La main froide. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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donner ma carte.

      – Pas ici, je vous prie. Voici les sergents de ville qui arrivent. Je ne veux pas être mis au poste et je suppose que vous tenez aussi à éviter ce dénouement ridicule. Veuillez sortir avec moi et vos amis… y compris monsieur…– le souffleté désignait Paul— j’ai un autre compte à régler avec lui. Mais venez avant qu’on nous entoure… nous nous expliquerons dehors.

      – Je ne demande pas mieux.

      Trois des étudiants qui escortaient Mirande s’esquivèrent. Ceux-là, comme Panurge, craignaient les coups naturellement. Les trois autres restèrent. Les femmes s’étaient perdues dans la foule, aussitôt après la gifle. Mirande ouvrit la marche et on lui fit place. Son encolure et ses biceps imposaient le respect aux curieux et les sergents de ville, enchantés de n’avoir pas à intervenir, laissèrent passer le groupe, subitement apaisé.

      Une paix provisoire ou plutôt une trêve, commandée par la crainte de la police, qui n’est pas tendre aux étudiants.

      Le Monsieur, dégrisé, était un homme jeune et élégamment tourné, dont les traits distingués semblaient avoir été altérés par des débauches prolongées. L’ivresse habituelle y avait mis sa marque. Ce n’était pas la physionomie d’un raffiné de vices comme le vicomte de Servon. Il y avait de cela avec un peu d’abrutissement en plus. Paul se représentait ainsi le pâle Rolla d’Alfred de Musset, ce Rolla qui n’était autre que le poète lui-même.

      D’où venait cet homme, évidemment tombé de haut dans de crapuleuses habitudes? Qu’était-il venu faire à ce bal avec des filles de bas étage? Et quel vertige l’avait poussé à planter là des créatures pour apostropher Paul, à propos d’un nom prononcé, un nom qui ne devait jouir d’aucune notoriété à la Closerie des Lilas?

      Avait-il été pris subitement d’un accès de folie? Mirande en était convaincu et il le lui avait dit.

      Paul aurait voulu le croire, mais tout en se demandant avec inquiétude comment cette nouvelle aventure allait finir, il ne pouvait pas s’empêcher de douter que cet homme fût fou, et il se disait:

      – Si pourtant c’était le vrai marquis de Ganges!

      Cette idée ne fit que traverser le cerveau de Paul Cormier et tout semblait indiquer qu’elle ne valait pas la peine qu’il s’y arrêtât.

      Quelle apparence en effet que le marquis de Ganges, au retour d’un long voyage, s’en allât faire la noce— c’était le vrai mot— au bal Bullier, avec des créatures, au lieu de débarquer dans son hôtel de la rue Montaigne où sa charmante femme l’attendait?

      Si bas tombé que soit un gentilhomme, il ne s’affiche pas ainsi et d’ailleurs Cormier n’avait aucune raison de croire que le mari de Jacqueline fût un marquis déchu. Au contraire, on parlait de ses succès financiers, des grandes entreprises qui venaient d’augmenter sa fortune déjà considérable.

      Donc, ce pochard subitement dégrisé n’était pas, ne pouvait pas être le marquis de Ganges.

      Alors, pourquoi s’était-il fâché quand il avait entendu donner ce nom et ce titre à un monsieur qui passait?

      C’était à n’y rien comprendre et Paul Cormier y renonça. Mirande, lui, ne se creusait pas la tête à deviner cette énigme. Il avait souffleté un insolent qui menaçait son ami. Il lui devait une réparation et il ne demandait pas mieux que de la lui accorder. Un soufflet vaut un coup d’épée, c’était une de ses maximes favorites. Et il ne sortait pas de là.

      Il y avait longtemps qu’il n’était allé sur le terrain et il n’était pas homme à manquer une si belle occasion de se refaire la main.

      Les trois étudiants qui l’avaient suivi étaient trois bons jeunes gens qui ne s’étaient de leur vie battus qu’à coups de poing et qui n’avaient jamais mis les pieds dans une salle d’armes. Ils suivaient Mirande, parce que Mirande était le chef incontesté des tapageurs du quartier et ils étaient bien persuadés que l’affaire se terminerait autour d’un bol de punch.

      Le groupe sortit sans autre incident de cette Closerie où on échange plus de horions qu’on n’y cueille de lilas.

      L’orchestre venait de donner le signal d’un nouveau quadrille; danseurs et danseuses y couraient, sans plus s’occuper des suites d’une dispute, comme on en voit à Bullier, à peu près tous les soirs.

      Le problématique marquis marchait en tête, comme de juste, puisque c’était lui qui avait proposé de sortir pour régler cette affaire d’honneur, où l’honneur n’était pas en cause, car il s’agissait d’une querelle entre deux ivrognes, dont l’un avait eu la main trop leste.

      Ce giflé susceptible emmena les autres, sous les arbres, beaucoup plus loin que la statue du maréchal Ney, au milieu d’un carrefour désert, où ces messieurs pouvaient conférer tout à leur aise, sans craindre d’être dérangés.

      Paul Cormier qui ne souhaitait la mort de personne, prit le premier la parole et ce fut pour prêcher la conciliation.

      – Messieurs, dit-il, il n’y a dans tout cela qu’un malentendu… dont j’ai été la cause, bien involontairement… et tout peut s’arranger.

      – Plus maintenant, interrompit le soi-disant marquis.

      – Pourquoi donc pas?… J’exprime tout haut et devant témoins le regret d’avoir été l’occasion d’une querelle sans motif sérieux. Entre honnêtes gens, on ne se coupe pas la gorge pour un mot dit en l’air.

      – Et le soufflet?… Il n’était pas en l’air, le soufflet. Il est encore marqué sur ma joue.

      – Un mouvement de vivacité… que mon ami regrette, j’en suis sûr.

      Mirande s’abstint de confirmer cette appréciation de Paul et son air disait assez qu’il ne se repentait pas du tout de ce qu’il avait fait.

      – Bien obligé! répondit l’offensé. Demandez-lui donc s’il veut tendre la joue pour que je lui rende ce qu’il m’a donné.

      – Je ne vous conseille pas d’essayer, ricana Mirande.

      – Soyez tranquille!… je veux autre chose… je veux vous tuer…

      – Comme ça!… tout de suite!… vous attendrez bien jusqu’à demain… et d’abord, je ne me bats pas en duel avec le premier venu. Commencez par me dire qui vous êtes.

      – Je vous l’ai déjà dit. Je suis le marquis de Ganges… et il est probable que je vous ferai beaucoup d’honneur, en croisant le fer avec vous, car je ne vous connais pas et…

      – C’est mon nom qu’il vous faut?… Je m’appelle Jean de Mirande et je descends des comtes de Toulouse. Ça vous suffit-il?

      – Je m’en contenterai. Je serais mal fondé à vous demander de me montrer vos titres, car je suppose que vous ne les avez pas dans votre poche.

      – Je les montrerai demain aux témoins que vous m’enverrez.

      – Demain! s’écria le souffleté. Vous voulez rire, je pense!… Alors, vous croyez que je garderai ma gifle jusqu’à demain? Rayez cela de votre programme, monsieur le descendant des comtes de Toulouse. C’est la première que je reçois de ma vie. Je ne veux pas aller me coucher avec. Il n’y a que les lâches qui renvoient un duel au lendemain, quand l’offense ne peut se laver qu’avec du sang.

      – Parbleu! je ne demande qu’à m’aligner, mais je ne peux pourtant pas m’aligner, séance tenante, sous un bec de gaz. D’abord, pour se battre, il faut des témoins et des épées.

      – Des témoins? deux de ces messieurs m’en serviront.

      – Bon!… et des armes?

      – Vous devez avoir dans ce quartier un ami qui possède une paire de fleurets. Nous en serons quittes pour les démoucheter.

      – J’ai chez moi des épées de combat, s’empressa de dire un des étudiants, un imberbe