Les nuits mexicaines. Aimard Gustave. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Aimard Gustave
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
il lui était impossible de hâter le pas de son cheval de crainte d'accident à travers les chemins ravinés et presque impraticables qu'il était contraint de traverser; aussi fût-ce avec un sentiment indicible de plaisir que, arrivé à deux ou trois portées de fusil du rancho, il aperçut plusieurs personnes accourant vers lui.

      Bien qu'il ne les reconnût pas tout d'abord, cependant sa joie fut grande, car pour lui c'était un secours qui lui venait, et bien qu'il n'eût certes pas voulu en convenir, il en reconnaissait pour lui et surtout pour le blessé l'extrême nécessité, car depuis plusieurs heures déjà, il cheminait cahin-caha, à travers des sentiers la plupart du temps presque impraticables, contraint de surveiller constamment cet homme qu'il avait par un miracle incompréhensible sauvé d'une mort certaine et que le moindre oubli pouvait tuer raide.

      Lorsque les hommes qui accouraient vers lui ne se trouvèrent plus qu'à quelques pas, il s'arrêta et leur cria d'un air joyeux comme un homme charmé d'être débarrassé d'une responsabilité qui lui pèse:

      – Eh! Venez donc! ¡Caray! Il y a longtemps déjà que vous auriez dû être ici.

      – Qu'est-ce à dire, Dominique, répondit en français l'aventurier, quel besoin si pressant avez-vous donc de nous?

      – Eh! Cela vous crève les yeux, il me semble; ne voyez-vous pas que j'amène un blessé?

      – Un blessé! s'écria Olivier en faisant un bond de tigre et se trouvant presque immédiatement auprès du jeune homme; de quel blessé parlez-vous donc?

      – Pardieu! De celui que j'ai assis, tant bien que mal, sur mon cheval et que je ne serais pas fâché de voir dans un bon lit, dont, soit dit entre nous, il a le plus grand besoin; car s'il vit encore, c'est, sur mon âme, grâce à un miracle incompréhensible de la Providence.

      L'aventurier, sans lui répondre, enleva brusquement le zarapé jeté sur le visage du blessé et l'examina pendant quelques minutes, avec une expression d'angoisse, de douleur, de colère et de regret impossible à décrire.

      Son visage, subitement pâli, avait pris des teintes cadavéreuses, un tremblement convulsif agitait tous ses membres, ses regards fixés sur le blessé semblaient lancer des éclairs et avaient une expression étrange.

      – Oh! murmurait-il d'une voix basse et saccadée par l'orage qui grondait au fond de son cœur, cet homme! C'est lui! C'est bien lui, il n'est pas mort!

      Dominique ne comprenait rien à ce qu'il entendait; il regardait Olivier avec étonnement, ne sachant ce qu'il devait penser des paroles qu'il prononçait.

      – Ah, ça! dit-il enfin avec une explosion de colère, qu'est-ce que cela signifie? Je sauve un homme, Dieu sait comment, à force de soins, à travers mille difficultés, je parviens à amener ici ce pauvre malheureux qui, sans moi, caray, je puis le dire, serait mort comme un chien et voilà comment vous me recevez?

      – Oui, oui, réjouis-toi, lui dit l'aventurier avec un accent amer, tu as commis une bonne action; je t'en félicite, Dominique, mon ami; elle te profitera, sois-en sûr, et cela avant longtemps.

      – Vous savez que je ne vous comprends pas, s'écria le jeune homme.

      – Eh! Qu'est-il besoin que tu me comprennes, pauvre garçon! répondit-il en haussant avec dédain les épaules; tu as agi selon ta nature, sans réflexion, et sans arrière-pensée, je n'ai pas plus de reproches à t'adresser que d'explications à te donner.

      – Mais enfin, quoi? Que voulez-vous dire?

      – Connais-tu cet homme?

      – Ma foi, non; pourquoi le connaîtrai-je?

      – Je ne te demande pas cela; puisque tu ne le connais pas, comment se fait-il que tu nous l'amènes ainsi au rancho, sans dire gare?

      – Mon Dieu, par une raison bien simple: je revenais de Cholula, lorsque je l'ai trouvé couché en travers du chemin, râlant comme un taureau agonisant. Que pouvais-je faire? L'humanité ne me commandait-elle pas de lui porter secours? Est-il permis de laisser ainsi mourir un chrétien sans essayer de lui venir en aide?

      – Oui, oui, répondit ironiquement Olivier, tu as bien agi; certes, je suis loin de te blâmer. Comment donc! Un homme de cœur ne saurait rencontrer un de ses semblables navré aussi cruellement, sans lui porter secours. Puis, changeant de ton subitement et haussant les épaules avec pitié: est-ce donc au milieu des peaux-rouges parmi lesquels tu as si longtemps vécu que tu as reçu de telles leçons d'humanité? ajouta-t-il.

      Le jeune homme voulut répondre, il l'arrêta brusquement.

      – Il suffit; maintenant le mal est fait, lui dit-il, il n'y a plus à y revenir. López le conduira dans le souterrain du rancho, là il le soignera; va, López, ne perds pas de temps, emmène cet homme pendant que moi je causerai avec Dominique.

      López obéit, le jeune homme le laissa faire; il commençait à comprendre que peut-être son cœur l'avait trompé et qu'il s'était trop facilement laissé entraîner à un sentiment d'humanité envers un homme qui lui était parfaitement inconnu.

      Il y eut un assez long silence: López s'était éloigné avec le blessé et déjà il avait disparu dans le souterrain.

      Olivier et Dominique, arrêtés en face l'un de l'autre, demeuraient immobiles et pensifs. Enfin l'aventurier releva la tête.

      – As-tu causé avec cet homme?

      – Un peu, oui, à bâtons rompus.

      – Que t'a-t-il dit?

      – Pas grand chose de sensé, il m'a parlé d'une attaque dont il avait été victime.

      – Voilà tout?

      – Oui, à peu près.

      – T'a-t-il dit son nom?

      – Je ne lui ai pas demandé.

      – Mais, enfin il a dû te dire qui il est.

      – Oui, je crois; il m'a dit qu'il était arrivé depuis peu à la Veracruz et qu'il se rendait à México, lorsqu'il avait été attaqué à l'improviste et dépouillé par des hommes qu'il n'a pu reconnaître.

      – Il ne t'a rien dit autre chose, sur son nom ou sa position?

      – Non, pas un mot.

      L'aventurier demeura un instant pensif.

      – Écoute, reprit-il, et ne prends pas en mauvaise part ce que je vais te dire.

      – De vous, maître Olivier, j'entendrai tout, car vous avez le droit de tout me dire.

      – Bien, te rappelles-tu comment nous nous sommes connus?

      – Certes, j'étais un enfant alors, misérable et chétif, mourant de faim et de misère dans les rues de México, vous avez eu pitié de moi, vous m'avez habillé et nourri; non content de cela, vous m'avez vous-même enseigné à lire, à écrire, à calculer; que sais-je encore!

      – Passe, passe.

      – Puis, vous m'avez fait retrouver mes parents, ou du moins les personnes qui m'ont élevé, et que, à défaut d'autres, j'ai toujours considérés comme étant ma famille.

      – Bien, après.

      – Dam, vous savez cela aussi bien que moi, maître Olivier.

      – C'est possible, mais je veux que tu me le répètes.

      – Comme il vous plaira: un jour vous êtes venu au rancho, vous m'avez emmené avec vous et vous m'avez conduit en Sonora et au Texas, où nous avons chassé le bison; au bout de deux ou trois ans, vous m'avez fait adopter par une tribu Comanche, et vous m'avez quitté en m'ordonnant de demeurer dans les prairies et de mener l'existence de coureur des bois, jusqu'à ce que vous me fassiez transmettre l'ordre de revenir près de vous.

      – Fort bien, je vois que tu as bonne mémoire; continue.

      – Je vous ai obéi et je suis demeuré parmi les Indiens, chassant et vivant avec eux; il y a six mois, vous-même êtes arrivé au bord du Río Gila où je me