Le frère de sa reine, courtisane d'Ionie! Oses-tu bien me nommer et ne pas rougir?
Sans rougir? Tes yeux sont aussi mauvais que ton cœur! Tu colores ses joues charmantes, comme sur le Caucase la teinte mourante du jour, quand le soleil couchant nuance d'un rose plus sombre la blancheur de la neige; oui, tu lui reproches une insensibilité, un aveuglement qui t'appartiennent seuls. Quoi! des larmes, ma Mirrha!
Qu'elles coulent; elle pleure pour bien d'autres, et elle est elle-même la cause de pleurs plus amers.
Maudit celui qui fait ainsi couler les siennes!
Oh! ne te maudis pas toi-même: – des millions d'hommes le font déjà bien assez.
Tu oublies qui tu es; ne me fais pas souvenir que je suis roi.
Plût à Dieu que tu le fusses!
Oh! mon roi! je t'en prie; et toi, prince aussi, permettez que je me retire.
Puisqu'il le faut, et que cet homme brutal n'a pas craint d'insulter ta belle ame, j'y consens; mais souviens-toi que nous devons bientôt nous réunir: j'aimerais mieux perdre un empire que ta présence.
Il se peut que tu les perdes tous les deux, et tous deux pour toujours!
Mon frère, puisque je supporte un pareil langage, je puis du moins commander à moi-même; cependant, ne me force pas à sortir de mon naturel.
Et c'est justement à ce naturel facile, et même trop faible, que je voudrais t'arracher. Oh! que ne puis-je te réveiller, quand même tu devrais m'en punir.
Par le dieu Baal! cet homme voudrait faire de moi un tyran.
Mais tu l'es déjà! Crois-tu qu'il n'y ait d'autre tyrannie que celle du carnage et des haines? celle du vice, les excès et les débordemens du libertinage, l'indolence, l'apathie, les suites d'une molle oisiveté enfantent des milliers de tyrans dont la cruauté surpasse les actes les plus odieux d'un despote énergique, quelles que soient l'impétuosité et la violence de son caractère. Le triste et scandaleux exemple de tes débordemens corrompt les nations ainsi qu'il les oppresse; du même coup, il sappe et ta puissance immédiate et celle de tes officiers les plus éloignés. Aussi, que l'étranger envahisse nos frontières, ou qu'un séditieux appelle à la guerre civile, l'un ou l'autre nous seront également fatals. Le premier ne trouvera plus dans tes sujets un courage capable de le repousser, et le second rencontrera moins des vainqueurs que des complices.
Et qui te rend aujourd'hui le porte-voix du peuple?
L'oubli de ta conduite avec la reine, et les chagrins de ma sœur; l'affection naturelle que je conserve pour mes jeunes neveux; ma loyauté envers le roi, loyauté que des paroles ne suffiront plus bientôt pour lui prouver; mon respect pour la race de Nemrode, et, de plus, un autre sentiment que tu ne connais pas.
Qu'est-ce que cela?
Un mot qui t'est inconnu.
Prononce-le, cependant: j'ai toujours aimé à apprendre.
La vertu.
Je ne connais pas ce mot! Il n'en est pas un qui plus souvent sonne dans mes oreilles-plus retentissant que le bruit de la multitude ou l'éclatante trompette; ta sœur ne m'a jamais fait entendre autre chose.
Pour changer ce pénible sujet, écoute un peu parler le vice.
Qui écouter?
Les vents eux-mêmes, si tu étais un peu sensible aux échos de la voix des peuples.
Allons, je suis indulgent comme tu vois, et patient comme tu l'as maintes fois éprouvé. – Parle donc; qui te pousse à agir ainsi?
Les dangers que tu cours.
Explique-toi.
Eh bien donc, toutes les nations, car elles sont nombreuses, dont ton père t'a transmis l'héritage, sont transportées de fureur contre toi.
Contre moi! Et que veulent les esclaves?
Un roi.
Et que suis-je donc, moi?
A leurs yeux, rien; mais aux miens un homme qui pourrait encore être quelque chose.
Insolente valetaille! Et que désirent-ils donc? N'ont-ils pas paix et abondance?
De la première, ils en jouissent aux dépens de leur gloire; de la seconde, bien moins que le roi ne l'imagine.
Alors, à qui la faute, si ce n'est aux satrapes infidèles qui n'y pourvoient mieux?
Mais certes, on peut en accuser aussi le monarque dont les regards ne s'étendent jamais au-delà des murs de son palais, ou, s'il le fait, qui ne voit pas au-delà de quelques palais élevés sur les montagnes, jusqu'à ce que les chaleurs de l'été aient disparu. O glorieux Baal! toi qui édifias ce vaste empire, et fus mis au rang des dieux, ou du moins dont la gloire, à travers les siècles, égalera celle d'un dieu, pensais-tu que ton descendant présomptif ne regarderait jamais en roi les royaumes que tu lui conquis en héros, et que tu obtins au prix de ton sang, de tes sueurs et de continuels dangers? Et pourquoi? pour procurer les impôts nécessaires aux frais d'un festin, ou des concussions multipliées au profit d'un infâme favori.
Je te comprends. Tu voudrais me faire marcher en conquérant. Par tous les astres que consultent les Chaldéens, ces turbulens esclaves mériteraient que je les punisse en cédant à leurs vœux, et que je les conduisisse à la gloire.
Pourquoi non? Sémiramis n'était qu'une femme, elle conduisit nos Assyriens aux bornes du soleil, aux rivages du Gange.
Cela est très-vrai. Et comment en revint-elle?
Comment? en homme, – en héros; malheureuse, mais non vaincue; et vingt gardes lui suffirent pour protéger sa retraite jusqu'en Bactriane.
Et combien de guerriers abandonna-t-elle derrière elle, dans les Indes, aux vautours?
Nos annales n'en disent rien.
Je le dirai donc pour elles. – Elle eût mieux fait de rester dans son palais, occupée à tisser quelque vingt robes, que de regagner la Bactriane avec une vingtaine de gardes, laissant des millions de sujets fidèles à la rage des corbeaux, des loups et des hommes, les plus féroces des trois. Est-ce là de la gloire? Je préfère mille fois mon ignominie.
Tous les esprits belliqueux n'ont pas la même destinée. Sémiramis, cette mère glorieuse d'une centaine de rois, échoua sans doute dans les Indes; mais elle ajouta la Perse, la Médie, la Bactriane au royaume qu'elle gouvernait autrefois, et que tu pourrais aujourd'hui gouverner.
Dis plutôt qu'elle ne sut que les conquérir, et que moi je les gouverne.
Avant peu, ils auront peut-être besoin de son épée plutôt que de ton sceptre.
Il y eut un certain Bacchus, n'est-ce