L'armée française ne s'est jamais remise des combats de Verdun. Elle ne fut certainement pas en mesure de nous offrir plus qu’un soutien symbolique lorsque leur propre grande poussée a commencé en été.
Notre commandant, le maréchal britannique Haig, commandait les troupes britanniques dans cette section du front, et il devait décider du plan final de la bataille de la Somme. Le maréchal Haig avait la responsabilité du commandement général des armées, soit 58 divisions. La plupart de ces hommes étaient des recrues de l'armée de Kitchener qui s’étaient engagés en 1914. Nous étions entraînés et prêts à nous battre et nous avions envie de montrer ce dont nous étions capables.
Dès le début, il y avait quelque chose de peu imaginatif dans la tactique du maréchal Haig. Le maréchal Haig était convaincu que Dieu l'avait aidé dans ses plans de bataille. La date de notre première attaque fut le 1er juillet à 7h30 du matin, après une période de cinq jours de bombardements par plus de mille pièces d'artillerie. C'était bien trop évident pour l'ennemi. Le bombardement de cinq jours indiquait une attaque dans ce secteur aussi clairement que si vous l'aviez écrit à la plume. Ceux qui, comme moi, se sont précipités pour s'engager dans un premier élan d'enthousiasme pour la guerre, étaient sur le point de découvrir la véritable nature de la guerre du 20ème siècle.
Le soir avant l'attaque, nous avons été emmenés dans les tranchées de la ligne de front. On nous fit passer devant des fosses communes ouvertes, fraîchement creusées en prévision des lourdes pertes à venir.
J'étais plus proche de l'ennemi que je ne l'avais jamais été, et j'ai essayé de m’installer dans ma position inconfortable et de me préparer pour le lendemain matin. Il était impossible de dormir pendant le bombardement d'artillerie.
La veille de l'offensive, les commandants nous ont informés de la tâche à accomplir. On nous a dit que les tranchées que nous allions attaquer seraient sans défense (les ordonnances s'en seraient assurés) et qu’ils auraient aussi coupé les barbelés devant les tranchées allemandes. Les généraux étaient tellement convaincus que nous n'aurions aucun problème à prendre la ligne de front allemande, que les troupes furent envoyées au combat avec plus de 30 kilos d'équipement supplémentaire. C'était comme porter deux lourdes valises au combat. Ils s'attendaient à ce que nous occupions les lignes de front allemandes et que nous repoussions les contre-attaques.
La Somme n'était pas un bon endroit pour lancer une attaque. La principale raison de son emplacement (le point de jonction des lignes de front britannique et française) avait été réduite à une considération mineure après Verdun. Seulement cinq divisions françaises allaient prendre part à cette bataille, alors que nous avions quatorze divisions britanniques. Tout au long du front, les Allemands occupaient les terrains les plus élevés. Nous avons dû avancer en montant.
Le sol crayeux avait permis aux Allemands de creuser beaucoup plus facilement. Ils se trouvaient à 12 mètres sous terre et avaient construit des positions lourdement fortifiées qui avaient pratiquement été à l'abri des cinq jours de bombardement. Les cinq jours de bombardements n'avaient pas non plus été aussi impressionnants qu'il n'y parut. Les 1,5 million d'obus tirés avaient été produits à la hâte et le contrôle de qualité avait été inexistant. La plupart des obus étaient des ratés et n'avaient pas explosé.
Ceux qui avaient explosé avaient remué le sol devant les tranchées allemandes et avaient rendu plus difficile le passage de notre attaque. Lorsque le bombardement d'artillerie prend fin à 7h30 du matin, plusieurs énormes explosions secouent les tranchées allemandes. Ces explosifs avaient été placés par des mines déposées à intervalles sous les positions allemandes le long des 30 kilomètres du front désigné pour l'attaque.
Après cette formidable explosion projetant de la terre à des dizaines de mètres de hauteur, un étrange silence s'est installé sur le champ de bataille. Faisant suite au rugissement constant des cinq derniers jours, cela semblait anormal. J'imagine que les soldats allemands ont su immédiatement que quelque chose allait se passer. Ils sortirent rapidement de leurs bunkers et installèrent leurs mitrailleuses.
Tout le long du front de bataille, des sifflets ont retenti. C'était le signal de l’attaque. Nous grimpâmes sur des échelles en bois placées le long du bord extérieur des tranchées de la ligne de front. Nous nous sommes disposés en lignes nettes tel que nous l’avions appris lors de notre entraînement et nous avons marché dans le no man’ s land par vagues successives.
Certains d'entre nous avaient des disques en fer-blanc dans le dos, ils étaient censés réfléchir la lumière. L'idée était de montrer à l'artillerie où nous étions pour que nous ne soyons pas touchés par nos propres obus. C'était un matin d'été lumineux, déjà si chaud que les hommes sentaient la chaleur du soleil sur leur nuque. C'est le plan d'action du maréchal Haig qui prévoyait que les soldats devaient avancer en ligne droite selon un ordre précis. Ils avaient décidé de ne pas envoyer de détachement éclaireur pour vérifier que les barbelés avaient été détruit. L'idée était que nous étions si inexpérimentés que nous aurions été incapables de suivre autre chose que le plan le plus simple. Il ne devait pas y avoir de flexibilité ni d'initiative, juste un élan. Nous étions une vaste marée d'hommes destinés à balayer les Allemands de leurs positions.
J'étais dans la première vague de l'avancée.
Alors que nous approchions des lignes allemandes je vis avec horreur que les barbelés n'avaient pas du tout été détruits. Nos obus d'artillerie les avaient simplement fait sauter en l'air, puis ils étaient retombés à l’endroit d’où ils se trouvaient précédemment. Il y avait des ouvertures dans le barbelé mais nous allions rapidement comprendre qu'ils avaient été délibérément coupés par les Allemands pour nous faire tomber dans des zones de combat où ils concentreraient leurs tirs de mitrailleuses.
Selon le commandement militaire britannique, tout Allemand qui survivait au bombardement était censé être désorienté et submergé par l'ampleur de la force qui s'opposait à lui. Mais au lieu de cela, ils ont juste commencé à nous massacrer. Nous faisions face aux mitrailleuses (des armes efficaces qui tiraient 600 balles par minute) qui nous fauchaient comme si nous étions des épis de maïs dans un champ. Un capitaine du huitième bataillon donna le signal de l'attaque en montant sur le rebord de sa tranchée. Il botta un ballon de football en direction des lignes ennemies. Je suis sûr qu'il essayait d'apaiser les craintes de ses hommes par une démonstration de bravade, mais il fut tué instantanément d'une balle dans la tête, sapant l'effet qu'il essayait de créer.
Je continuais à avancer dans un délire brumeux. Tout autour de moi, je voyais des hommes tomber au sol, certains mollement, d'autres en roulant et hurlant. Je continuais et je restais indemne alors que mes amis et camarades étaient abattus. Trois autres vagues arrivèrent derrière moi et subirent le même sort. Je regardai le long de la ligne et réalisai que nous n'étions plus que quelques-uns.
Conformément au plan, notre attaque se poursuivit toute la matinée, avec quatre vagues d'hommes affrontant le même sort sinistre. Notre armée britannique était probablement la force de combat la plus rigide et la plus inflexible de la guerre. Dans le feu de l'action, les officiers subalternes devaient suivre leurs ordres à la lettre. À n'importe quel prix. Même s'ils se trouvaient dans des circonstances impossibles.
Les communications entre les officiers du front et les généraux de l'arrière étaient mauvaises. Ils dépendaient des lignes téléphoniques, qui étaient brisées par les tirs d'obus, et des messagers devant transmettre les messages du front à l'arrière, qui étaient souvent tués. Les officiers avaient reçu des instructions d’ordonner aux soldats d'avancer à tout prix et ils suivent les ordres, malgré l'évidente absurdité. Le maréchal Haig aurait aussi bien pu nous ordonner de sauter d’une