Le crime de l'omnibus. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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Depuis quand?

      – Binos, décidément, tu m’agaces.

      Pia s’était levée tout à coup, et elle avait couru pour voir l’épingle de plus près.

      – Qu’est-ce que tu dis de ça, enfant de la montagne? lui demanda le rapin. Tu n’en as jamais porté de pareille à Subiaco… et tu as même le bon goût de n’en pas porter à Paris. La bourgeoise qui a planté ce colifichet dans son chignon est indigne d’aimer un artiste… et Paul devrait rougir de conserver précieusement cette piteuse relique… ridicule produit de l’industrie parisienne, acheté au bazar à quinze sous… Aide-moi, petite, à faire honte à notre ami de sa grotesque adoration pour la propriétaire de ce bibelot déplorable.

      «Tiens! tu pleures! pourquoi diable pleures-tu? Est-ce que par hasard ce serait pour l’avoir? Aurais-tu la fantaisie déplacée de déshonorer tes beaux cheveux en les ornant de cette lardoire en similor?

      – Je ne pleure pas, murmura la jeune fille qui s’efforçait de refouler ses larmes.

      – Binos, tu es insupportable, s’écria Freneuse. Je te défends de tourmenter cette petite. C’est toi qui l’as énervée avec tes extravagances. Laisse-la partir en paix.

      «Remets ta mante, Pia, et file vers la rue des Fossés-Saint-Bernard. La nuit arrive, et les rues ne sont pas saines pour toi après le soleil couché. Tâche d’arriver demain à midi précis. Je barricaderai ma porte pour qu’un ennuyeux de ma connaissance… et de la tienne… ne nous dérange pas, et nous ferons une longue séance.

      Pia était déjà prête, et, comme Freneuse lui tendait la main, elle se pencha pour la baiser, à la mode italienne; il la releva vivement et il l’embrassa sur le front. L’enfant pâlit, mais elle ne dit pas un mot et elle sortit sans regarder Binos, qui riait dans sa barbe.

      – Mon cher, commença-t-il, dès qu’elle eut disparu, j’ai fait en un jour plus de découvertes que n’en firent en un siècle les plus illustres navigateurs… et la dernière est la plus curieuse de toutes. Je viens de découvrir que cette chevrière transplantée est follement éprise de toi. Elle a pleuré parce qu’elle croit que l’épingle a été oubliée dans ta poche par ta maîtresse. Elle est jalouse. Donc, elle t’adore. Réfute ce raisonnement, si tu l’oses… et si tu peux.

      – Je ne réfuterai rien du tout, mais je te déclare que, si tu continues, nous nous brouillerons.

      – Enfin, d’où te vient-elle, cette brochette qu’on pourrait servir avec des rognons dans un restaurant à quarante sous? Est-ce un souvenir de la femme aimée? Je croyais que tu méditais d’en prendre une pour le bon motif. On prétend qu’on t’a vu récemment dans des salons sérieux, où l’on exhibe des jeunes personnes bien élevées qui épouseraient volontiers un artiste, pourvu qu’il gagnât quarante mille francs par an, et tu dois approcher de ce chiffre imposant. Ça ne peut pas durer comme ça. Si tu as envie de lâcher les camarades, dis-le.

      – Binos, mon ami, tu déraisonnes, et je ne devrais pas te répondre, mais il faut avoir pitié des fous. Je veux bien t’apprendre que j’ai trouvé cette épingle, hier soir, dans l’omnibus, et que je l’ai gardée comme souvenir… elle a dû servir à attacher le chapeau de la pauvre fille qui a rendu l’âme pendant le voyage.

      – Çà! allons donc! c’est un bijou à l’usage des cuisinières endimanchées, et je te réponds bien que la merveilleuse créature qui repose en ce moment sur une des dalles de la Morgue n’a jamais fait danser l’anse du panier.

      «Je croirais plutôt qu’il a été perdu dans la voiture par une de ses voisines.

      – Alors je t’en fais cadeau, dit Freneuse.

      – J’accepte, s’écria Binos. C’est une pièce à conviction. Il suffit de la moindre chose, de n’importe quoi, pour convaincre un assassin… un rien… un papier… un bouton de manchette oublié sur le théâtre du crime… dans les mélodrames, on appelle ça, le doigt de Dieu.

      – Bon! voilà ta toquade qui te reprend!

      – Toquade tant que tu voudras. Il me pousse une idée, et je vais faire sous tes yeux une expérience. Où est Mirza? Viens ici, Mirza! Mi! mi! mi! roucoula Binos d’une voix caressante.

      – Qu’est-ce que tu veux encore à mon chat? Ne le tracasse pas, je te prie. Mirza, affriolé par le geste du rapin, venait à lui lentement, posément, comme il convient à un chat qui se respecte.

      – N’y va pas, Mirza, dit Freneuse. Tu vois bien que ce monsieur se moque de toi. Il n’a rien à te donner.

      – Je ne lui ai pas apporté de mou, c’est clair, grommela Binos. Je ne me permets pas d’entretenir les chats de mes amis, mais je puis bien les caresser. Mirza est un animal désintéressé… Mirza m’aime pour moi-même. Laisse-le me témoigner son affection en se frottant contre moi.

      Tout en parlant à tort et à travers pour distraire l’attention de son ami, l’endiablé rapin s’était assis sur un escabeau et tendait une main perfide à l’angora trop confiant, qui s’avançait à pas comptés.

      Freneuse, quoiqu’il observât les mouvements de Binos, ne vit pas qu’il tenait entre ses doigts l’épingle dorée; il la cachait si bien que la pointe seule dépassait son pouce et son index, une pointe acérée comme une aiguille à coudre.

      Mirza la voyait, lui, mais il était curieux et gourmand, – ce sont les moindres défauts des chats de bonne maison, – et il s’approcha pour flairer ce que lui offrait un familier de son maître.

      Son museau se trouva en contact avec l’instrument pointu, et Binos abusa de la situation pour piquer légèrement le nez rose de la pauvre bête, qui fit un mouvement en arrière, un seul.

      Sa tête se renversa sur son cou, ses poils longs et soyeux se hérissèrent, son dos se voûta, ses pattes écartées se raidirent, ses deux mâchoires s’écartèrent l’une de l’autre, ses yeux se ternirent; mais elle ne jeta pas ce miaulement prolongé qui est la plainte des chats, elle ne bondit pas; elle resta immobile et muette. Puis un tremblement convulsif secoua tout son corps, et, au bout de vingt ou trente secondes, elle tomba comme une masse.

      – Qu’as-tu fait à Mirza? cria Freneuse, en se précipitant pour relever l’animal familier qu’il affectionnait.

      Et dès qu’il l’eut touché:

      – Il est mort, dit-il, tout ému.

      – Oui, comme la jeune fille de l’omnibus, répliqua tranquillement Binos.

      – Tu l’as tué, reprit l’artiste avec colère. Ceci passe la plaisanterie. Sors d’ici et n’y remets jamais les pieds.

      – Tu me chasses?

      – Oui, et tu ne l’as pas volé, car tu t’en prends à tout ce que j’aime. Il n’y a pas une demi-heure que tu es entré ici, et tu n’y as fait que des méchancetés. Pia est partie tout en larmes, et c’est toi qui en es cause. Il ne te manquait plus que d’assassiner une malheureuse bête qui était la joie de mon atelier. En vérité, si je ne savais pas que tu es aux trois quarts fou, je ne me contenterais pas de te fermer ma porte… Je te demanderais raison de ta conduite odieuse.

      – Ce serait drôle, ricana Binos, excessivement drôle! Me traîner sur le terrain et me gratifier d’un coup d’épée, parce que je t’ai sauvé la vie… c’est un comble.

      – Tu m’as sauvé la vie, toi!

      – Ni plus, ni moins, mon cher.

      – Je serais curieux de savoir comment. Vas-tu me soutenir que mon chat était enragé?

      – Non; Mirza était un honnête angora… et s’il a eu des torts… comme par exemple celui de déchirer mon pantalon pour aiguiser ses griffes… sa mort les rachète, car il a péri pour son maître… et pour qu’un grand crime ne reste pas impuni.

      – Encore tes extravagances!

      – Veux-tu m’écouter