«D'abord cette fille le porta au révérend père La Chaise; ils se renfermèrent tous deux dans sa chambre, et, après l'avoir ouvert, ils y lurent:
«En vérité, mon cœur, tu n'as guère d'amour pour moi, et si tu mesurois ton impatience à la mienne, tu serois retourné dès le premier jour. Pour moi, je t'avoue que je suis au désespoir de t'avoir donné congé, et encore plus de ce que tu ne viens point. Il faut ou que tu ne m'aimes pas, ou que tu sois mort, de rester si longtemps. Reviens donc, mon cher, et ne me laisse pas seule auprès du Roi, que je n'aime pas la dixième partie tant que toi; et si tu ne veux pas me trouver bien mal, ou morte, viens à minuit, droit dans ma chambre; je donnerai ordre que la porte soit ouverte pour te laisser entrer. Adieu, ma vie.
«Eh bien! dit le Père, que vous en semble? – Moi, lui dit-elle, je ne sais, sinon que vous me la rendiez pour la lui faire tenir. – Non, dit-il, pas cela, mais il s'agit ici de me rendre un service.» Elle n'eut pas de peine à le lui promettre. «C'est, continua-t-il, que je m'en vais lui en écrire une sous un nom supposé, afin qu'il ne vienne pas de sitôt, et je me rendrai moi-même dans votre antichambre à l'heure qu'elle marque, d'où vous m'introduirez dans son lit. Je suis de sa taille et je mets sur moi les événements de l'affaire.»
«La chose ainsi résolue, il se hâta d'écrire la lettre, qu'il donna pour faire tenir en place de l'autre. Elle étoit conçue en ces termes:
«Il (le valet) n'eut pas plutôt reçu cette lettre qu'il crut effectivement que la chose étoit ainsi. Il avoit infiniment d'amitié pour son père, et monta incontinent à cheval pour s'y rendre; mais il le trouva en bonne santé, ce qui le réjouit. Cependant ils ne purent trouver le secret de cette lettre; il ne se douta jamais de la vérité, ce qui fit qu'il resta quelques jours auprès de ses parents.
«L'heure approchant, le révérend Père se rendit dans l'antichambre, où il trouva la fille qui l'attendoit. Il s'y déshabilla et prit la robe de chambre et le bonnet qui servoient à l'autre dans ses expéditions; après quoi il fut introduit jusqu'au lit, où il entra doucement et sans parler. Il commença de monter à l'assaut. Quoiqu'elle fût endormie, elle le sentit bien, nonobstant l'avis de certaines femelles; et croyant que ce fust son taureau de coutume, elle l'embrassa avec des étreintes si amoureuses que le pauvre Père pensa expirer dans ce charmant exercice. Le jeu leur étoit trop doux pour y préférer la conversation; aussi ils recommencèrent à diverses fois sans se parler, et auroient peut-être passé la nuit ainsi si le père La Chaise n'eut rompu le silence par un rhume incommode et qui le fit tousser hors de saison. Madame de Maintenon fit un cri et voulut se jeter hors du lit; mais il la retint, il lui fit ses excuses, et, après qu'il eut calmé son esprit, il lui représenta que la chose étoit sans remède et qu'elle devoit considérer que c'étoit la force de sa passion qui l'avoit obligé à le faire, et ne lui découvrit pas néanmoins le véritable sujet. Quoi qu'il en soit, mes Mémoires portent qu'ils se raccommodèrent et poursuivirent le reste de la nuit, et ont toujours poursuivi depuis, et poursuivront encore tant qu'ils auront des forces, si nous en croyons les apparences; car s'il est vrai qu'elle est la mule du Roi, elle est tout autant la cavale de La Chaise et la haquenée de son valet, qui ne fut pas plus tôt de retour qu'il s'excusa de sa longue absence sur la lettre supposée. Mais elle, qui avoit su toute l'affaire du père La Chaise, ne voulut pas approfondir les choses et le reprit en grâce; depuis, elle s'en sert toujours avec beaucoup de satisfaction. Tout cela ne l'empêchoit pas de recevoir l'ordinaire du Roi tant qu'il fut en santé; mais il lui arriva une maladie qui ne provenoit que de l'excès du déduit. Madame de Maintenon en fit beaucoup l'affligée et le fit paroître en public le plus qu'elle pouvoit; enfin, le mal venant à augmenter, on résolut d'y mettre des emplâtres. Cette sainte fille de la Société, sachant bien dans sa conscience qu'elle avoit causé une partie du mal, voulut aussi assister au remède, et, par une espèce d'œuvre de charité dont elle a été fort louée, elle voulut mettre le premier emplâtre sur ce fils de Priape. Elle le mit en effet, et a diverses fois continué, jusqu'à l'entière guérison du Roi. Quand elle le vit en santé, elle voulut le divertir; et comme elle n'a point de cet amour délicat qui ne souffre point de partage, elle lui chercha une des plus belles filles de France. Ce fut la F… qu'elle lui présenta. Le Roi l'estima au double de ce qu'elle faisoit comme un sacrifice d'elle et chérit aussi beaucoup la F… Madame de Maintenon cependant a toujours occupé son esprit; et, quelque autre attache qu'il ait eue, elle n'a jamais été si forte que la sienne. Depuis la F… il a eu encore un présent d'elle; mais cette nouvelle maîtresse mourut en couches, tellement que, bien que depuis elle ait voulu lui en donner d'autres, il ne les a point voulu accepter, et il se tint toujours attaché à elle, qui, de son côté, n'en est pas beaucoup tourmentée, puisque depuis un assez long espace de temps il n'est pas capable de connoître une femme charnellement; mais aussi elle ne s'en soucie pas, et sa faveur lui est plus chère que son amour, puisqu'elle en a d'autres pour assouvir ses infâmes passions, et surtout le révérend Père La Chaise.
«Cependant, lorsque le Roi se porta mieux, elle ne manqua pas de profiter d'un si long temps et de mettre la santé du monarque à de nouvelles épreuves. Et il faut avouer que jamais femme n'a mieux su qu'elle tirer parti de l'amour et ménager les occasions. Elle disoit un jour, en plaisantant, à une de ses amies: «Que les amants vulgaires cherchent tant qu'il leur plaira ce qu'on appelle l'heure du berger; pour moi, je cherche l'heure du Roi. Quand elle se présente, je vous assure que je ne la laisse pas échapper.» Elle avoit raison de parler ainsi: elle a su profiter du fort et du foible de Louis-le-Grand. Aussi ce monarque, qui aime naturellement la gloire et les plaisirs, a été charmé de trouver une maîtresse qui a su si bien flatter son ambition et son amour, qui l'instruit en le divertissant, et qui, dans ses conversations les plus amoureuses, sait mêler les maximes de la fine et de la plus haute politique.
«Un jour qu'elle étoit seule avec le Roi et qu'elle avoit reçu de nouvelles preuves de son amour, elle dit, pour flatter agréablement ce monarque, qu'un prince comme lui ne devoit pas aimer comme les autres hommes; que, comme il étoit né pour régner, il falloit qu'il pratiquât comme il faisoit cet art glorieux au métier