Le pouce crochu. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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fait une tournée dans le Midi, du côté de Perpignan, et notre clown avait filé en Espagne, sans crier gare. Le patron lui cherchait un remplaçant, et il n’en trouvait pas… même que ça l’embêtait rudement, parce que, voyez-vous, mademoiselle, on a beau avoir de bons artistes, on ne fait pas d’argent sans un bon clown.

      Voilà qu’un soir, nous campions dans un champ, au bord d’un petit bois… Il en sort un grand gars, habillé comme un monsieur, redingote noire et pantalon idem, mais tout ça râpé que ça faisait pitié. Qu’est-ce qu’il cherchait dans ce bois? On ne m’ôtera pas de l’idée qu’il attendait un passant pour le dévaliser. N’empêche qu’il se propose. Le patron lui rit au nez. Mais le v’là qui se met en bras de chemise, qui fourre ses deux mains dans la ceinture de son pantalon, et qu’il nous fait son fameux saut, tête en avant, sans préparation… comme ça, sur l’herbe. Nous en étions tous bleus… et je crois que c’est ce premier jour-là qu’il a donné dans l’œil à Amanda. On aurait parié qu’il était né dans la sciure de bois… c’est notre manière de dire: dans un cirque… eh bien! pas du tout, ce n’était qu’un amateur, un fils de bonne famille.

      – Un fils de famille! répéta mademoiselle Monistrol stupéfaite.

      – Oui, dit Courapied, en hochant la tête. C’est drôle, mais c’est comme ça. Il a touché deux mots de son histoire au patron, mais il l’a arrangée comme il a voulu… Il avait fait des bêtises… Ses parents lui avaient coupé les vivres… Il voulait tâter de la vie en plein air… Un tas de blagues, quoi!… Ça n’expliquait pas où il avait appris à sauter sur la tête… et crânement bien… sans compter un tas d’autres tours… Il n’y a pas trois clowns en France qui feraient ce qu’il fait… Il a dû travailler à l’étranger. Enfin, le patron l’a engagé et il ne s’en est pas repenti, car ce gueux de Zig-Zag lui a fait gagner de l’argent gros comme lui.

      – Et depuis qu’il fait partie de votre troupe, vous n’avez jamais su qui il était?… personne ne l’a reconnu?

      – Il n’y avait pas de danger. Il ne travaillait jamais devant le public qu’en habit d’arlequin, avec le masque.

      – Mais enfin, vous avez vu sa figure, vous?

      – Oui, et je ne peux pas dire le contraire, il a une tête qui plaît aux femmes… Elles disent qu’il a l’air distingué… Moi, je trouve qu’il a l’air d’un crevé…, un teint de papier mâché…, des yeux couleur de vert de gris…, et mauvais coucheur, avec ça… Personne ne pouvait le souffrir… personne, excepté cette coquine d’Amanda… et encore elle cachait son jeu… Des fois, elle lui cherchait dispute et je croyais bonnement qu’elle lui en voulait… Ah! ouiche!… c’étaient des scènes de jalousie, quand il faisait de l’œil aux bourgeoises, qui l’applaudissaient après ses exercices.

      – Cependant, il ne leur montrait que le bas de son visage.

      – Ça suffisait. Il a des dents superbes et il est bien taillé, le gredin… grand, mince comme un roseau, souple comme une anguille, et, avec ça, fort comme un Turc… Une fois, il s’est colleté avec notre hercule, et il l’a tombé du premier tour de reins…

      – Ce n’est pas étonnant, avec des mains comme les siennes…

      – De vraies tenailles… quand elles tiennent, elles ne lâchent plus.

      – Pourquoi les cachait-il, sur la scène?

      – C’est le tour qui veut ça. Et puis, monsieur craint de les gâter. Si je vous disais qu’à la ville il porte des gants. Si ça ne fait pas suer!

      Camille était fixée, et elle jugea inutile de demander des détails plus précis sur la forme et la dimension de la main de Zig-Zag.

      – Où croyez-vous qu’il soit allé, en partant d’ici? reprit-elle.

      – Le diable me brûle si je m’en doute.

      – Pensez-vous qu’il se soit engagé dans une autre troupe?

      – Lui? pas si bête! Toutes les troupes font les mêmes foires. Nous le rencontrerions à celle de Neuilly ou à celle de Saint-Cloud, et il n’a pas envie d’être repincé par le patron et par moi. D’ailleurs, Amanda en a assez du métier.

      – Alors, que sont-ils devenus? Auraient-ils passé à l’étranger?

      – Non. Amanda aime trop Paris. J’ai dans l’idée qu’ils vont tâcher tous les deux de se lancer dans la haute. Elle se fera cocotte et lui se faufilera dans des sociétés d’intrigants bien mis… s’il peut… ça dépendra de l’argent qu’il a. Combien vous a-t-il volé?

      – Vingt mille francs.

      – C’est vingt fois plus qu’il ne lui en faut pour changer de peau. Et ce ne sera pas long… trois ou quatre jours, pas davantage.

      – Mais d’ici là?

      – D’ici là, ça ne m’étonnerait pas qu’il se soit réfugié dans un garni… ou dans une cité… par là, du côté de Clichy ou de la route de la Révolte… Amanda connaît les bons endroits… il n’y a pas mieux pour se cacher… jusqu’à ce qu’on ait des frusques neuves… et c’est pas difficile de s’en procurer dans ce quartier-là… chez le petit père Rigolo, qui vous habille un homme des pieds à la tête en moins d’un quart d’heure…

      – Eh bien! nous irons chercher Zig-Zag là où vous croyez qu’il est.

      – Vous, mademoiselle? Ah! non, par exemple!… vous n’en reviendriez pas… c’est tout au plus si j’oserais m’y risquer… et je n’y emmènerais pas Georget… tenez! quand on parle du loup… le v’là, mon Georget.

      Camille tourna la tête et aperçut l’enfant qu’elle avait déjà vu sur l’estrade où la méchante Amanda lui cinglait les jambes à coups de baguette. Il était charmant avec ses joues roses, ses cheveux blonds ébouriffés et son costume de paillasse, trop large et trop long pour sa taille. Il avait ouvert de grands yeux en apercevant la belle dame qui causait avec son père et il n’osait pas avancer.

      Camille lui sourit pour l’encourager et Courapied lui cria:

      – N’aie pas peur, mon garçon, et arrive ici. Qu’est-ce que tu portes là, dans ta musette?

      – Père, c’est pour ton déjeuner, dit timidement Georget. J’ai été à la pêche au pain d’épices et j’ai ramassé tout ce que j’ai trouvé de morceaux derrière les boutiques. Il y en a au moins deux livres.

      – Gamin! murmura le père en essuyant une larme… Ah! tu en as, toi, de l’invention… Il savait que nous crevions de faim et il est parti, sans rien dire, pour chercher une pitance… c’est pas fameux, le pain d’épice, surtout quand il a traîné dans la poussière, mais ça nourrit tout de même… pas vrai, Georget?

      Camille, touchée de cette noire misère, prit le petit par la main et se pencha pour l’embrasser.

      Il se laissa faire, mais il n’osait pas lever les yeux, quoiqu’il ne fût pas timide de son naturel. Il faisait tous les soirs la parade et même le boniment avec un aplomb extraordinaire; seulement il n’était point accoutumé à être caressé par une dame bien habillée.

      – Sais-tu lire? lui demanda mademoiselle Monistrol.

      – Oui, madame… et écrire aussi, répondit l’enfant.

      – Tu as donc été à l’école?

      – Non, madame; c’est maman qui m’a appris.

      – C’est vrai, appuya Courapied. Elle en savait plus long que moi, ma pauvre défunte!…

      – Eh bien, reprit Camille, je remplacerai ta maman. Tu l’aimais bien, n’est-ce pas?

      – Oui, madame, et je crois que je vous aimerai aussi.

      Georget était déjà rassuré et il regardait la jeune fille avec une attention profonde;