– Adieu, Simplet.
– Au revoir, répondit-il, au revoir.
Les sous-officiers restèrent seuls sur le trottoir.
Très troublé, Claude se taisait, n’osant interrompre la rêverie où son ami était plongé. Il éprouvait le contre-coup de la douleur cuisante qui frappait le pauvre garçon.
Deux mots lui avaient fait comprendre l’étendue de l’affection dont Yvonne et Simplet étaient unis.
En parlant d’elle, le sous-officier avait dit:
– Je n’ai qu’elle.
En le voyant, la jeune fille s’était écriée:
– Je n’ai que toi!
Et le marsouin grommelait entre ses dents:
– En voilà une tuile!
La phrase était vulgaire, mais le ton profondément sympathique.
– Ah! fit tout à coup Marcel, parlant haut sans en avoir conscience. Antonin est au diable et Yvonne va en prison. Le plus pressé est de l’en faire sortir. Seulement, voilà… dans cette ville où je ne connais personne, où je suis seul…
Claude lui toucha le bras.
– Pardon, nous sommes deux.
Le jeune homme leva la tête.
– Oui, poursuivit Bérard. Tantôt vous avez pris mon parti, sans m’avoir jamais vu, poussé uniquement par l’idée de justice. C’est mon tour maintenant, et je répète après vous: nous sommes deux.
Dalvan essuya une larme, puis simplement:
– Merci, frère, j’accepte.
II. LA TOILE D’ARAIGNÉE
Le lendemain vers dix heures, Marcel était assis pensif dans la chambre d’hôtel où il avait passé la nuit. On frappa à la porte.
– Entrez, dit-il.
Claude parut et demanda:
– Eh bien, comment ça va-t-il ce matin?
Dalvan eut un sourire:
– Bien…
– Oui, mais l’affaire de Mlle Yvonne?
– J’y pense.
– J’en suis sûr. Seulement qu’allons-nous faire?
Le jeune homme indiqua une chaise à son ami:
– Il faut qu’Yvonne soit libre. Or elle peut l’être de deux façons: son innocence prouvée, ou par évasion. Pour l’instant, il s’agit de comprendre l’affaire. Pourquoi et dans quelles circonstances a-t-elle été accusée?
Bérard ricana:
– À qui demander cela? Moi je ne connais rien à la police.
– Moi non plus, mais je désire voir Yvonne. À qui cela peut-il déplaire?
– Comment déplaire?
– Sans doute. C’est de celui-là que je dois obtenir l’autorisation, puisque seul il songerait à la refuser.
Le marsouin inclina la tête et gravement:
– C’est vrai! rien de plus logique, mais ça n’indique pas le personnage qui…
– Au contraire. Qui instruira le délit?
– Un juge.
– C’est donc lui qui a intérêt à ce que ma pauvre petite sœur soit au secret.
– En effet, s’écria Claude en riant, le raisonnement est simple.
– Tout est simple, affirma gravement Marcel.
Un hochement de tête de son compagnon l’interrompit:
– Quoi encore? dit-il.
– Où trouver l’adresse du juge, son nom?
– Au Palais de Justice.
– Au fait, c’est évident. Pour rencontrer un garçon de recettes, on irait à la banque qui l’occupe; de même pour un magistrat. Alors en route.
Quelques instants plus tard les jeunes gens quittaient l’hôtel, s’informaient au premier passant et, sur ses indications, gagnaient le quai qui longe la Saône.
Bientôt ils atteignirent le Palais de Justice, monument assez médiocre, malgré la colonnade corinthienne dont il est orné. Le concierge renvoya les sous-officiers au greffe, où un employé leur apprit que l’instruction du vol reproché à Mlle Ribor était confiée à M. Rennard, domicilié place Saint-Nizier, en face la curieuse église de ce nom.
Nanti de ce renseignement, Marcel entraîna son ami vers la demeure du magistrat.
Celui-ci, un brave homme grassouillet, à la figure paterne, accueillit le soldat avec bienveillance. Il parut ému par le récit de son affection pour Yvonne, et ne fit aucune difficulté de lui signer un permis de visiter la prisonnière.
Seulement, quand Marcel lui déclara qu’il apporterait les preuves de l’innocence de la malheureuse enfant, M. Rennard secoua doucement la tête sans répondre. Évidemment il la croyait coupable.
Après un déjeuner sommaire, les soldats se séparèrent. Bérard retourna à l’hôtel, tandis que le lignard s’acheminait vers la prison, située vis-à-vis l’ancien quai de la Vitriolerie.
Le laisser-passer du juge d’instruction était en règle, et le jeune homme fut bientôt introduit dans la chambre occupée par Yvonne. Munie d’un peu d’argent, la captive avait obtenu sans peine d’être soumise au régime de la « pistole ». Elle n’était d’ailleurs que « prévenue ».
– Simplet! s’écria-t-elle comme la veille.
– Moi, tu ne m’attendais pas?
– Comment es-tu arrivé jusqu’ici? J’étais triste et maintenant il me semble que mon malheur va prendre fin.
Rapidement il la mit au courant de ses démarches. Le visage de la jeune fille exprima la stupéfaction et d’un ton hésitant:
– Comment! c’est toi qui as eu l’idée de tout cela?
– Oui, répondit-il sans paraître remarquer l’air singulier d’Yvonne, moi avec mon ami Claude Bérard.
– Ah! bon!
Il y avait dans ces deux mots une foule de révélations. Au fond, la détenue ne prenait pas « au sérieux » son frère de lait. Son exclamation signifiait clairement:
– C’est ton ami qui t’a guidé, car livré à toi-même tu n’aurais pas trouvé cela.
L’affection a de ces injustices. Il n’est pas, dit-on, de grand homme pour son valet de chambre; encore moins pour ses amis ou ses parents. Et dans ce surnom de « Simplet », Yvonne avait mis, sans le savoir, toute la supériorité protectrice qu’elle pensait avoir le droit de marquer au jeune homme.
– Voyons, poursuivit Marcel, mettons à profit les instants. Y a t-il moyen de démontrer la fausseté de l’accusation qui pèse sur toi?
Elle secoua la tête:
– Non, ou plutôt il y en aurait un, si Antonin était auprès de nous.
– Tu m’as déjà dit cela hier soir. Si je suis venu, c’est pour t’encourager et te prier de me raconter ce qui s’est passé depuis que je ne t’ai vue. Pour te défendre, il est indispensable que je sache de quoi tu es menacée.
Du même ton d’ironie douloureuse:
– Tu veux me protéger, Simplet?
Marcel lui prit les mains:
– Oui, petite sœur.
– Oh!