Le crime de l'Opéra 1. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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ma canne, mais je ne crois pas aux voleurs de nuit. Bonsoir, monsieur.

      Et, plantant là le général, Darcy traversa rapidement la chaussée du boulevard pour s’acheminer d’un pas allègre vers la Madeleine.

      Il habitait rue Montaigne, et il n’était vraiment pas fâché de faire un peu d’exercice avant de se mettre au lit. Le temps était sec et pas trop froid, le trajet n’était pas trop long, juste ce qu’il fallait pour dissiper un léger mal de tête produit par les émotions de la soirée.

      Quoiqu’il fût très tard, il y avait encore des passants dans les parages du nouvel Opéra, mais plus loin le boulevard était désert.

      Gaston marchait, sa canne sous son bras, ses deux mains dans les poches de son pardessus, et pensait à toute autre chose qu’aux assommeurs dont les exploits remplissaient les journaux.

      Il arriva à la Madeleine, sans avoir rencontré âme qui vive; mais, en traversant la rue Royale, il aperçut un homme et une femme cheminant côte à côte à l’entrée du boulevard Malesherbes.

      La rencontre n’avait rien d’extraordinaire, mais l’hôtel de madame d’Orcival était au bout de ce boulevard, et un rapprochement bizarre vint à l’esprit de Darcy.

      L’homme était grand et mince comme Golymine, la femme était à peu près de la même taille que Julia, et elle avait quelque chose de sa tournure.

      Gaston savait bien que ce n’était qu’une apparence, que Golymine était mort et que Julia ne courait pas les rues à pareille heure. Mais l’idée qui venait de lui passer par la tête fit qu’il accorda une seconde d’attention à ce couple.

      Il vit alors que la femme cherchait à éviter l’homme qui marchait à côté d’elle, et il comprit qu’il assistait à une de ces petites scènes qui se jouent si souvent dans les rues de Paris; un chercheur de bonnes fortunes abordant une passante qui refuse de l’écouter. Il savait que ces sortes d’aventures ne tirent pas à conséquence et que, neuf fois sur dix, la persécutée finit par s’entendre avec le persécuteur. Il ne se souciait donc pas de venir au secours d’une personne qui ne tenait peut-être pas à être secourue.

      Cependant, la femme faisait, tantôt à droite, tantôt à gauche, des pointes si brusques et si décidées qu’on ne pouvait guère la soupçonner de jouer la comédie de la résistance. Elle cherchait sérieusement à se délivrer d’une poursuite qu’elle n’avait pas encouragée, mais elle n’y réussissait guère. L’homme était tenace. Il serrait de près la pauvre créature, et chaque fois qu’il la rattrapait, après une échappée, il se penchait pour la regarder sous le nez et probablement pour lui dire de grosses galanteries.

      Darcy était trop Parisien pour se mêler inconsidérément des affaires d’autrui, mais il avait une certaine tendance au don quichottisme, et son tempérament le portait à prendre le parti des faibles. Sceptique à l’endroit des femmes qui circulent seules par la ville à trois heures du matin, il n’était cependant pas homme à souffrir qu’on les violentât sous ses yeux.

      Au lieu de s’éloigner, il resta sur le trottoir de la rue Royale pour voir comment l’histoire allait finir, et bien décidé à intervenir, s’il en était prié.

      Il n’attendit pas longtemps. La femme l’aperçut et vint droit à lui, toujours suivie par l’acharné chasseur.

      Ne doutant plus qu’elle n’eût le dessein de se mettre sous sa protection, Gaston s’avança, et au moment où l’homme passait à portée d’un bec de gaz, il le reconnut. C’était Prébord, le beau Prébord qui se vantait de chercher ses conquêtes exclusivement dans le grand monde, et Darcy eut aussitôt l’idée que l’inconnue n’était pas une simple aventurière, que ce Lovelace brun la connaissait et qu’il abusait pour la compromettre du hasard d’une rencontre.

      Cette idée ne fit que l’affermir dans sa résolution de protéger une femme contre les entreprises d’un fat, et il manœuvra de façon à laisser passer la colombe et à barrer le chemin à l’épervier.

      Il se trouva ainsi nez à nez avec Prébord, qui s’écria:

      – Comment! c’est vous, Darcy!

      À ce nom, la colombe, qui fuyait à tire-d’aile, s’arrêta court et revint à Gaston.

      – Monsieur, lui dit-elle, ne me quittez pas, je vous en supplie. Quand vous saurez qui je suis, vous ne regretterez pas de m’avoir défendue.

      La voix était altérée par l’émotion, et pourtant Gaston crut la reconnaître. La figure, cachée sous une épaisse voilette, restait invisible. Mais le moment eût été mal choisi pour chercher à pénétrer le mystère dont s’enveloppait la dame; Darcy devait avant tout se débarrasser de Prébord.

      – Oui, c’est moi, monsieur, lui dit-il sèchement, et je prends madame sous ma protection. Qu’y trouvez-vous à redire?

      – Absolument rien, mon cher, répondit Prébord sans se fâcher. Madame est de vos amies, à ce qu’il paraît. Je ne pouvais pas deviner cela. Maintenant que je le sais, je n’ai nulle envie d’aller sur vos brisées. Je regrette seulement d’avoir perdu mes peines. Vous serez plus heureux que moi, je n’en doute pas, car vous avez toutes les veines.

      »Sur ce, je prie votre charmante compagne d’accepter mes excuses, et je vous souhaite une bonne nuit, ajouta l’impertinent personnage en tournant les talons.

      L’allusion à la veine acheva d’irriter Darcy. Il allait relever vertement ces propos ironiques, et même courir après le railleur pour lui dire son fait de plus près; mais l’inconnue passa son bras sous le sien, et murmura ces mots, qui le calmèrent:

      – Au nom du ciel, monsieur, n’engagez pas une querelle à cause de moi: ce serait me perdre.

      La voix avait des inflexions douces qui allèrent droit au cœur de Darcy, et il répondit aussitôt:

      – Vous avez raison, madame. Ce n’est pas ici qu’il convient de dire à ce joli monsieur ce que je pense de lui… et je sais où le retrouver. Je vous ai délivrée de ses obsessions. Que puis-je faire pour vous maintenant?

      – Si j’osais, je vous demanderais de m’accompagner jusqu’à la porte de la maison que j’habite… rue de Ponthieu, 97.

      – Rue de Ponthieu, 97! Je ne me trompais donc pas. C’est à mademoiselle Berthe Lestérel que j’ai eu le bonheur de rendre un service.

      – Quoi! vous m’aviez reconnue?

      – À votre voix. Il est impossible de l’oublier, quand on l’a déjà entendue… pas plus qu’on ne peut oublier votre beauté… votre grâce…

      – Oh! monsieur, je vous en prie, ne me faites pas de compliments. Si vous saviez tous ceux que je viens de subir. Il me semblerait que mon persécuteur est encore là.

      – Oui, ce sot a dû vous accabler de ses fades galanteries. Et pourtant, il n’a pu voir votre visage, voilée comme vous l’étiez… comme vous l’êtes encore.

      – Je tremble qu’il ne m’ait reconnue.

      – Il vous connaît donc?

      – Il m’a rencontrée dans des salons où je chantais… moi, je ne l’ai pas reconnu, par la raison que je n’avais jamais fait attention à lui… mais, quand vous l’avez appelé par son nom, je me suis souvenue qu’on me l’a montré… à un concert chez madame la marquise de Barancos.

      – C’est à ce concert que j’ai eu le bonheur de vous voir pour la première fois.

      – Et que vous avez eu la bonté de vous occuper de moi. J’ai été d’autant plus touchée de vos attentions, que ma situation dans le monde est assez fausse. Je n’y vais qu’en qualité d’artiste. On me paie pour chanter.

      – Qu’importe, puisque, par l’éducation, par l’esprit, par le cœur, vous valez mieux que les femmes les plus haut placées? D’ailleurs, avec votre talent, il n’aurait tenu qu’à vous d’être une