La Demoiselle au Bois Dormant. Berthe de Buxy. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Berthe de Buxy
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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oui ou non, trouvé? Vous savez que celui qui le trouvera en perdra son bonheur?

      C'est qu'il faudra nous en donner la moitié, si vous voulez être à peu près honnête. Cela ne m'étonnerait pas que vous le gardiez pour vous.

      – Moi? fit Auberte abasourdie.

      Les autres enfants s'étaient avancés peu à peu et ils finirent, on ne sait comment, par être tous groupés sur le mur comme une volée de pigeons. Et ils écoutaient avec une délectation admirative les discours de leur aînée.

      – Vous êtes contente de nous savoir pauvres; mais je vous assure que cela nous est bien égal, et cela vous ennuiera toujours un peu que nous habitions la Maison.

      – Il faut bien que nous habitions la Maison puisque vous nous avez pris le château, dit avec rancune Mlle Camille, dont la longue toison était couleur paille de seigle, tandis que le jeune frère, sur l'épaule duquel elle s'appuyait, était pourvu de mèches courtes, frisées, qui avaient positivement des teintes d'abricot.

      – Moi, je vous ai pris… balbutia Auberte qui tombait de stupeur en stupeur.

      – Oui, vous et votre mère, et votre grand-père avant vous. Nos deux grands-pères étaient frères et leur aïeul, qui était le maître de Menaudru, a légué le château au méchant vôtre aux dépens du pauvre mien, qui était pourtant l'aîné et s'appelait Hugues comme mon frère. On lui a donné de l'argent, en compensation, mais ce n'est pas l'argent qui nous importe, c'est le château, d'autant plus que nos grands-parents ont perdu ensuite leur fortune.

      – Cam, taisez-vous! dit Gillette d'un ton d'avertissement péremptoire.

      – Laissez-moi dire, puisqu'elle ne sait pas… Alors, comme Hugues de Menaudru était terriblement en colère, il a fait bâtir la Maison sur le coin de terre qui était à lui et qu'on ne pouvait pas lui reprendre; et pendant que votre mère héritait à son tour du château et épousait son cousin de Menaudru, maman se mariait de son côté, fermait la Maison et s'en allait courir le monde avec le patriarche – c'est mon père. – Mais nous voilà revenus pour tout de bon et bien heureux, quoiqu'il nous en coûte d'être dépossédés: il faut bien apprendre à souffrir l'injustice.

      – Cam, fit encore Gillette, vous causez trop si vous causez bien.

      – Vous vous figurez, continua Cam sans rien entendre, que le château vous appartiendra après votre mère; mais nous saurons bien vous en déloger et vous le reprendre.

      – Comment cela? dit Auberte à la fois effrayée et incrédule.

      – Oh! vous n'y serez pas longtemps, fit Cam avec exaltation, nous revendiquerons nos droits. Nous avons tous juré de reconquérir Menaudru, Hugues et Gillette aussi…

      – C'est vrai, quand nous étions enfants, dit Gillette d'un air indéfinissable. Le serment tient toujours, et, savez-vous? je crois bien que c'est moi qui vous reprendrai Menaudru.

      – Mais comment, comment? s'écria Auberte.

      – Ah! je n'en sais rien. D'abord, je ne marierai jamais, fit Gillette avec conviction, comme si c'était la première condition indispensable. Je me consacrerai toute à ma tâche. Et ce que je veux, je le veux bien: demandez-le-leur.

      – Oh! elle le veut bien, dirent-ils avec un édifiant ensemble.

      Ce choeur fit une impression lugubre sur Auberte.

      – Et quand j'aurai le château, reprit Gillette; on me verra à l'oeuvre, on verra ce que je ferai de Menaudru!

      – Vous y changeriez quelque chose? fit Auberte haletante.

      – D'abord, à bas ces insipides murs qui le séparent du bois.

      – Mais… commença Auberte.

      – Et puis, dit Cam, on nettoiera proprement tout ça.

      Elle montra les ruines branlantes et charmantes de la chapelle avec leurs arceaux brisés, leurs pans mi-écroulés, leurs fenêtres béantes, où, en place de vitraux, s'encadraient des morceaux de ciel.

      – L'on établira sur l'emplacement une grande chapelle neuve dont les gens de la montagne, qui n'ont pas d'église, pourront se servir avec nous, fit Joseph, le petit garçon aux boucles rutilantes. On percera une route pour relier la montagne à Mirieux.

      – Et tout le monde passera sur Menaudru?.. gémit Auberte.

      – On y amènera l'eau à torrent, ce qui nous procurera par la même occasion la lumière électrique, fit allègrement Antoine, et nous déverserons sur Mirieux notre superflu de lumière et d'eau. Notre téléphone se raccordera à celui de Besançon.

      – Un peu plus tard, dit Gillette qui semblait s'amuser beaucoup. Commençons par le plus pressé. Je compte au moins trente-cinq fenêtres à percer sur-le-champ. Je démolirais plusieurs murailles. J'enlèverais le toit du grand pignon pour avoir une galerie avec des baies vitrées sur tous les points de l'horizon.

      – A la place des serres, on installerait nos ateliers, nos classes et l'ouvroir que les religieuses de Mirieux doivent nous organiser, annonça Joseph. On mettrait les serres à la place du salon qu'on changerait d'étage, et la salle des gardes deviendrait notre salle de jeux.

      – Quant aux arbres, fit encore Gillette, ils sont désordonnés.

      Nous nous livrerons à un grand abatage.

      – Mes arbres…

      Ce fut un cri d'indignation.

      – Ils étouffent le château. Il faut élaguer, couper, arracher un peu partout.

      – Non, non…

      – Il faut donner de l'ouvrage à notre scierie neuve: coupons les sapins. Les chênes masquent la vue: à bas les chênes…

      Dans un irrésistible mouvement de douleur, Auberte se couvrit le visage de ses deux mains pour ne plus entendre ces voix inexorables, pour ne plus voir cette horde de jeunes vandales acharnés, brûlant d'apporter la destruction, la profanation à Menaudru, de rompre l'enceinte sacrée de ses vieilles pierres et de ses antiques verdures pour faire pénétrer à grand fracas la vie moderne avec ses inventions vulgaires, son tumulte sacrilège, dissiper l'ombre austère, pieuse, l'ombre des siècles, pour livrer passage au grand jour inquisiteur, au grand air de tout le monde.

      Ils étaient tous debout, les yeux brillants, dans leur enthousiasme destructeur, le bras levé, prêts à exécuter leurs menaces… Elle crut que c'était fait, qu'ils étaient déjà les maîtres. Elle voila plus étroitement son visage et, balançant sa tête désespérée, soupira:

      – Mon Menaudru!..

      – Mais ce ne sera plus votre Menaudru, riposta Gillette qui prenait feu à son tour. Nous vous forcerons bien à en convenir.

      – Ne croyez pas que nous vous laisserons en repos; notre serment tient plus que jamais, et vous n'en avez pas fini avec nous, poursuivit Cam. N'avez-vous pas honte de nous prendre notre place? Car vous nous prenez notre place, vous couchez dans mon lit, vous regardez par ma fenêtre…

      – Tenez, s'écria Gillette, cela me dévore quand j'y pense et je vous déteste…

      Et la petite Cam dit d'un ton fanatique:

      – C'est moi qui la déteste le plus!

      Sur cette déclaration, toute la bande s'ébranla. Quelqu'un avait murmuré le mot de patriarche. Il y eut un sauve-qui-peut si agile qu'en peu de secondes, Auberte se trouva, comme par miracle, seule sur son mur. Elle regarda avec effarement autour d'elle. Le jardin était aussi muet que le parc, pas un arbre ne bruissait, il ne restait pas un indice de l'apparition, et Auberte fut en droit de croire qu'elle avait rêvé l'inconcevable attaque qui venait de la terrifier.

      II

      On était au soir. Après s'être habillée et recoiffée pour le repas, Auberte avait dîné avec ses parents en grande cérémonie. En grande cérémonie, le repas pompeusement servi par des domestiques en livrée funèbre, avait déroulé l'immuable ordonnance de ses services,