A se tordre. Alphonse Allais. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Alphonse Allais
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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après m’avoir ausculté plus soigneusement que de coutume, me demanda :

      – Vous êtes content de votre appartement ?

      – Mais oui, assez.

      – Combien payez-vous ?

      – Trois mille quatre.

      – Les concierges sont convenables ?

      – Je n’ai jamais eu à m’en plaindre.

      – Et le propriétaire ?

      – Le propriétaire est très gentil.

      – Les cheminées ne fument pas ?

      – Pas trop.

      Etc., etc.

      Et je me demandais : « Où veut-il en venir, cet animal-là ? Que mon appartement soit humide ou non, ça peut l’intéresser au point de vue de ma maladie, mais le chiffre de mes contributions, qu’est-ce que ça peut bien lui faire ? » Et malgré mon état de faiblesse, je me hasardai à lui demander :

      – Mais, docteur, pourquoi toutes ces questions ?

      – Je vais vous le dire, me répondit-il, je cherche un appartement, et le vôtre ferait bien mon affaire.

      – Mais… je n’ai point l’intention de déménager

      – Il faudra bien pourtant dans quelques jours.

      – Déménager ?

      – Dame !

      Et je compris

      Mon médecin jugeait mon état désespéré, et il ne me l’envoyait pas dire.

      Ce que cette brusque révélation me produisit, je ne saurais l’exprimer en aucune langue.

      Un trac terrible, d’abord, une frayeur épouvantable !

      Et puis, ensuite, une colère bleue ! On ne se conduit pas comme ça avec un malade, avec un client, un bon client, j’ose le dire.

      Ah ! tu veux mon appartement, mon vieux ? Eh bien, tu peux te fouiller !

      Quand vous serez malade, je vous recommande ce procédé-là : mettez-vous en colère. Ça vous fera peut-être du mal, à vous. Moi, ça m’a guéri.

      J’ai fichu mon médecin à la porte.

      J’ai flanqué mes médicaments par la fenêtre.

      Quand je dis que je les ai flanqués par la fenêtre, j’exagère. Je n’aime pas à faire du verre cassé exprès, ça peut blesser les passants, et je n’aime pas à blesser les passants : je ne suis pas médecin, moi !

      Je me suis contenté de renvoyer toutes mes fioles au pharmacien avec une lettre à cheval.

      Et il y en avait de ces fioles, et de ces paquets et de ces boîtes

      Il y en avait tant qu’un jour je m’étais trompé – je m’étais collé du sirop sur l’estomac et j’avais avalé un emplâtre.

      C’est même la seule fois où j’ai éprouvé quelque soulagement.

      Et puis, j’ai renouvelé mon bail et je n’ai jamais repris de médecin.

      BOISFLAMBARD

      La dernière fois que j’avais rencontré Boisflambard, c’était un matin, de très bonne heure (je ne me souviens plus quelle mouche m’avait piqué de me lever si tôt), au coin du boulevard Saint-michel et de la rue Racine.

      Mon pauvre Boisflambard, quantum mutatus !

      À cette époque-là, le jeune Boisflambard résumait toutes les élégances du Quartier latin.

      Joli garçon, bien tourné, Maurice Boisflambard s’appliquait à être l’homme le mieux « mis » de toute la rive gauche.

      Le vernis de ses bottines ne trouvait de concurrence sérieuse que dans le luisant de ses chapeaux, et si on ne se lassait pas d’admirer ses cravates, on avait, depuis longtemps, renoncé à en savoir le nombre.

      De même pour ses gilets.

      Que faisait Boisflambard au Quartier latin ? Voilà ce que personne n’aurait pu dire exactement. Étudiant ? En quoi aurait-il été étudiant et à quel moment de la journée aurait-il étudié ? Quels cours, quelles cliniques aurait-il suivis ?

      Car Boisflambard ne fréquentait, dans la journée, que les brasseries de dames ; le soir, que le bal Bullier ou un petit concert énormément tumultueux, disparu depuis, qui s’appelait le Chalet.

      Mais que nous importait la fonction sociale de Boisflambard ? N’était-il pas le meilleur garçon du monde, charmant, obligeant, sympathique à tous ?

      Pauvre Boisflambard !

      J’hésitai de longues secondes à le reconnaître, tant sa piteuse tenue contrastait avec son dandysme habituel.

      De gros souliers bien cirés, mais faisant valoir, par d’innombrables pièces, de sérieux droits à la retraite ; de pauvres vieux gants noirs éraillés ; une chemise de toile commune irréprochablement propre, mais gauchement taillée et mille fois reprisée ; une cravate plus que modeste et semblant provenir d’une lointaine bourgade ; le tout complété par un chapeau haut de forme rouge et une redingote verte.

      Je dois à la vérité de déclarer que ce chapeau rouge et cette redingote verte avaient été noirs tous les deux dans des temps reculés.

      Et à ce propos, qui dira pourquoi le Temps, ce grand teinturier, s’amuse à rougir les chapeaux, alors qu’il verdit les redingotes ? La nature est capricieuse : elle a horreur du vide, peut-être éprouve-t-elle un vif penchant pour les couleurs complémentaires !

      Je serrai la main de Boisflambard ; mais, malgré toute ma bonne volonté, mon regard manifesta une stupeur qui n’échappa pas à mon ami.

      Il était devenu rouge comme un coq (un coq rouge, bien entendu).

      – Mon ami, balbutia-t-il, tu dois comprendre, à mon aspect, qu’un malheur irréparable a fondu sur moi. Tu ne me verras plus : je quitte prochainement Paris.

      Je ne trouvai d’autre réponse qu’un serrement de main où je mis toute ma cordialité.

      De plus en plus écarlate, Boisflambard disparut dans la direction de la rue Racine.

      Depuis cette entrevue, je m’étais souvent demandé quel pouvait être le sort de l’infortuné Boisflambard, et mes idées, à ce sujet, prenaient deux tours différents.

      D’abord une sincère et amicale compassion pour son malheur, et puis un légitime étonnement pour le brusque effet physique de cette catastrophe sur des objets inanimés, tels que des souliers ou une chemise.

      Qu’un homme soit foudroyé par une calamité, que ses cheveux blanchissent en une nuit, je l’admets volontiers ; mais que cette même calamité transforme, dans la semaine, une paire d’élégantes bottines en souliers de roulier, voilà ce qui passait mon entendement.

      Pourtant, à la longue, une réflexion me vint, qui me mit quelque tranquillité dans l’esprit : peut-être Boisflambard avait-il vendu sa somptueuse garde-robe pour la remplacer par des hardes plus modestes ?

      Quelques années après cette aventure, il m’arriva un malheur dans une petite ville de province.

      Grimpé sur l’impériale d’une diligence, je ne voulus pas attendre, pour en descendre, qu’on appliquât l’échelle. Je sautai sur le sol et me foulai le pied.

      On me porta dans une chambre de l’hôtel et, en attendant le médecin, on m’entoura le pied d’une quantité prodigieuse de compresses, à croire que tout le linge de maison servait à mon pansement.

      – Ah ! voilà le docteur ! s’écria une bonne.

      Je levai les yeux, et ne pus réprimer un cri de joyeuse surprise.

      Celui qu’on appelait le docteur, c’était mon ancien camarade Boisflambard.

      Un Boisflambard un peu engraissé, mais élégant tout