L'Holocauste: Roman Contemporain. Ernest La Jeunesse. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ernest La Jeunesse
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066077969
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que je t'admire! Je t'admire de ne plus te reconnaître.

      C'est toi, ce corps ferme, altier, c'est toi ces hanches, c'est toi, ces jambes nerveuses! C'est un nouvel être qui se penche, les jambes libres, ce n'est pas la femme de naguère: les femmes n'ont pas de jambes.

      Tu as la finesse et la grâce, la vivacité d'un jeune animal, d'un faon divin. Tu as de la majesté et de la force et la lumière brutale de la lampe t'impose je ne sais quelle brutalité. Viens, viens—que je ne te voie plus!

      Tu ne viens pas.

      La lumière de la lampe tombe sur ta figure. C'est toujours ta bouche lente et rose, ton nez long, droit, d'une courbe secrète et ce sont tes yeux songeurs et moqueurs, tes yeux de dédain et de ciel, qui savent être bruns et pâles et c'est cette énigme de tes sourcils sombres sous tes cheveux blonds.

      Chérie, chérie, voici que la lumière de la lampe court sur tes cheveux et qu'elle les incendie de ses remous changeants.

      Elle ne les incendie pas. Rien ne pourrait incendier, rien ne pourrait varier ta blondeur étrange, comme poudrée et métallisée, ta blondeur bleue et grise, ta blondeur d'aube et de crépuscule. Les passants te trouvent châtain mais c'est un mot si vite dit!

      Tu es blonde, plus blonde, autrement blonde que le reste du monde: oui, je te reconnais maintenant, c'est bien toi, ce sont tes cheveux, tes cheveux dont je me suis enveloppé dans mes insomnies, la Toison d'or, la toison mauve de toutes mes entreprises contre les monstres, le drapeau de mes héroïsmes, la bannière de mon royaume!

      Apporte-moi tes cheveux, donne-moi ta main: tu es bonne, tu m'aimes. Je serai bon et je t'aimerai.

      Et je serai toujours très petit garçon avec toi parce que tu te donnes à moi aujourd'hui: c'est bien, c'est beau; c'est la plus touchante des actions; je ne te ferai jamais de peine.

      J'ai une grosse envie de pleurer, de pleurer sur mes désespoirs qui m'ont corseté si longtemps d'un corset de fer, de pleurer sur mes jeunes ans qui ne t'ont pas connue, de pleurer sur le monde: c'est le bonheur, vois-tu, le bonheur auquel je me confie, qui va m'emporter à la rive et me noyer en son immensité. Je voudrais tes larmes avec les miennes, mais je ne puis te supplier de pleurer: je ne pleurerai donc pas. Et je ne puis pleurer.

      Une ivresse me prend, une ivresse de brute: mes mains âprement saisissent ton corps, ton corps ignoré, mon cœur veut rapidement t'apprendre par cœur—et mon âme...

      Ah! veux-tu, ne parlons pas de mon âme! Laissons nos âmes où elles sont, très loin, pas aussi loin qu'elles le désireraient, convulsées, hagardes, terrifiées devant la frénésie de nos corps! Ah! ah! nos pauvres âmes ne nous savaient pas les jolies brutes que nous sommes. Elles ne nous méprisent pas, non, chérie, elles ne nous méprisent pas, elles ne peuvent pas nous mépriser mais elles nous trouvent un peu violents, un peu avides, d'un tel appétit et nous ruant vers quelles voluptés! Consolez-vous, petites âmes, nous vous reviendrons quand nous serons las et nous vous demanderons votre petite chanson, votre berceuse et votre chant grave aussi, vers les étoiles.

      Et vraiment que nos corps s'ébattent! Est-ce qu'ils nous en demandent même la permission?

      Ah! chérie, ne me demande pas, toi, de te détailler nos courbes et les chaos variés où nous nous perdons tous les deux. Les sursauts, les râles, les petits cris, les petits soupirs, les baisers qui montent et qui descendent, les morsures... Soyons des brutes, des brutes. Ah! chérie, je ne puis même pas te demander pardon de te mordre: je te mords très naturellement et j'ai un rugissement de lion timide, un rugissement qui s'étrangle et qui dure, le ricanement d'une bête sur sa proie et je te pétris pour te faire plus mienne et je m'irrite sur ta chair, ta chair qui fait grincer ma bouche, qui soufflette ma chair de sa fuyance, de son retour, d'un mouvement incessant de recul, d'approche, de son électricité, de sa lenteur, de son abandon et de sa révolte.

      Les mots m'ont laissé là et toi aussi.

      Une seule phrase nous tient et nous balance en son infini «je t'aime... je t'aime...» et cette phrase n'a plus rien d'humain, onomatopée, c'est un cri de bête «je t'aime... je t'aime...»

      Ta main erre sur ma joue comme la main d'une petite sœur sur la joue d'un petit frère, plus petit, et je m'enivre à blesser ma paupière de la ténuité aiguë et soyeuse de tes cils.

      Aime-moi, aime-moi, petite sœur... suis-je bête, que fais-tu alors? Aime-moi, petite sœur, aime-moi tout de même.

      Que tu m'aimes en ce moment, ce n'est pas une raison de ne plus m'aimer.

      Quelle délicieuse sensation, cette peur de te perdre tandis que je te possède!

      Et tout est délicieux: ma main se joue, s'égare en tes cheveux, en leur lourde fraîcheur; elle les agite comme un fragile hochet et s'en lie pour toujours, elle en couvre ton front, ta joue, tes épaules, t'en fait mille voiles, mille cadres à tes yeux.

      Tu veux parler?

      C'est pour me forcer à boucher ta bouche de ma bouche.

      Je ne parle pas. Fais comme moi. «Je t'aime... je t'aime...» Et à nous deux nous faisons, n'est-ce pas? un bon petit néant. Un petit néant grand comme l'univers et plus grand puisque c'est tout l'amour de l'univers.

      La lampe a disparu, le lit s'est dérobé: nous sommes en une poudre d'étoile, en une molle buée de ciel, nous sombrons en un gouffre de beauté.

      Nous allons parler maintenant; de notre cher néant, des mots et des paroles, des vers vont monter, à peine, d'abord, comme une apparition de sainte, puis vont se précipiter comme un torrent lumineux: nous allons dire ce qu'on appelle des riens et nous allons nous passer notre âme, en fraude, dans des mots vides.

      Et nous allons dormir peut-être, la main dans la main, comme des écoliers de l'école de Silence, comme des anges qui, au retour de l'exil, se rappellent peu à peu comment on doit dormir pour faire plaisir au bon Dieu.

      Les rêves sublimes sont là, tout près; les jolis rêves se préparent, sur le bout du pied, les yeux grands ouverts à mesure que nos yeux se ferment, les rêves immenses se déploient sans bruit pour nous surprendre, ils vont envahir notre horizon et danser—sur nous, autour de nous,—la sarabande des espoirs, la ronde des ambitions satisfaites, le galop de la grandeur et de la puissance.

      Fermons les yeux, chérie, fermons les yeux sur les si récents, sur les impérissables souvenirs qui, de nos corps, se distillent en nos cœurs et qui, comme une source de joie, emplissent jusqu'au bord la coupe de nos âmes, car nos âmes sont revenues, oui, Madame, et s'étirent et se remettent à vibrer—pas très fort—comme une belle fanfare, comme une gentille harpe. Ah! les mutines! Tu ne sais pas ce qu'elles font? Elles se content et content nos étreintes, en font une cantate, les traduisent en langage céleste, en font de l'idéal, tel quel, et c'est céleste, c'est admirable, c'est divin. Et puis si ça vous amuse...

      Bonsoir, nous allons dormir.

      Eh quoi? qui se dresse à mes côtés? qui s'effare?

      C'est toi, toi, chérie? Tu ne t'endors pas. Tu parles?

      Une grande phrase. «Chéri, il faut que je parte. Quelle heure est-il?»

      Partir!

      Partir?

      Pourquoi?

      Ah! mon Dieu, je me rappelle.

      Je ne veux pas me rappeler. C'est trop long. Je sens seulement que je vais pleurer.

      Je ne sais pas l'heure qu'il est, chérie. J'avais une montre, il y a longtemps, quand j'étais tout petit. Elle s'est fatiguée, elle s'est cassée—de n'être jamais à l'heure du collège. Je n'ai plus eu de montre depuis. J'ai attendu les heures et j'ai toujours eu le dernier mot avec elles parce qu'elles avaient moins de patience et moins d'impatience que moi. Elles se vengent. Je te dirai l'heure cependant.

      Il y a autour de cette chambre des gens qui vendent