Le crime de l'Opéra 1. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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ce doit être cela. Et je pourrais peut-être regretter de ne l’avoir pas reçu. Fais-le entrer au salon. Je vais y aller. Si M.  Darcy vient, tu le prieras de m’attendre dans la galerie…

      Non, non, pas là, reprit vivement Julia, tu le conduiras dans ma chambre à coucher.

      Elle s’était rappelé tout à coup que le malheureux Golymine avait rendu l’âme dans cette galerie, et que le lieu serait mal choisi pour jouer avec son successeur la comédie de la réconciliation.

      Mariette disparut. Après avoir imposé cinq minutes d’attente au visiteur, madame d’Orcival passa au salon et répondit par une inclination assez légère au salut du général.

      – À quoi dois-je, monsieur, l’honneur de vous voir? dit-elle froidement.

      La physionomie de M.  Simancas lui avait déplu tout d’abord, et elle se demandait si ce guerrier de l’Amérique du Sud n’était pas un agent de police déguisé.

      Le général avait très bonne mine, mais il avait des yeux inquiétants.

      – Madame, commença-t-il d’un air dégagé, je ne suis ni un créancier, ni un mendiant, ni un voleur, et, pour que je puisse vous expliquer le but de ma visite, vous voudrez bien, je l’espère, vous asseoir et me permettre d’en faire autant.

      M.  Simancas, en le prenant sur ce ton, pensait intimider Julia, et il avait ses raisons pour en user ainsi. Mais il s’aperçut qu’il faisait fausse route.

      – Monsieur, riposta la dame, je n’ai pas de créanciers, je fais faire aux mendiants l’aumône par mon valet de pied, et je ne crains pas les voleurs. Vous auriez pu vous dispenser de ce préambule déplacé, et je vous invite à me dire très vite ce qui vous amène, car j’ai fort peu de temps à vous donner.

      Le Péruvien, voyant qu’il avait affaire à forte partie, changea de note et d’attitude.

      – Je n’ai pas eu l’intention de vous offenser, madame, reprit-il, sans plus faire mine de s’établir dans un fauteuil. Vous le croirez certainement quand vous saurez que j’ai été le compagnon d’armes et l’ami de ce pauvre Wenceslas.

      – Je ne comprends pas, dit madame d’Orcival, qui comprenait fort bien.

      – De ce pauvre Wenceslas Golymine qui est mort d’une manière si tragique.

      – Que m’importe que vous ayez été ou non son ami?

      – Il vous importe beaucoup. Je connaissais tous les secrets de Golymine.

      – Ses secrets n’étaient pas les miens.

      – Pas tous, mais il y en a bien quelques-uns qu’il ne vous a pas cachés.

      – Pardon, monsieur, vous n’êtes pas venu, je suppose, pour m’entretenir de vos relations avec le comte Golymine qui a vécu autrefois dans mon intimité, mais que j’ai cessé depuis longtemps de recevoir. Où voulez-vous en venir?

      – À vous demander si Wenceslas ne vous aurait pas confié des lettres à lui écrites par des personnes que ces lettres compromettent gravement.

      – Et ce sont ces personnes qui vous ont chargé de la mission dont vous vous acquittez si bien?

      – Peut-être. Mais, quoi qu’il en soit, je vous serais très reconnaissant de me remettre ces correspondances, et cela dans l’intérêt de la mémoire du comte.

      – Est-ce tout ce que vous avez à me dire?

      – Non. Golymine portait toujours sur lui, je le sais, certaines pièces écrites qu’il conviendrait de détruire. Je voudrais savoir si vous les avez trouvées après sa mort, et dans le cas où elles seraient en votre possession, je serais disposé à payer pour les avoir le prix que vous en demanderiez.

      »Je puis bien vous apprendre de quoi il s’agit. J’ai quitté mon pays parce qu’une conspiration dont j’étais le chef n’a pas réussi. Golymine, qui a séjourné au Pérou, conspirait avec moi. Nous songions tous les deux à retourner à Lima pour y tenter une révolution. Ces papiers contiennent le plan de notre entreprise, la liste des conjurés… et s’ils tombaient entre les mains de la police française…

      – Cette fois, c’est bien tout, je pense?

      – Il me reste à ajouter que je suis riche et que rien ne me coûtera pour…

      – Assez, monsieur, dit Julia. Je vous ai laissé parler parce que je voulais savoir jusqu’où vous pousseriez l’audace. Comment avez-vous pu supposer que le comte Golymine déposait chez moi les lettres de ses maîtresses? Et comment osez-vous me demander si j’ai pris les papiers qu’il portait sur lui? Vous croyez donc que j’ai fouillé son cadavre? Et, pour me donner le change, vous inventez je ne sais quelle ridicule histoire de conspiration péruvienne! Il faut, en vérité, qu’on vous ait bien mal renseigné sur moi. Je ne sais pas qui vous êtes, quoique je me souvienne vaguement d’avoir entendu le comte parler de vous. Mais je vais vous parler un langage très net.

      »Il se peut que M.  Golymine ait gardé les lettres des femmes qui l’ont aimé; il se peut même qu’il les ait gardées pour en faire un mauvais usage. Mais il ne m’a pas choisie pour confidente.

      »Et, quant aux prétendues listes de conjurés qui vous préoccupent tant, s’il les portait sur lui, c’est à la Préfecture de police qu’il vous faut aller pour les réclamer.

      – Alors, madame, les vêtements que portaient Golymine quand il est mort…

      – Ne sont pas restés chez moi; non, monsieur. Et, à mon tour, il me reste à ajouter que je vous prie de vous retirer.

      Ce fut dit d’un tel air qu’un visiteur ordinaire aurait pris incontinent le chemin de la porte; mais M.  Simancas ne se déconcertait pas pour si peu.

      Il resta planté devant madame d’Orcival, et il se mit à la regarder comme on regarde un chef-d’œuvre dans un musée.

      – Excusez-moi, madame, dit-il avec une politesse humble. Je m’étais trompé sur vous, ou plutôt on m’avait trompé. Nous autres étrangers, nous sommes sujets à commettre de ces bévues, faute de bien connaître le monde parisien. Les Français ont le tort impardonnable de mal parler des femmes, et nous avons le tort, le plus impardonnable encore, de nous en rapporter à leurs appréciations. De sorte qu’en me présentant chez vous, je croyais…

      – Prenez garde, monsieur, vous allez me dire une impertinence.

      – À Dieu ne plaise, madame. Je veux, au contraire, vous supplier de me pardonner. Et vous me pardonnerez, si vous voulez bien réfléchir à la situation que nous fait, à moi et à quelques-uns de mes compatriotes, la mort de ce pauvre comte.

      – Vous tenez donc à cette histoire de conspiration? demanda ironiquement madame d’Orcival.

      – Hélas! madame, elle n’est que trop vraie.

      »Et je puis bien vous avouer maintenant que le véritable but de ma visite était de savoir si notre malheureux ami n’avait pas déposé chez vous des papiers politiques. Quant aux lettres de femmes que Golymine peut avoir conservées, je m’en soucie fort peu, et si je me suis servi de ce prétexte, c’est que je n’osais pas tout d’abord me fier à vous. Le secret du complot que nous avons formé pour rendre l’indépendance à notre patrie n’est pas à moi seul.

      »Je vois que je m’alarmais à tort et que j’aurais mieux fait de vous dire tout de suite la vérité.

      – Oui, car vous auriez su plus tôt à quoi vous en tenir. Je vous répète que le comte ne m’a jamais dit un mot des affaires auxquelles il a pu se trouver mêlé. Et je vous prie encore une fois, monsieur, de mettre fin à une entrevue qui n’a plus aucun but.

      – C’est ce que je vais faire, madame, en vous priant de nouveau d’agréer mes excuses. Permettez-moi seulement, avant de prendre congé de vous, de vous adresser une question, qui vous paraîtra peut-être étrange. Oserai-je vous demander… comment le comte était habillé, quand il est venu chez vous