Esclave, dis à l'Ionienne Mirrha que nous souhaitons sa présence.
Roi, la voici.
Dehors. (A Mirrha.). Être charmant, tu as à peine prévenu mon cœur; il palpitait pour toi et tu venais à lui: laisse-moi croire qu'il existe entre nous quelqu'influence secrète, quelque douce sympathie, qui, sans nous voir, et de loin, nous attire l'un vers l'autre.
Il est vrai.
Je sais qu'elle existe, mais j'ignore son nom; quel est-il?
Un dieu dans ma patrie, et dans mon cœur un sentiment exalté et comme divin; mais j'avoue qu'il est seulement mortel, car mon ame est humble et pourtant heureuse, – c'est-à-dire, désirant de l'être; mais-
Il y a toujours un intervalle entre nous et ce que nous regardons comme le bonheur: laisse-moi écarter la barrière que ta voix hésitante m'indique devant le tien: celle qui s'oppose au mien sera en même tems rompue.
Mon Seigneur! -
Mon Seigneur, – mon roi, – sire, – souverain, – toujours ainsi, toujours me parler avec respect. Il est dit que jamais je n'obtiendrai un sourire, si ce n'est au milieu de l'étourdissante joie d'un banquet, alors que les bouffons ont, à force d'ivresse, reconquis leur égalité, ou que moi-même je me suis mis au niveau de leur abaissement. Mirrha, je puis souffrir tout cela; ces noms de seigneur, roi, sire, monarque, je les ai même quelque tems accueillis, ou plutôt soufferts de la bouche des esclaves et des nobles; mais quand ils s'échappent des lèvres que j'adore, des lèvres que les miennes ont tendrement pressées, un frisson se répand sur mon cœur; je reviens au sentiment de la fausseté d'une situation qui réprime toute espèce de tendresse chez ceux même qui m'en inspirent davantage, situation qui me fait souhaiter de pouvoir déposer enfin la pesante tiare pour me réfugier sous une chaumière du Caucase avec toi, et pour n'y plus jamais porter que des couronnes de fleurs.
Plût au ciel!
Aurais-tu les mêmes sentimens? – Pourquoi?
Tu connaîtrais alors ce que tu ne peux jamais connaître.
C'est-
Le véritable prix d'un cœur; celui d'une femme, du moins.
J'en ai éprouvé un, mille, – et mille, et mille.
Des cœurs?
Je l'imagine.
Aucun! mais le tems d'en éprouver un viendra peut-être.
Je l'espère. Écoute, Mirrha; Salemènes a déclaré-pourquoi ou comment l'a-t-il deviné, c'est ce que Bélus, le fondateur de mes états, connaît mieux que moi: – mais Salemènes a déclaré mon trône en péril.
Il a bien fait.
Et toi aussi! Toi qu'il a si rudement insultée; qu'il osait, il n'y a qu'un instant encore, chasser de notre présence, par ses grossières invectives; toi dont il excitait la rougeur et les larmes?
Je devrais les rappeler plus fréquemment: il a bien fait de m'indiquer mon devoir. Mais tu parles de péril-de péril pour toi-
Oui, il existe de conspirations, des noirs complots parmi les Mèdes: – les troupes et les peuples murmurent. Je ne sais ce que c'est: – un labyrinthe, – un abîme de mystères et de menaces. Tu connais Salemènes, c'est là son habitude; mais il est honnête. Allons, ne songeons plus à cela, – mais à la fête de minuit.
Il est tems de penser à tout autre chose. N'as-tu pas repoussé ses sages précautions?
Eh quoi! – aurais-tu peur?
Peur! – Je suis Grecque, comment aurais-je peur de la mort? je suis esclave, pourquoi redouterais-je l'instant de ma liberté?
Cependant, tu viens de pâlir?
C'est que j'aime.
Et moi? Je t'aime plus, – bien plus que tout ce que m'offrent cette courte vie, cet immense royaume, également menacés; – cependant, je ne pâlis pas.
Cela prouve que tu n'aimes ni toi-même ni moi; car celui qui aime un autre s'aime lui-même, quand ce ne serait que pour cela. Ce que je vois est trop révoltant: des royaumes et des vies ne doivent pas être ainsi sacrifiés.
Sacrifiés! – Et quel est donc l'ambitieux qui tenterait de les conquérir?
Magnanime courage en effet! Quand celui qui les gouverne s'oublie lui-même, est-ce à eux de le lui rappeler?
Mirrha!
Ne fronce pas ainsi le sourcil: trop souvent j'ai recueilli ton sourire pour que la seule expression de ton courroux ne soit pas à mes yeux plus amère que le châtiment le plus cruel. – Roi, je suis ta sujette; maître, je suis ton esclave! homme, je t'ai aimé! – aimé, j'ignore par quelle fatale faiblesse, bien que la Grèce soit ma patrie, et que j'aie sucé la haine des rois. – Esclave, je devrais haïr les chaînes; Ionienne, je me sens, en aimant un étranger, plus avilie encore par cette passion que par l'esclavage! pourtant, je t'ai aimé. Si cet amour a eu le pouvoir d'étouffer tous les premiers sentimens de la nature, dis-moi, ne peut-il réclamer le privilége de te sauver?
Me sauver, ma belle maîtresse! Tu es mille fois trop belle; et ce que j'implore de toi, c'est ton amour, et non ta protection.
Et quelle sécurité peut exister loin de l'amour?
Je parle de l'amour des femmes.
La première source de la vie humaine jaillit du sein de la femme; vos premiers bégaiemens sont recueillis de ses lèvres, elle tarit vos premières larmes, elle recueille trop souvent vos derniers soupirs alors que les hommes ont déposé l'ignoble soin de garder la dernière heure de celui qui les commandait.
Ma sublime Ionienne! tes accens sont de la mélodie; c'est le chœur de ces tragédies dont je t'ai entendu parler comme du plaisir favori de tes antiques aïeux. Va, ne pleure pas, – calme-toi.
Je ne pleure pas. – Mais, je te prie, ne parle jamais de mes pères ou de ma patrie.
Pourtant, tu en parles souvent toi-même.
Oui, je l'avoue, l'opiniâtre pensée se fait souvent jour, malgré moi, dans mes paroles; mais quand un autre parle de la Grèce, il m'offense.
Eh bien donc, comment voudrais-tu me sauver, comme tu parles?
En t'apprenant à te sauver toi-même; et non pas toi seul, mais ton vaste empire, de la rage de la plus cruelle guerre-la guerre des concitoyens.
Ignores-tu donc, mon enfant, que j'ai en horreur et la guerre et les guerriers? Je vis dans la paix et les plaisirs: que peut-on exiger