La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières. David D. Reitsam. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: David D. Reitsam
Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302872
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revirement culturel, qui souligne la fonction de porte-parole de la revue, est motivé par le souci de plaire au Régent et donc par la volonté de ne pas perdre la direction du périodique. Ou, pour à nouveau citer Fumaroli, cette imbrication d’intérêts montre bien dans quelle mesure les Modernes – du moins quelques-uns – sont des « laudateurs dépourvus de talents20 » dont le seul souci est de plaire aux autorités.

      Ce soutien se manifeste également dans une autre question : les bals masqués. Certes, il s’agit d’une question moins politique, si on fait abstraction de l’éventuelle problématique de la morale publique. Néanmoins, nous pouvons à nouveau observer que le Nouveau Mercure galant transmet une image positive d’une nouveauté introduite par le Régent. Ainsi, par la suite, nous nous concentrerons sur la dimension politique de l’inauguration du bal de l’Opéra telle qu’elle se présente dans la revue et non pas sur la production littéraire qui en découle dans les pages du périodique. Bien que l’on puisse établir un lien entre ces textes, les bals et la vie publique en se référant à Alain Viala, il en sera question ultérieurement.

      À en croire Richard Semmens, des bals comparables à celui de l’Opéra ont déjà existé à Venise et en Angleterre et la France a elle-même sa propre tradition des bals. Or, à l’inverse de ceux-ci21, les bals de l’Opéra ne sont ni réservés à un public précis ni sujets à un programme établi d’avance. Ce sont également les informations qu’Hardouin Le Fèvre de Fontenay divulgue auprès de son lectorat : dans la livraison de janvier 1716, il écrit, par exemple, à propos des bals de l’Opéra : « Chaque Masque y est receu moyennant le prix & somme d’un écu. C’est à ce tître qu’il acquiert le plaisir […] de danser, ou de de s’entretenir à la faveur de son masque22. » Il n’y a donc aucune restriction et tout le monde peut assister à ces bals. Ce fait est illustré plus tard dans le même numéro du périodique par l’exemple d’« une des plus grasses Tripieres de Paris23 » qui se fait passer pour une belle dame de la haute société. En outre, Le Fèvre de Fontenay observe qu’il n’y a guère de règles ou de danses imposées par les organisateurs des bals, mais, initialement, il ne semble du moins pas convaincu du bien-fondé de ce concept : « [I]l est tout à fait impertinent de voir dans une assemblée aussi brillante par le nombre & les graces des Dames qui s’y trouvent tous les jours, un tas de jeunes étourdis qui dansent entr’eux, toute les danses qu’il leur plaît24. »

      Cependant, malgré ce petit défaut, Hardouin Le Fèvre de Fontenay donne une description relativement positive des bals de l’Opéra :

      Le spectacle de Paris, le plus suivi à présent & le plus agréable en même temps, est celui dont les Directeurs de l’Opera regalent le public tous les Lundy, les Mercredy & les Samedy de chaque semaine. C’est un Bal établi avec tant d’ordre, de lumières, & de propreté, qu’il est devenu le divertissement de Paris le plus à la mode25.

      Un peu plus loin, il déclare que « cet établissement a été inventé fort à propos, dans une Ville comme Paris, où il faut absolument des plaisirs26 ». Le responsable fait donc de la publicité pour ces événements tout en informant ses lecteurs provinciaux de la dernière mode parisienne. Si la couverture de ce nouvel événement socio-culturel le prend apparemment de court en janvier 1716 – il n’y accorde que 12 pages27 –, Le Fèvre de Fontenay se rattrape un mois plus tard et consacre presque 100 pages aux bals de l’Opéra. Ainsi, il en souligne la grande importance sans pour autant entrer dans une réflexion sur les raisons d’être de ce nouveau divertissement28.

      En somme, l’exemple du bal de l’Opéra montre à nouveau l’aptitude d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay à soutenir la politique royale. Tout comme dans le cas de la Comédie-Italienne, il promeut une innovation majeure de la Régence et suit – presque aveuglément – la direction choisie par les autorités.

      Afin de conclure ce sous-chapitre, force est de constater que le Nouveau Mercure galant a sans aucun doute contribué à une certaine démarcation du siècle de Louis XIVLouis XIV en particulier, mais également du pouvoir politique en général sans pour autant prendre la position d’une opposition fondamentale. D’une part, la revue semble mettre le Régent en garde contre les dérives d’une politique trop ambitieuse – principalement s’il s’agit d’un lecteur averti qui sait lire entre les lignes. Et de l’autre, il est intéressant d’observer que les plumes du Nouveau Mercure galant défendent d’abord violemment la suprématie de la langue et de la culture françaises pour chanter ensuite les louanges du théâtre italien. Ainsi, Hardouin Le Fèvre de Fontenay illustre parfaitement la fonction politique d’une revue semi-officielle, c’est-à-dire dotée d’un privilège royal, qui soutient sans se poser trop de questions la politique et les orientations du pouvoir en place.

      3. Rôle des femmes

      3.1 La femme dans le champ littéraire naissant

      La Querelle des Anciens et des Modernes fut également une Querelle des Femmes : la « Satire X » de Nicolas Boileau, NicolasBoileau, dans laquelle il se moque des vices des femmes, et la réaction de Charles Perrault, CharlesPerrault, qui entame une défense du beau sexe dans son Apologie des femmes, en témoignent1. Ainsi, il peut être observé que deux débats, qui ont tous les deux leurs propres histoires et traditions, convergent et forment une symbiose fructueuse, puisque génératrice de réflexions riches et controverses. Cette « sous-querelle2 » – pour reprendre les termes de Rotraud von Kulessa – qui oppose Boileau, NicolasBoileau et Perrault, CharlesPerrault illustre donc bien la grande productivité des différentes querelles à l’époque moderne en général et au siècle de Louis XIVLouis XIV en particulier. Étant donné que la Querelle d’Homère constitue non seulement un moment-clef de la Querelle des Anciens et des Modernes, mais qu’une femme savante, Anne Dacier, en est également une protagoniste, la question de savoir si la Querelle des Femmes a aussi des répercussions dans le Nouveau Mercure galant s’impose.

      À en croire Gisela Bock et Margarete Zimmermann, plusieurs questions devront être étudiées. Par exemple, il sera intéressant d’analyser qui prend la parole pour énoncer quoi : des hommes parlent-il des femmes ou des contributrices prennent-elles la plume pour définir les qualités qui distinguent les femmes3 ? Deuxièmement, il faut bien expliquer le comportement féminin idéal mis en avant dans ces contributions4. En outre, dans ce contexte, il faut également vérifier une autre hypothèse de Bock et Zimmermann qui prétendent que les Modernes prennent en général position en faveur des femmes et que les Anciens les critiquent5. La controverse de Boileau, NicolasBoileau et de Perrault, CharlesPerrault évoquée en début de chapitre semble soutenir cette idée, mais cet exemple pourra-t-il être généralisé ?

      Avant de reconstruire l’image que les contributeurs au Nouveau Mercure galant dressent d’Anne Dacier, il sera nécessaire d’étudier jusqu’à quel degré les commentaires sur la Querelle d’Homère constituent un prétexte afin de se prononcer sur ce qui caractérise le comportement digne et exemplaire d’une galante femme.

      Les femmes et les érudites

      Une première question soulevée est celle de savoir si les femmes doivent acquérir une érudition savante ou, au contraire, si elles peuvent s’en passer. Sans aborder les défenses et critiques de l’érudition en général qui seront discutées dans la partie consacrée à la dimension épistémologique de la Querelle d’Homère, il faut constater que cette problématique semble passionner les lecteurs et contributeurs au Nouveau Mercure galant.

      Dans la livraison d’avril 1715, « un galant homme1 » publie une lettre qui reproduit une discussion probablement fictive et d’abord tranquille, mais par la suite, de plus en plus animée entre deux femmes : une Blonde, la représentante des Anciens dans le dialogue, et une Brune, qui est proche des Modernes. Après quelques échanges de politesse, la Blonde loue Anne Dacier de manière excessive puisqu’elle libérerait les femmes et leur ouvrirait de nouveaux champs d’action : « [S]on exemple [de Dacier] suffit à faire voir l’injustice des hommes qui nous veulent exclurre de la