La main froide. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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il est du Languedoc. Demande-lui donc, quand tu le verras, s’il connaît la famille de Marsillargues.

      – Je n’y manquerai pas. Puis-je savoir en quoi cette famille de

      Marsillargues vous intéresse?

      – La protectrice dont je viens de te parler était une demoiselle de Marsillargues.

      – Quel nom baroque!

      – Plus il est baroque, mieux tu le retiendras.

      – Mais elle ne le porte plus, puisqu’elle est mariée.

      – A un mauvais sujet qui la rend, dit-on, très malheureuse. Lestrigou, dans ses lettres, a oublié de m’apprendre comment s’appelle son mari. Lestrigou me parle toujours d’elle sous son nom de demoiselle. C’est celui-là que ton ami doit connaître, puisqu’il est Languedocien. Du reste, dans sa prochaine, mon correspondant m’apprendra l’autre nom et je te le dirai.

      – Bon! vous pouvez compter que votre commission sera faite ce soir.

      – Ce soir?… c’est donc que tu comptes finir ta soirée à Bullier; car un dimanche, ton Mirande ne peut pas passer la sienne ailleurs.

      – Mais je vous assure que…

      – Oh! ne t’en défends pas!… j’y ai dansé jadis à Bullier.

      – Ça devait être drôle, pensa Paul Cormier qui ne voyait pas bien le vieil avocat exécutant une tulipe orageuse.

      Madame Cormier ne soufflait plus mot. Elle rêvait à ce mariage fantastique, mis sur le tapis par un homme en qui elle avait pleine confiance et elle se promettait de ne pas laisser tomber dans l’eau ce projet séduisant. Mais, pour y revenir, elle attendait d’être seule avec Bardin. Elle voulait en parler à cœur ouvert et la présence de son fils l’aurait gênée.

      Bardin, qui devina son intention, lui vint en aide.

      Le dîner avait marché plus vite que de coutume. On en était au café qu’on prenait à table, et Paul venait de vider son quatrième verre d’un remarquable cognac, de la même provenance que le vin de Xérès, servi après le potage.

      – Tu grilles d’envie de fumer, hein? lui demanda l’avocat.

      – Oh! je sais que ça gêne maman, dit Paul. Je fumerai dans la rue, en rentrant chez moi.

      – Et le plus tôt sera le mieux, n’est-ce pas?… Eh! bien, je lis sur la figure de ton indulgente mère qu’elle te permet de lever la séance. Quand tu seras parti, nous ferons tranquillement notre cent de piquet jusqu’à dix heures et je serai encore couché avant toi, car je demeure à deux pas d’ici.

      Le bonhomme habitait la rue des Arquebusiers, une rue dont peu de Parisiens connaissent le nom et qui va, en faisant un coude, du boulevard Beaumarchais à la rue Saint-Claude.

      – Et d’ici à Bullier, il y a une trotte!… il est vrai que tu vas en carrosse, toi… Dame! quand on a des amis dans la noblesse!…

      Paul s’était levé pour embrasser sa mère et il ne fit pas semblant d’entendre, mais l’impitoyable Bardin, reprit:

      – Parions que tu portes toute ta fortune dans ta poche.

      – Pourquoi ça? balbutia Paul, un peu décontenancé, car c’était vrai; qui vous fait croire?

      – Le geste!… le geste révélateur!

      – Quel geste?

      – Pendant tout le dîner, tu n’as fait que tâter avec ta main la poche de poitrine de ta redingote. Je ne m’y trompe jamais à ce geste-là. Ton portefeuille doit être bien garni.

      – Maman m’a remis, hier, mon mois. N’est-ce pas, mère?

      La veuve fit signe que: oui, et pendant que M. Bardin riait d’aise d’avoir été si perspicace, le jeune homme s’empressa de lui serrer la main et de partir.

      Il en avait assez des malices de ce jurisconsulte en retraite et de ses histoires matrimoniales.

      – Décidément, c’est un vieux fou, grommelait Paul en descendant quatre à quatre les marches du large escalier de la maison maternelle. S’il croit que je vais prendre des renseignements sur son orpheline égarée, il se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude.

      L’étudiant reparaissait dans ce langage qu’il n’aurait pas osé tenir chez sa mère, et encore moins chez la baronne Dozulé, où il avait joué le rôle d’un seigneur qu’on attendait.

      Et le fait était que Paul se sentait revivre à l’idée de se retrouver sur le sable des allées de la Closerie des Lilas, où il pourrait, à son choix, rêver à Jacqueline, ou bien se distraire en joyeuse compagnie, et où personne ne le prendrait plus pour le marquis de Ganges.

      Au bout de la rue des Tournelles, il sauta dans un fiacre découvert, après avoir allumé un cigare, et il se fit conduire au célèbre jardin où tant de générations des Écoles de droit et de médecine ont fait leurs premiers pas.

      Il y arriva, juste à l’heure où la fête bat son plein et, comme c’était dimanche, la foule était énorme: une vraie cohue où dominaient les étudiants, mais où il y avait aussi des amateurs venus de la rive droite, en transfrétant la Séquane, a écrit le maître Rabelais.

      Ceux-là, blasés sur les quadrilles payés que la Goulue et Grille d’égout dansent tous les soirs au Jardin de Paris, venaient se retremper aux sources du cancan, alléchés par l’espoir de voir exécuter, bon jeu bon argent, des pas fantastiques, inventés par la belle jeunesse française.

      Il a été de mode, un temps fut, dans les grands clubs, de s’offrir ce divertissement, comme on allait jadis voir la descente de la Courtille.

      C’est un genre de sport que messieurs les Copurchies se permettent encore quelquefois.

      Mais Paul Cormier ne s’attendait guère à rencontrer à Bullier la fine fleur de l’élégance parisienne.

      Il venait y chercher Jean de Mirande et sa suite, car il supposait qu’après un plantureux dîner chez Foyot, la bande avait dû éprouver le besoin d’aller gigotter à la Closerie.

      Le difficile c’était de les rencontrer, au milieu de ce flot de promeneurs, de danseurs et de consommateurs, car à Bullier tous les plaisirs sont réunis. On circule dans un jardin éclairé au gaz, on danse dans une salle immense, aux sons d’une musique endiablée, on boit sur les longues estrades qui l’entourent en la dominant et aussi dans les bosquets.

      Ce soir-là, il y avait du monde partout, et justement une valse échevelée tournoyait d’un bout à l’autre de la salle couverte, refoulant les curieux et bousculant les gêneurs.

      Paul, qui ne tenait pas à faire là des études de chorégraphie moderne, se rabattit sur le jardin où il comptait attendre que les évolutions circulaires des valseurs eussent pris fin.

      Alors seulement, il pourrait se mettre en quête de Jean, avec quelque chance de le trouver.

      Le jardin était fort encombré aussi. On s’y disputait les tables encastrées dans des massifs de verdure et les garçons de café, portant à bout de bras des plateaux chargés de bocks, fendaient impitoyablement les groupes qui se permettaient d’empêcher la circulation en stationnant dans les allées.

      Paul, la veille encore, aurait trouvé charmante cette fête dominicale. Maintenant, il la voyait avec d’autres yeux. La joie de ces jeunes gens lui semblait grossière; les femmes lui semblaient laides et mal habillées.

      Et ce n’était pas l’argent gagné au jeu qui changeait ainsi son optique; c’était l’image de Jacqueline qu’il avait sans cesse devant ses yeux et qui, par l’effet de la comparaison, lui faisait prendre en dégoût les pitoyables drôlesses du quartier.

      Il n’était pas l’amant de cette merveilleuse marquise; et tout au plus espérait-il le devenir; mais il était déjà son complice, puisqu’il partageait avec elle un secret qu’elle était