La Demoiselle au Bois Dormant. Berthe de Buxy. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Berthe de Buxy
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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les paroles qui lui montaient aux lèvres, et il acheva avec un air de respect et de pitié:

      – Je… Je l'aimerais beaucoup.

      Auberte sortit par une petite porte qui ressemblait à une ogive de lierre et se trouva dans un pré de Menaudru.

      III

      Six semaines avaient passé. Laurent était de retour à Menaudru. Bien qu'il fût d'un caractère aussi peu expansif que son père, la présence de son grand frère était douce à Auberte. Elle aimait à avoir auprès d'elle ce compagnon qui était toujours prêt à l'écouter, s'il ne lui répondait guère.

      Comme le lendemain une affaire appelait Laurent dans une de leurs fermes voisines, Auberte insista pour l'accompagner une partie du chemin. Laurent accepta; le frère et la soeur se mirent en route sous le beau soleil qui répandait jusque dans les fourrés du parc une clarté réchauffante et joyeuse.

      Laurent avait trente ans au moins. A part quelques voyages, des séjours annuels à Paris ou chez un oncle qui l'avait élevé, il avait toujours habité Menaudru depuis le second mariage de son père. Sous son extérieur indifférent et froid, il avait été un beau-fils modèle pour la Comtesse, un bon, un très bon frère pour Auberte.

      Elle le regardait aujourd'hui, en cheminant à son côté, comme si elle le voyait pour la première fois. Il était très grand, très mince, d'allure extrêmement distinguée. Il avait l'air hautain, ce qui tenait à sa démarche, à ses manières, à son physique, plus qu'à son caractère. Son visage était grave et ennuyé; une ressemblance perceptible avec le Comte frappa Aube comme une découverte. Elle pensa tout à coup qu'elle et Laurent vivraient ensemble à Menaudru, quand leurs parents ne seraient plus là. Laurent deviendrait, avec les années, tout pareil à son père, elle l'image de la Comtesse; ils passeraient leur temps, ils traîneraient leur vie comme le faisaient les châtelains actuels; elle se figura voir le couple qu'ils seraient tous deux le soir, assis seuls dans le grand salon; elle frissonna. Sa bouche formula une question involontaire:

      – Laurent, demanda Auberte, pourquoi vous ennuyez-vous?

      Il l'examina une seconde et répondit avec enjouement:

      – Mais, ma petite soeur, parce que la vie n'est pas tous les jours amusante.

      – N'est-ce pas? fit-elle préoccupée. Il y a des choses que je ne m'explique pas, mais que vous, un homme, vous devez comprendre.

      Elle le regardait avec une confiance mélancolique et tendre, persuadée que lui, qui était un homme, pouvait débrouiller l'accablante énigme.

      Elle poursuivit du même ton perplexe, un peu plaintif:

      – Il y a peut-être un moyen de la rendre plus intéressante; il y a peut-être quelque chose à trouver… Je ne sais pas, moi; mais vous, Laurent…

      Non, Laurent ne savait pas non plus. Peut-être n'avait-il pas beaucoup cherché. Il s'était ennuyé à fond et en conscience depuis qu'il était au monde; il avait tâché de le faire honnêtement, en homme bon et en galant homme, c'est tout ce qu'il pouvait dire. Seulement, il ne le dit pas.

      – Laurent, si vous voyagiez davantage?

      – Je ne puis quitter souvent la maison sans faire croire que Mme de Menaudru n'est pas pour son beau-fils une excellente mère. Et puis, ajouta-t-il sans la moindre effusion, il y a vous, Auberte.

      Au bout d'un instant, elle glissa timidement sa main dans la main gantée de son frère et murmura:

      – Si vous voulez, Laurent, je jouerai avec vous aux échecs.

      Laurent sourit avec bonté en caressant la petite main de sa soeur.

      – Chère Aube, les échecs ne me distraient guère.

      – Alors, dit-elle ouvrant des yeux d'admiration, vous y jouez pour distraire le Comte et pour que maman ait une heure de liberté? C'est très bien, mon frère Laurent, vous êtes bien meilleur que moi.

      Il sourit de nouveau en disant:

      – Vous êtes venue assez loin, nous voilà sur le chemin public.

      – Est-ce que je ne pourrais pas me reposer un instant ici?

      Elle désigna une sorte de tertre moussu, dominé par une belle haie où fleurissaient de grands liserons larges et éclatants de blancheur comme des lis. Les pruniers d'un jardin rustique jetaient une ombre mouvante sur le sol. Le chemin était étroit et peu fréquenté; à quelques pas, commençaient les ombrages d'une extrémité du parc. Laurent laissa Aube s'asseoir pour reprendre haleine en lui recommandant de ne pas s'attarder, et, comme il était attendu, il continua sa route.

      Quand il se fut éloigné, Aube se retourna à demi pour considérer une maisonnette fermée, dont cette haie bordait l'enclos; ce mouvement lui fit apercevoir deux personnes qui venaient droit à elle et dans lesquelles elle reconnut, avec une certaine appréhension, Gillette et Camille Droy.

      Mais, tout à coup, Camille échappa à sa soeur, qui voulait la retenir, et s'esquiva. Gillette s'avança seule avec une promptitude et une résolution irritée qui ne pouvaient présager que des intentions hostiles.

      – Enfin! cria de loin Gillette. Il y a assez longtemps que je vous poursuis et que je vous cherche. Mais impossible de vous rencontrer seule!

      Plus de doute, c'était bien à Aube qu'elle en voulait. Laurent était trop loin pour que sa soeur pût le rappeler; la maisonnette semblait déserte. Cette fois, le voeu menaçant de Gillette était accompli: elle tenait la pauvre Auberte seule, sans protection et sans défense.

      Gillette marchait toujours impétueusement, comme à l'assaut; quand elle toucha Auberte, celle-ci ferma les yeux, puis elle les rouvrit d'ébahissement en entendant Gillette dire tout d'un souffle:

      – Je vous demande pardon du mauvais tour que nous vous avons joué avec votre mule. C'était absurde de notre part. Pardonnez-nous le plus vite que vous pourrez, s'il vous plaît.

      Et comme Auberte, subjuguée, la contemplait sans répondre, Gillette reprit:

      – Le patriarche, qui est fin comme l'ambre, a reconnu tout de suite notre griffe et nous avons reçu une algarade… Vous ne vous faites pas une idée des algarades du patriarche!

      – Mais si, presque… aurait dit Auberte si elle avait pu dire quelque chose.

      – Il n'y a que celles d'Hugues qui l'emportent. Si bien que nous sommes en disgrâce pour nous être amusés de vous et vous avoir fait battre la campagne, – c'est le mot. Et nous ne rentrerons en faveur qu'après vous avoir présenté nos excuses. Aussi, comme le patriarche est la prunelle de nos yeux, pensez si j'ai couru après vous depuis l'incident. Au dernier moment, Cam n'a plus pu se décider; elle a pris la poudre d'escampette, me laissant toute seule pour la corvée… la commission. La vérité est que Cam vous en veut plus que jamais. – Oh! mais c'est qu'il faut me pardonner, dépêchez-vous. Est-ce que vous allez faire la méchante? Vite, vite, que je puisse dire au patriarche… ouf: c'est fait.

      Sur un demi-sourire d'Aube, elle passa de cet état orageux à une complète aménité. Elle s'assit par terre à côté d'Auberte, aussi anéantie par cette intimité subite qu'elle l'avait été par la véhémence accusatrice de Gillette, en une précédente occasion.

      – Et maintenant, dit Gillette, je ne vois pas pourquoi je ne m'accorderais pas un peu de repos. Dites-moi, petite princesse, qui était avec vous tout à l'heure? Votre prince, je suppose?

      – C'était mon frère, répondit délibérément Auberte, mon frère Laurent de Menaudru.

      Gillette se mit à rire.

      – Ah! mon Dieu, qu'il est donc correct!.. Vous n'en avez pas froid de le regarder?

      Elle essaya de reprendre son sérieux, mais elle riait malgré tout.

      – Je ne comprends pas, fit Auberte offensée.

      – Non, c'est ce qu'il y a de comique. Il est toujours comme ça?

      Elle imita la tenue glaciale et distinguée de Laurent,