Étant donc de retour de Catalogne, où il avoit commandé l'armée sous l'autorité du prince de Conty8, il commença de témoigner à madame d'Olonne, par mille empressemens, l'amour qu'il avoit pour elle, dans la pensée qu'il eut qu'elle n'eût jamais rien aimé. Voyant qu'elle ne répondoit point à sa passion, il résolut de la lui apprendre de manière qu'elle ne pût faire semblant de l'ignorer; mais, comme il avoit pour toutes les femmes un respect qui tenoit un peu de la honte, il aima mieux écrire à madame d'Olonne que de lui parler.
Je suis au désespoir, Madame, que toutes les déclarations d'amour se ressemblent, et qu'il y ait quelquefois tant de différence dans les sentimens; je sens, bien que je vous aime plus que tout le monde n'a accoutumé d'aimer, et je ne sçaurois vous le dire que comme tout le monde vous le dit. Ne prenez donc pas garde à mes paroles, qui sont foibles et qui peuvent être trompeuses, mais faites réflexion, s'il vous plaît, à la conduite que je vais avoir pour vous, et, si elle vous témoigne que pour la continuer long-temps, de même force il faut être vivement touché, rendez-vous à ces témoignages, et croyez que, puisque je vous aime si fort n'étant point aimé de vous, je vous adorerai quand vous m'aurez obligé à avoir de la reconnaissance.
Madame d'Olonne, ayant lu ce billet, y fit cette réponse:
S'il y a quelque chose qui vous empêche d'être cru quand vous parlez de votre amour, ce n'est pas qu'il importune, c'est que vous en parlez trop bien: d'ordinaire les grandes passions sont plus confuses, et il semble que vous écrivez comme un homme qui a bien de l'esprit, qui n'est point amoureux, et qui veut le faire croire. Et puisqu'il me semble ainsi à moi-même, qui meurs d'envie que vous disiez vrai, jugez ce qu'il sembleroit à des gens à qui votre passion seroit indifférente: ils n'hésiteroient pas à croire que vous voulez rire; pour moi, qui ne veux jamais faire de jugemens téméraires, j'accepte le parti que vous m'offrez, et je veux bien juger par votre conduite des sentimens que vous avez pour moi.
Cette lettre, que les connoisseurs eussent trouvée fort douce, ne la parut pas trop au duc de Candale: comme il avoit beaucoup de vanité, il avoit attendu des douceurs moins enveloppées. Cela l'obligea à ne point tant presser madame d'Olonne qu'elle l'eût bien désiré; il en faisoit sa bonne fortune en dépit d'elle-même, et la chose eût duré long-temps si cette belle n'eût gagné sur sa modestie de lui faire tant d'avances, qu'il crut pouvoir tout entreprendre auprès d'elle sans trop s'exposer. Son affaire étant conclue, il s'aperçut bientôt du commerce de Beuvron. Un prétendant ne regarde d'ordinaire que devant soi; mais un amant bien traité regarde à droite et à gauche, et n'est pas long-temps sans découvrir son rival. Sur cela le duc se plaint; sa maîtresse le traite de bizarre et de tyran, et le prend sur un ton si haut, qu'il lui demande pardon de ses soupçons et se croit trop heureux de l'avoir radoucie. Ce calme ne dura pas long-temps. Beuvron, de son côté, fait des reproches aussi inutiles que ceux du duc, et, voyant qu'il ne peut détruire son rival par lui-même, il fait sous main donner avis à d'Olonne que le duc de Candale est si bien avec sa femme. D'Olonne lui défend de le voir, c'est-à-dire redouble l'amour de ces deux amans, qui, ayant plus d'envie de se voir depuis les défenses, en trouvèrent mille moyens plus commodes que ceux qu'ils avoient auparavant. Cependant, Beuvron étant demeuré le maître du champ de bataille, le duc de Candale recommence ses plaintes contre lui; il fait de nouveaux efforts pour le chasser, mais inutilement: madame d'Olonne lui dit qu'elle voyoit bien qu'il ne considéroit que ses intérêts, et qu'il ne se soucioit point de la perdre, puisque, si elle défendoit à Beuvron de la voir, son mari et tout le monde ne douteroient pas du sacrifice. Madame d'Olonne, qui n'aime pas tant Beuvron que le duc, ne le veut pourtant pas perdre, tant pour ce qu'un et un sont deux, que parceque les coquettes croient retenir mieux leurs amans par une petite jalousie que par une grande tranquillité.
Dans cette entrefaite, Paget9, homme assez âgé, de basse naissance, mais fort riche, devint amoureux de madame d'Olonne, et, ayant découvert qu'elle aimoit le jeu10, crut que son argent lui tiendroit lieu de mérite, et fonda ses plus grandes espérances sur la somme qu'il résolut de lui offrir. Il avoit assez d'accès chez elle pour lui parler lui-même s'il eût osé, mais il n'avoit pas la hardiesse de faire un discours qui tireroit après lui de fâcheuses suites s'il n'eût pas été bien reçu; il fit donc dessein de lui écrire, et lui écrivit cette lettre:
J'ai bien aimé des fois en ma vie, Madame, mais je n'ai jamais aimé tant que vous. Ce qui me le fait croire, c'est que je n'ai jamais donné à chacune de mes maîtresses plus de cent pistoles 11 pour avoir leurs bonnes grâces, et pour les vôtres j'irais jusques à deux mille 12 . Faites réflexion là-dessus, je vous prie, et songez que l'argent est plus rare que jamais il n'a été.
Quentine13, femme de chambre et confidente de madame d'Olonne, lui rendit cette lettre de la part de Paget, et incontinent après cette belle lui fit la réponse qui s'ensuit:
Je m'étois déjà bien aperçue que vous aviez de l'esprit par les conversations que j'ai eues avec vous; mais je ne savois pas encore que vous écrivissiez si bien que vous faites. Je n'ay rien vu de si joli que votre lettre; je serai ravie d'en avoir souvent de semblables, et ce pendant je serai bien aise de vous entretenir ce soir à six heures.
Paget ne manqua pas au rendez-vous, et s'y trouva en habit décent, c'est-à-dire avec son sac et ses quilles. Quentine, l'ayant introduit dans le cabinet de sa maîtresse, les laissa seuls. «Voilà, lui dit-il, Madame, lui montrant ce qu'il portoit, ce qui ne se trouve pas tous les jours; voulez-vous le recevoir? – Je le veux bien, dit madame d'Olonne; mais cela nous amusera.» Ayant donc compté les deux mille pistoles dont ils étoient convenus, elle les enferma dans une cassette. Se mettant auprès de lui sur un petit lit de repos, qui ne lui en servit pas long-temps: «Personne, lui dit-elle, Monsieur, n'écrit en France comme vous. Ce que je vous vais dire n'est pas pour faire le bel esprit; mais il est certain que je trouve peu de gens qui en aient tant que vous. La plupart ne vous disent que des sottises, et, quand ils vous veulent écrire des lettres tendres, ils pensent avoir bien rencontré de nous dire qu'ils nous adorent, qu'ils vont mourir si vous ne les aimez, et que, si vous leur faites cette grâce, ils vous serviront toute leur vie. On a bien affaire de leurs services. – Je suis ravi, dit Paget, que mes lettres vous plaisent. Je ne dirois pas ceci ailleurs, mais à vous, Madame, je ne vous en ferai pas la petite bouche, ni de façon: mes lettres ne me coûtent rien. – Voilà, répondit-elle, ce qui est difficile à croire; il faut donc que vous ayez un fort grand fonds.» Après quelques autres discours, que l'amour interrompit deux ou trois fois, ils convinrent d'une autre entrevue, et à celle-là d'une autre: de sorte que ces deux mille pistoles valurent à Paget trois rendez-vous.
Mais madame d'Olonne, se voulant prévaloir de l'amour de ce bourgeois et de son bien, le pria, à la quatrième visite, de recommencer à lui écrire de ces billets galans comme celui qu'elle avoit reçu de lui; mais, voyant que cela tiroit à conséquence, il lui fit des reproches qui ne lui servirent de rien, et tout ce qu'il put obtenir fut qu'il ne seroit point chassé de chez elle, et qu'il pourroit venir jouer lorsqu'elle le manderoit.
Madame d'Olonne crut qu'en se laissant voir à Paget elle entretiendroit ses désirs, et que peut-être seroit-il encore assez fou pour les vouloir satisfaire, à quelque prix que ce fût; cependant, il