A se tordre. Alphonse Allais. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Alphonse Allais
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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et il se tint parole.

      Il mangea fort peu, jamais de féculents, évita de boire pendant ses repas, ainsi que le recommandent les meilleurs médecins. Beaucoup d’exercice.

      Ce traitement ne suffisant pas, Ferdinand, aidé par son instinct et de rares aptitudes aux sciences naturelles, pénétrait de nuit dans le jardin et absorbait les plantes les plus purgatives, les racines les plus drastiques.

      Pendant quelque temps, ses efforts furent couronnés de succès, mais son pauvre corps de canard s’habitua à ces drogues, et mon infortuné Ferdinand regagna vite le poids perdu.

      Il essaya des plantes vénéneuses à petites doses, et suça quelques feuilles d’un datura stramonium qui jouait dans les massifs de mon parrain un rôle épineux et décoratif.

      Ferdinand fut malade comme un fort cheval et faillit y passer.

      L’électricité s’offrit à son âme ingénieuse, et je le surpris souvent, les yeux levés vers les fils télégraphiques qui rayaient l’azur, juste au-dessus de la basse-cour ; mais ses pauvres ailes atrophiées refusèrent de le monter si haut.

      Un jour, la cuisinière, impatientée de cette étisie incoercible, empoigna Ferdinand, lui lia les pattes en murmurant : « Bah ! à la casserole, avec une bonne platée de petits pois ! … »

      La place me manque pour peindre ma consternation.

      Ferdinand n’avait plus qu’une seule aurore à voir luire.

      Dans la nuit je me levai pour porter à mon ami le suprême adieu, et voici le spectacle qui s’offrit à mes yeux :

      Ferdinand, les pattes encore liées, s’était traîné jusqu’au seuil de la cuisine. D’un mouvement énergique de friction alternative, il aiguisait son bec sur la marche de granit. Puis, d’un coup sec, il coupa la ficelle qui l’entravait et se retrouva debout sur ses pattes un peu engourdies.

      Tout à fait rassuré, je regagnai doucement ma chambre et m’endormis profondément.

      Au matin, vous ne pouvez pas vous faire une idée des cris remplissant la maison. La cuisinière, dans un langage malveillant, trivial et tumultueux, annonçait à tous, la fuite de Ferdinand.

      – Madame ! Madame ! Ferdinand qui a fichu le camp !

      Cinq minutes après, une nouvelle découverte la jeta hors d’elle-même :

      – Madame ! Madame ! Imaginez-vous qu’avant de partir, ce cochon-là a boulotté tous les petits pois qu’on devait lui mettre avec !

      Je reconnaissais bien, à ce trait, mon vieux Ferdinand.

      Qu’a-t-il pu devenir, par la suite ?

      Peut-être a-t-il appliqué au mal les merveilleuses facultés dont la nature, alma parens, s’était plu à le gratifier.

      Qu’importe ? Le souvenir de Ferdinand me restera toujours comme celui d’un rude lapin.

      Et à vous aussi, j’espère !

      MŒURS DE CE TEMPS-CI

      À la fois très travailleur et très bohème, il partage son temps entre l’atelier et la brasserie, entre son vaste atelier du boulevard Clichy et les gais cabarets de Montmartre.

      Aussi sa mondanité est-elle restée des plus embryonnaires.

      Dernièrement, il a eu un portrait à faire, le portrait d’une dame, d’une bien grande dame, une haute baronne de la finance doublée d’une Parisienne exquise.

      Et il s’en est admirablement tiré.

      Elle est venue sur la toile comme elle est dans la vie, c’est-à-dire charmante et savoureuse avec ce je ne sais quoi d’éperdu.

      Au prochain Salon, après avoir consulté un décevant livret, chacun murmurera, un peu troublé : « Je voudrais bien savoir quelle est cette baronne. »

      Et elle a été si contente de son portrait qu’elle a donné en l’honneur de son peintre un dîner, un grand dîner.

      Au commencement du repas, il a bien été un peu gêné dans sa redingote inaccoutumée, mais il s’est remis peu à peu.

      Au dessert, s’il avait eu sa pipe, sa bonne pipe, il aurait été tout fait heureux.

      On a servi le café dans la serre, une merveille de serre où l’industrie le l’Orient semble avoir donné rendez-vous à la nature des Tropiques.

      Il est tout à fait à son aise maintenant, et il lâche les brides à ses plus joyeux paradoxes que les convives écoutent gravement, avec un rien d’ahurissement.

      Puis tout en causant, pendant que la baronne remplit son verre d’un infiniment vieux cognac, il saisit les soucoupes de ses voisins et les dispose en pile devant lui.

      Et comme la baronne contemple ce manège, non sans étonnement, il lui dit, très gracieux :

      – Laissez, baronne, c’est ma tournée.

      EN BORDÉE

      Le jeune et brillant maréchal des logis d’artillerie Raoul de Montcocasse est radieux. On vient de le charger d’une mission qui, tout en flattant son amour-propre de sous-officier, lui assure pour le lendemain une de ces bonnes journées qui comptent dans l’existence d’un canonnier.

      Il s’agit d’aller à Saint-Cloud avec trois hommes prendre possession d’une pièce d’artillerie et de la ramener au fort de Vincennes.

      Rassurez-vous, lecteurs pitoyables, cette histoire se passe en temps de paix et, durant toute cette page, notre ami Raoul ne courra pas de sérieux dangers.

      Dès l’aube, tout le monde était prêt, et la petite cavalcade se mettait en route. Un temps superbe !

      – Jolie journée ! fit Raoul en caressant l’encolure de son cheval.

      En disant jolie journée, Raoul ne croyait pas si bien dire, car pour une jolie journée, ce fut une jolie journée.

      On arriva à Saint-Cloud sans encombre, mais avec un appétit ! Un appétit d’artilleur qui rêve que ses obus sont en mortadelle !

      Très en fonds ce jour-là, Raoul offrit à ses hommes un plantureux déjeuner à la Caboche verte. Tout en fumant un bon cigare, on prit un bon café et un bon pousse-café, suivi lui-même de quelques autres bons pousse-café, et on était très rouge quand on songea à se faire livrer la pièce en question.

      – Ne nous mettons pas en retard, remarqua Raoul.

      Je crois avoir observé plus haut qu’il faisait une jolie journée ; or une jolie journée ne va pas sans un peu de chaleur, et la chaleur est bien connue pour donner soif à la troupe en général, et particulièrement à l’artillerie, qui est une arme d’élite.

      Heureusement, la Providence, qui veille à tout, a saupoudré les bords de la Seine d’un nombre appréciable de joyeux mastroquets, humecteurs jamais las des gosiers desséchés.

      Raoul et ses hommes absorbèrent des flots de ce petit argenteuil qui vous évoque bien mieux l’idée du saphir que du rubis, et qui vous entre dans l’estomac comme un tire-bouchon.

      On arrivait aux fortifications.

      – Pas de blagues, maintenant ! commande Montcocasse plein de dignité, nous voilà en ville.

      Et les artilleurs, subitement envahis par le sentiment du devoir, s’appliquèrent à prendre des attitudes décoratives, en rapport avec la mission qu’ils accomplissaient.

      Le canon lui-même, une bonne pièce de Bange de 90, sembla redoubler de gravité.

      À la hauteur du pont Royal, Raoul se souvint qu’il avait tout près, dans le faubourg Saint-germain, une brave tante qu’il avait désolée par ses jeunes débordements.

      – C’est le moment, se dit-il, de lui montrer que je suis arrivé à quelque chose.

      Au grand galop, avec l’épouvantable tumulte de bronze sur les pavés de la rue de l’Université, on arriva