Les trois hommes en Allemagne. Джером К. Джером. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Джером К. Джером
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066081904
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primitive. Il se mettra à réfléchir à la descente et se dira qu'il nous a beaucoup ennuyés. Il arrivera à le regretter et ensuite à être au désespoir. Il s'adressera des reproches, il se dira: «Je ne suis qu'un mauvais frein; je n'aide pas ces jeunes gens, je les gêne plutôt. Je ne suis qu'un fléau, voilà tout mon rôle.» Et sans crier gare il faussera toute la machine. Vous verrez que c'est ce que fera votre frein. Laissez-le tranquille. Vous êtes un bon garçon, mais vous avez un défaut.

      —Lequel? demanda-t-il indigné.

      —Vous êtes trop confiant. Il vous suffit de lire une réclame et vous avez la foi. Vous avez essayé chaque nouvelle invention que des idiots ont lancée pour le plus grand bien des cyclistes. Votre ange gardien me semble être un esprit capable et consciencieux: il a pu vous protéger jusque-là; suivez mon conseil, ne le surmenez pas. Il n'a pas dû chômer beaucoup depuis que vous faites de la bicyclette. Ne le rendez pas fou!

      —Si tout le monde pensait comme vous, on ne réaliserait plus aucun progrès dans aucune branche de la science. Si jamais personne ne mettait à l'essai les inventions nouvelles, le monde finirait dans la stagnation. C'est justement par...

      —Je connais tous les arguments pour, interrompis-je. Soit, je ne vous désapprouve pas entièrement: expérimentez des inventions jusqu'à l'âge de trente-cinq ans: mais après trente-cinq ans, l'homme doit penser à lui-même. Vous et moi, nous avons fait notre devoir de ce côté-là; vous spécialement. Vous avez été projeté en l'air par une lanterne à gaz brevetée.

      —Je crois vraiment, objecta-t-il, que c'est arrivé par ma faute: j'aurai trop serré la vis.

      —Je veux admettre que, s'il existe un moyen de maltraiter un objet, c'est bien votre manière de vous en servir: vous n'avez pas la main heureuse, vous embrouillez les choses. Vous devriez tenir compte de votre fâcheuse habitude, elle donne du poids à mon argument. Moi, je n'avais pas prêté attention à vos gestes; je me rappelle seulement que nous étions en train de pédaler tranquillement et agréablement sur la route de Whitby, tout en discutant de la guerre de Trente ans, quand votre lanterne explosa avec le bruit d'un pistolet. Le coup me fit rouler dans le fossé, et je n'oublierai jamais la tête de votre femme quand je lui conseillai de ne pas s'effrayer parce que les deux hommes qui vous portaient allaient vous monter dans votre chambre, et que le docteur serait là dans une minute et amènerait l'infirmière.

      —Je regrette que vous n'ayez pas pensé à ramasser la lanterne. J'aurais bien voulu approfondir la cause de l'explosion.

      —Je n'avais pas le temps de ramasser la lanterne. D'après mes calculs, il m'aurai bien fallu deux heures pour en rassembler les débris. Quant à la raison de son explosion, eh bien, le seul fait d'avoir été présentée comme la lanterne de sûreté par excellence devait déjà éveiller chez tout autre que vous l'idée d'un accident possible. Puis il y eut cette lanterne électrique...

      —Celle-là éclairait vraiment bien, vous le disiez vous-même.

      —Elle a merveilleusement éclairé tant que nous fûmes dans Kings Road à Brighton, ripostai-je; elle a même effrayé un cheval, mais une fois dans l'obscurité, après Kemp Town, elle s'éteignit et on vous dressa contravention parce que vous pédaliez sans lanterne. Vous vous rappelez bien que certains après-midi vous vous promeniez en plein soleil, cette lanterne brillant de tout son éclat. Quand arrivait l'heure de l'allumer, elle était naturellement fatiguée: il lui fallait du repos.

      —Elle était un peu agaçante, cette lanterne-là, murmura-t-il; je m'en souviens.

      —Elle m'irritait, moi; à plus forte raison vous. Ensuite il y a les selles..., poursuivis-je, car je voulais arriver à l'impressionner. Existe-t-il une selle dont vous ayez entendu parler sans avoir senti l'obligation de l'essayer?

      —Selon moi, la selle parfaite n'a pas encore été trouvée.

      Je lui conseillai de n'y pas rêver:

      —Nous vivons dans un monde imparfait où la joie est mêlée de tristesse. Il se peut qu'il existe un monde meilleur où les selles de bicyclette sont tendues sur des arcs-en-ciel et rembourrées avec des nuages. Ici-bas il faut tâcher de s'habituer à la dure. Vous aviez acheté une selle à Birmingham: elle était divisée par le milieu et ressemblait à une paire de rognons.

      —Vous voulez parler de cette selle qui était construite d'après les données anatomiques?

      —Très probablement. Vous l'aviez achetée enfermée dans une boîte sur le couvercle de laquelle était représenté un squelette assis ou plutôt la partie du squelette qui sert à s'asseoir.

      —C'était un dessin très correct: il vous démontrait la position véritable du...

      —N'entrons pas dans ces détails; cette image m'a toujours semblé peu délicate.

      —Elle était exacte au point de vue médical, insista-t-il.

      —Possible, pour qui pédalait vêtu simplement de ses os; mais je le sais, car je l'ai essayée moi-même, c'était une sensation atroce pour qui est habillé de chair. Chaque fois qu'on passait sur une pierre ou dans une ornière, cette selle vous picotait; autant s'asseoir sur une langouste en colère. Vous vous en êtes servi pendant tout un mois!

      —Je ne trouvais que juste de lui faire subir une épreuve loyale.

      —Vous avez, en même temps, soumis votre famille à une dure épreuve. Votre femme m'a avoué que jamais depuis son entrée en ménage elle ne vous avait connu de si mauvaise humeur, si mauvais chrétien. Et puis vous vous rappelez bien cette autre selle, qui était à ressort?

      —Vous voulez parler de la «Spirale».

      —Je veux parler de celle qui vous projetait en l'air comme un diable dont on ouvre la boîte: il vous arrivait de retomber à la bonne place, mais quelquefois à côté. Je ne parle pas de tout cela pour évoquer de mauvais souvenirs, mais je veux vous faire comprendre que c'est folie à votre âge de vous livrer à de nouvelles expériences.

      —Je voudrais bien, protesta-t-il, que vous ne revinssiez pas tout le temps sur mon âge. Un homme de trente-quatre ans!

      —Un homme de combien?

      Il dit:

      —Si vous n'en voulez pas, n'en achetez pas. Mais si votre machine s'emballe dans une descente rapide et vous projette, George et vous, à travers le toit d'une église, ne vous en prenez qu'à vous-même.

      —Je ne peux m'engager pour George, un rien le met parfois en colère. Si un accident de ce genre nous arrive, il s'irritera peut-être; mais je vous garantis que je lui expliquerai que vous n'y êtes pour rien.

      —Est-il en bon état?

      —Le tandem? Il se porte bien.

      —L'avez-vous vérifié?

      —Je ne l'ai pas vérifié, mais personne ne le vérifiera non plus. La machine est prête à marcher et on n'y touchera pas jusqu'à notre mise en route.

      J'ai déjà eu à souffrir des vérifications. J'ai connu un homme à Folkestone. Je l'avais rencontré sur le turf. Il me proposa un soir de l'accompagner le lendemain dans une promenade à bicyclette et j'acceptai. Je me levai de bonne heure (il me fallut faire un effort) et je fus content de moi. Il arriva avec une demi-heure de retard, je l'attendais au jardin. La journée était magnifique.

      —Quelle belle machine que la vôtre! me dit-il. Comment fonctionne-t-elle?

      —Euh! répondis-je, comme la plupart des machines: assez facilement dans la matinée: un peu plus durement après le déjeuner.

      Il la saisit entre la roue d'avant et la fourche et la secoua avec violence.

      —Ne faites pas cela, récriminai-je, vous allez l'abîmer.

      Je ne voyais en effet pas pourquoi il l'aurait secouée, elle ne lui avait rien fait. Et si vraiment, elle avait besoin d'être secouée, c'était à