Le crime de l'Opéra 1. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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vient de s’arrêter à la porte, murmura-t-elle.

      Berthe courut à la fenêtre, l’entrouvrit et s’écria:

      – C’est lui! il descend d’un fiacre.

      Puis, refermant vivement la croisée et s’adressant à Darcy:

      – Monsieur, dit-elle d’un ton bref, vous êtes assez mon ami pour que je ne vous cache pas la vérité. M.  Crozon est absent depuis longtemps; il a le tort d’être horriblement jaloux, et nous savons qu’il a reçu des lettres anonymes où l’on accuse ma sœur de l’avoir trompé depuis son départ. Voilà pourquoi vous nous voyez si troublées.

      Darcy crut que cette confidence tendait à le presser de partir.

      – En effet, répondit-il, en saluant affectueusement la femme du marin, s’il me rencontrait ici, cela confirmerait ses injustes soupçons, et…

      – Non, interrompit mademoiselle Lestérel, ne partez pas, M.  Crozon est très violent. S’il se portait à quelque extrémité, seule, je ne pourrais pas défendre ma sœur, tandis qu’avec vous…

      – Disposez de moi, dit vivement Darcy.

      – Non… non, murmura la jeune femme, ne restez pas ici… il vous tuerait…

      – Ne craignez pas cela, madame, je ne me laisserai pas tuer, pas plus que je ne permettrai qu’on vous maltraite.

      Darcy, en répondant ainsi, avait la tête haute et le regard résolu. Le capitaine au long cours allait trouver à qui parler.

      – Vous n’avez pas compris, repris Berthe. Je ne veux pas que mon beau-frère vous rencontre. Votre présence l’exaspèrerait. Ce que je veux, c’est que vous restiez à portée de nous secourir, si je vous appelle.

      »Venez, ajouta-t-elle en ouvrant une porte. Voici un cabinet d’où vous entendrez tout. Il y a un verrou en dedans et une sortie qui donne directement sur l’escalier. Enfermez-vous. Et entrez, si je crie: À moi! Si, au contraire, je dis à M.  Crozon: «Maintenant, vous n’accuserez plus Mathilde», partez sans bruit.

      »Venez, il le faut.

      Darcy entra de bonne grâce dans la cachette que mademoiselle Lestérel lui indiquait. Il sentait fort bien le danger, et même le ridicule de la situation, mais il se serait soumis à de plus pénibles épreuves pour plaire à Berthe, et il se disait avec joie qu’en l’initiant ainsi à ses secrets de famille, Berthe lui donnait un gage d’intimité dont il pourrait tirer parti plus tard.

      Il se logea donc dans ce cabinet noir, il poussa le verrou pour se mettre à l’abri d’une invasion de l’ennemi, et il s’assura que la retraite lui était ouverte, par un couloir qui permettait de sortir de l’appartement sans traverser le salon.

      Ces précautions prises, il se prépara à assister à une scène de ménage qui lui paraissait devoir être plus déplaisante que terrible, mais qu’il était très déterminé à faire cesser si le marin poussait les choses au tragique.

      Et il ne put s’empêcher de faire cette réflexion, qu’il était dans sa destinée d’assister en témoin invisible à des explications orageuses. Le soir, chez Julia, le jour, chez madame Crozon, la situation était presque la même. Seulement, la veille, elle s’était dénouée par un suicide, et, cette fois, à en juger par le trouble où le retour du mari avait jeté les deux sœurs, elle pouvait se dénouer par un meurtre.

      Du reste, Darcy n’eut pas le temps de beaucoup réfléchir. À peine s’était-il établi à son poste d’observation qu’il entendit le bruit d’une porte fermée avec violence et une voix rude qui disait:

      – Oui, c’est moi, madame. Vous ne m’attendiez pas si tôt?

      – Mathilde est bien heureuse de vous revoir, mon cher Jacques, dit la douce voix de Berthe; mais vous n’auriez pas dû la surprendre ainsi. Elle est très malade, et l’émotion…

      – Je n’ai que faire de vos avis… ni de votre présence, interrompit grossièrement le mari. Je veux avoir une explication avec ma femme, et je ne veux pas que vous y assistiez.

      – Une explication, Jacques! Après dix-huit mois d’absence, vous feriez mieux de commencer par embrasser Mathilde.

      – Demandez-lui donc si elle oserait venir m’embrasser, elle, tonna le capitaine. Demandez-lui ce qu’elle a fait, pendant que je courais les mers pour lui gagner une fortune. C’est inutile, n’est-ce pas? Vous le savez fort bien, ce qu’elle a fait.

      – Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Vous semblez accuser ma pauvre sœur d’une infamie. Il ne vous manque plus que de m’accuser d’être sa complice.

      – Je ne vous accuse pas. Mais je ne reviens pas pour discuter avec vous. Je reviens pour punir. Et j’entends que vous me laissiez seul avec ma femme. Allez-vous-en!

      – Diable! pensait Darcy, l’affaire s’engage mal. Je crois qu’il me faudra en découdre avec ce loup marin.

      – Je ne m’en irai pas, dit avec une fermeté tranquille mademoiselle Lestérel. Vous êtes irrité, Jacques. Mathilde se justifiera sans peine, si vous voulez bien l’interroger doucement. Mais en ce moment vous n’êtes pas maître de vous, et la colère pourrait vous pousser à commettre un acte de violence. Je ne dois pas quitter ma sœur. Et ne prétendez pas que je n’ai pas le droit de m’interposer entre elle et vous. Je n’ai qu’elle au monde, et elle n’a que moi, puisque nous sommes orphelines. Qui l’offense m’offense, qui la menace me menace, et je vous le jure, Jacques, si vous voulez porter la main sur elle, il faudra commencer par me tuer.

      Ce discours, dont il ne perdit pas une syllabe, fit tressaillir Darcy, qui se tint prêt à entrer en scène, aussitôt qu’il entendrait les mots convenus: À moi!

      Mais l’éloquence partie du cœur agit même sur les furieux, et le capitaine changea de ton.

      – Soit! dit-il, restez. Vous êtes une brave fille après tout, et plût à Dieu que votre sœur vous ressemblât. Mais je vous jure que votre présence ne m’empêchera pas de faire justice.

      »À nous deux, maintenant, madame.

      Darcy entendit un gémissement étouffé. Ce fut la seule réponse de la malheureuse Mathilde. Il ne la voyait pas, mais il se la figurait affaissée sur sa chaise longue, accablée, anéantie.

      – Parlez! mais parlez donc! cria le mari. Essayez au moins de me prouver que vous êtes innocente. Vous savez bien de quoi vous êtes accusée. Je vous l’ai écrit, et je me repens de vous avoir avertie. Si j’étais revenu à l’improviste, si j’avais eu la patience de vous surveiller, je suis sûr que j’aurais pu vous convaincre, tandis que vous allez me débiter les mensonges que vous avez eu le temps de préparer. Mais je n’ai pas appris à dissimuler, moi! Quand j’aime et quand je hais, je ne cache ni mon amour ni ma haine… et je vous aimais… Ah! j’étais stupide.

      Darcy remarqua fort bien que la voix du marin était émue, et il commença à espérer que l’orage allait se terminer par une pluie de larmes. Mais, presque aussitôt, elle reprit, cette terrible voix:

      – Répondez! Est-il vrai qu’il y a un an, on vous a vue dans une loge de théâtre avec un homme?

      – Non, ce n’est pas vrai, murmura l’accusée. On vous a trompé… ou on s’est trompé.

      – Vous n’allez pas soutenir, je pense, qu’on a pris votre sœur pour vous, dit ironiquement M.  Crozon. Berthe vous défend, et je ne l’en blâme pas; mais Berthe vit comme une sainte, Berthe a su résister à toutes les tentations… et pourtant elle n’a de devoirs à remplir qu’envers elle-même… elle est libre… mais elle est trop fière pour s’abaisser jusqu’à prendre un amant.

      Darcy, qui écoutait avec plus d’attention que jamais, se mit à bénir ce furieux qui donnait à mademoiselle Lestérel une si éclatante attestation de vertu. En vérité, il l’aurait volontiers embrassé.

      – Ce que vous pensez de moi, Jacques, dit la