Le pouce crochu. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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Qu’on me mette en face de lui, et je déclarerai que je ne le reconnais pas.

      – Oh! on n’accuse personne. Il ne manquerait plus que ça! Mais la troupe est en brindezingue. Nous avons été obligés de fermer, parce que nous ne faisions plus un sou. Le directeur a mis la clé sous la porte, le vieux filou, et voilà deux jours que je n’ai mangé la soupe.

      – Vous la mangerez aujourd’hui, mon ami, dit la jeune fille en tirant une pièce de vingt francs de son porte-monnaie.

      Le pitre la prit sans façon et l’empocha immédiatement.

      – À la bonne heure! s’écria-t-il; vous avez bon cœur, vous. Le petit aura de quoi se mettre sous la dent.

      Et deux grosses larmes roulèrent sur ses joues bouffies.

      – Vous avez un enfant? lui demanda Camille, avec intérêt.

      – Oui… un mioche qui va sur ses treize ans et qui mord joliment au métier… vous avez dû le voir sur l’estrade… en paillasse… ah! si je n’avais que moi à nourrir, je trouverais à travailler et si je ne trouvais pas, j’en serais quitte pour crever,… mais mon Georget!… il n’est pas accoutumé à se brosser le ventre.

      – Et… votre femme?

      – Ma femme! ricana le malheureux pitre. Elle s’est sauvée avec ce gueux de Zig-Zag.

      – Quoi! s’écria Camille, Zig-Zag, le clown que j’ai poursuivi jusqu’à la porte de votre baraque et que le juge n’a pas voulu arrêter!… il est parti?

      – Il a décampé avant-hier et il a emmené Amanda, dit le pitre d’un ton lamentable. Une coquine que j’avais ramassée sur un chemin où elle demandait l’aumône! Elle me doit tout. Je lui ai appris à danser et à jongler sur un fil de fer… j’ai fait la bêtise de l’épouser, et trois ans après, elle me plante là pour suivre un gredin, qui ne vaut pas la corde pour le pendre.

      – Comment a-t-elle pu abandonner son enfant?

      – Georget? il n’est pas à elle, Dieu merci! Je me suis marié deux fois, et si j’avais encore sa mère, je n’en serais pas où j’en suis. Elle s’est cassé les reins en travaillant à la foire de Guibray. En voilà une qui ne boudait pas à la besogne et qui soignait bien le petit! Ah! c’est pas lui qui regrettera Amanda! Elle ne lui faisait que des misères, la gueuse, et j’étais assez lâche pour ne pas oser la rosser! Et quand Zig-Zag tournait autour d’elle, je n’y voyais que du feu! Fallait-il que je sois serin!… Ils ont filé ensemble et elle a emporté le magot… trois cents francs que j’avais amassés sou par sou. C’est bien fait… je n’ai que ce que je mérite.

      Le pauvre diable pleurait à chaudes larmes.

      Cette douleur sincère toucha mademoiselle Monistrol, mais elle ne lui fit pas oublier Zig-Zag. L’occasion était bonne pour se renseigner sur ce misérable qui tuait, qui volait et qui enlevait la femme de son camarade. Camille songeait déjà à se faire du mari trompé un auxiliaire utile et elle reprit vivement.

      – Je vous plains de tout mon cœur et je voudrais vous aider à retrouver les coupables… car je suppose que vous n’allez pas les laisser en paix; et, moi aussi, j’ai un compte à régler avec Zig-Zag.

      – Oui, grommela le pitre, ça se peut bien tout de même qu’il ait tué votre père, car il est capable de tout… et je ne demanderais qu’à le voir monter sur la guillotine… mais les juges sont si bêtes!… ils l’ont lâché une fois, ils le lâcheraient encore, quand même je remettrais la main sur lui… et je n’aurai pas cette chance-là…

      – Vous pouvez toujours le chercher?

      – Et gagner notre pain! Le petit ne vit pas de l’air du temps, ni moi non plus. Notre patron a fermé boutique. Il doit à tout le monde. La maringotte est saisie, et la baraque, les costumes… tout… quoi! Je vas tâcher de nous faire engager quelque part Georget et moi. Mais j’aurai du mal, vu que la foire finit après-demain.

      – Comment vous appelez-vous, mon ami? demanda brusquement Camille.

      – Jean Courapied… quarante-cinq ans… né entre Paris et Amiens…

      – Tenez-vous à continuer le métier que vous faites?

      – Je n’en sais pas d’autre. Mon père était escamoteur et ma mère disait la bonne aventure. Je suis un enfant de la balle.

      – Mais si on vous assurait une bonne existence… à vous et à votre fils… une existence moins pénible… et plus régulière?

      – Ça ne serait pas de refus… surtout si je pouvais faire donner de l’instruction au petit… Malheureusement, je n’ai pas encore rencontré de bourgeois disposé à m’adopter et à me faire des rentes.

      – Le bourgeois, ce sera moi.

      – Vous, ma p’tite dame! ça m’irait comme un gant, mais qu’est-ce qu’il faudrait faire pour ça?… Vous allez me dire que je suis bien curieux. Je ne suis qu’un paillasse et je ne devrais pas faire le difficile. Et pourtant, si on me proposait une canaillerie… je refuserais… quand ce ne serait qu’à cause de Georget.

      – Je l’espère bien. Si je ne vous prenais pas pour un brave homme, je ne m’adresserais pas à vous.

      – Enfin, de quoi est-ce qu’il retourne?

      – Vous ne le devinez pas? Mon père a été assassiné et j’ai juré de le venger. La justice a laissé échapper l’assassin. Je ne veux pas qu’il m’échappe. Je n’ai fait que l’entrevoir, mais vous le connaissez, vous…

      – Zig-Zag? Ah! je vous crois que je le connais. Voilà dix-huit mois qu’il roule avec nous. Mais… savoir si c’est lui qui…

      – J’en suis certaine. Après le crime, j’ai couru après lui et je l’ai vu entrer dans la baraque, par cette petite porte…

      – C’est vrai qu’il avait la clé… mais il a juré qu’il n’était pas sorti pendant la représentation… Moi, je savais bien qu’il mentait… Seulement, je croyais qu’il était allé se rafraîchir chez le marchand de vins… et je n’ai pas voulu lui faire arriver de la peine… Ah! si j’avais pu me douter qu’il allait me voler Amanda!…

      – Eh bien! si vous consentez à me servir, nous le rattraperons, et, quand nous le tiendrons, je me chargerai de prouver qu’il a commis le vol et le meurtre. Acceptez-vous?

      – Je ne dis pas non. Mais je ne réponds pas de le repincer. Il est malin, et s’il a de l’argent, il n’a pas dû moisir à Paris.

      – Écoutez-moi!… je suis riche et rien ne me coûtera pour le retrouver. Vous et votre enfant vous allez commencer par changer de costume. Il faut que vous soyez vêtu convenablement, afin qu’on vous prenne pour un bourgeois qui arrive de la province avec son fils. Vous louerez un logement dans un hôtel modeste et vous y descendrez avec un bagage suffisant. Vous achèterez aujourd’hui des habits et des malles. Je demeure tout près d’ici, dans une maison que je vous montrerai, mais il est inutile que vous habitiez ce quartier où vous pourriez être reconnu.

      Vous viendrez me voir quand vous serez installé et vous commencerez aussitôt vos recherches. Bien entendu, je payerai tous ces premiers frais et je vous remettrai chaque mois trois cents francs pour vos dépenses, jusqu’à ce que nous ayons réussi. Après, je vous procurerai un emploi et je placerai votre fils dans une pension où on fera de lui un homme. Plus tard, je me chargerai de son avenir.

      Courapied pleurait, mais, cette fois, c’était de joie.

      – Ah! madame, commença-t-il d’une voix entrecoupée, je…

      – Appelez-moi mademoiselle, interrompit Camille. Je ne suis pas mariée, et, depuis la mort de mon père, je suis maîtresse de mes actions. C’est vous dire que personne ne me demandera compte de l’emploi que je ferai de mon argent. Maintenant, voici ce que j’attends de vous: d’abord, des renseignements sur ce bandit. Quel est son vrai