié la Vierge! Et j'ai fait vœu, sans compter une neuvaine, de donner douze cents francs à une famille pauvre, si je réussissais. Mais quand j'ai communiqué ce plan à monsieur de Grandlieu, il s'est mis à rire et m'a dit: – A vos âges, ma parole d'honneur, je crois que vous avez un diable pour vous toutes seules.

      – Monsieur le duc a dit en mari la réponse que je vous faisais quand vous m'avez interrompu, reprit l'abbé qui ne put s'empêcher de sourire.

      – Ah! mon père, si vous approuvez l'idée, approuverez-vous les moyens d'exécution? Il s'agit de faire chez une certaine madame Schontz, une Béatrix du quartier Saint-Georges, ce que je voulais faire chez madame de Rochefide pour que le marquis reprît sa femme.

      – Je suis certain que vous ne pouvez rien faire de mal, dit spirituellement le curé qui ne voulut savoir rien de plus en trouvant le résultat nécessaire. Vous me consulteriez d'ailleurs dans le cas où votre conscience murmurerait, ajouta-t-il. Si, au lieu de donner à cette dame de la rue Saint-Georges une nouvelle occasion de scandale, vous lui donniez un mari?..

      – Ah! mon cher directeur, vous avez rectifié la seule chose mauvaise qui se trouvât dans mon plan. Vous êtes digne d'être archevêque, et j'espère ne pas mourir sans vous dire Votre Éminence.

      – Je ne vois à tout ceci qu'un inconvénient, reprit le curé.

      – Lequel?

      – Si madame de Rochefide allait garder monsieur le baron tout en revenant à son mari?

      – Ceci me regarde, dit la duchesse. Quand on fait peu d'intrigues, on les fait…

      – Mal, très-mal, reprit l'abbé, l'habitude est nécessaire en tout. Tâchez de racoler un de ces mauvais sujets qui vivent dans l'intrigue, et employez-le, sans vous montrer.

      – Ah! monsieur le curé, si nous nous servons de l'enfer, le ciel sera-t-il avec nous?..

      – Vous n'êtes pas à confesse, répéta l'abbé, sauvez votre enfant!

      La bonne duchesse, enchantée de son curé, le reconduisit jusqu'à la porte du salon.

      Un orage grondait, comme on le voit, sur monsieur de Rochefide qui jouissait en ce moment de la plus grande somme