C’est ainsi qu’il initia son éducation sexuelle, la consolidant, comme toute discipline qui se respecte, par la théorie (se procurant quelques textes considérés comme formellement interdits par ses précepteurs) et par la pratique (provoquant des émois et des remises en question chez plus d’une jeune novice).
Il connut son premier rapport sexuel complet avec Elisa di Giacomo, la fille aînée d’un palefrenier de leur domaine. De deux ans plus âgée, la belle Elisa accompagnait volontiers Tristano pour de longues promenades sur les sentiers de montagne, envoûtée par ses histoires, ses projets … et ils finissaient inévitablement par faire l’amour dans une cabane ou un refuge de la région.
Un jour de vendange où ils s’étaient ainsi isolés, un petit groupe de soldats étrangers arrivant au galop, surgit à l’improviste au beau milieu de la fête. Ils écartèrent les journaliers et les badauds affolés et s’arrêtèrent devant l’alcôve rurale pour l’encercler. Le plus haut gradé, vêtu d’une armure scintillante jamais vue dans ces parages, descendit de cheval, retira son heaume et, forçant la porte d’un coup de pied, créant l’embarras le plus total chez les tourtereaux stupéfaits, fit irruption :
« Tristano Licini de’ Ginni ? »
« Oui monsieur, c’est moi », répondit le jeune homme, récupérant à la hâte son pantalon et cherchant de son corps semi-dénudé à faire rempart à sa compagne terrifiée, « mais qui êtes-vous mon seigneur ? »
« Mon nom est Giovanni Battista Orsini, Seigneur de Monte Rotondo. Rhabillez-vous ! Vous devez me suivre immédiatement à Rome. Votre grand-père a déjà été informé et a donné son consentement à votre départ de ces lieux, pour vous transférer le plus rapidement possible dans la demeure de mon noble oncle, Sa Seigneurie Eminentissime et Révérendissime, le cardinal Orsini. Ma mission est de vous escorter, par la force si nécessaire, jusqu’à sa sainte personne. Je vous prie, n’opposez aucune résistance et suivez-moi. »
Et ainsi, arraché à son microcosme provincial où il avait trouvé son équilibre, à seulement quatorze ans, Tristano quitta pour toujours ces pauvres terres de confins, pour arriver, puis devenir un homme, dans l’opulente cité que Dieu avait élue comme son Siège sur la Terre, la ville éternelle, l’Urbs des César, la caput mundi …
Après sept jours d’un voyage éreintant, il arriva épuisé dans la demeure du cardinal à Monte Giordano ; le jeune garçon fut tout de suite confié aux soins d’un serviteur et peu après conduit auprès de l’Illustrissime Cardinal Latino Orsini, représentant de premier plan de la faction romaine des Guelfes, suprême camerlingue et archevêque de Tarente, en outre évêque de Conza et archevêque de Trani, archevêque d’Urbino, cardinal évêque d’Albano et de Frascati, administrateur apostolique de l’archidiocèse de Bari et Canosa et du diocèse de Polignano, et encore Seigneur de Mentana, Selci et Palombara, et caetera, et caetera …
En s’y rendant, Tristano scrutait les regards sévères des bustes de marbre des illustres ancêtres de cette noble lignée, dressés sur des consoles décorées de protomes de lions et de roses, symboles distinctifs des Orsini. Dans son esprit montait en flèche une myriade d’interrogations qui se poursuivaient et se chevauchaient.
Il traversa un salon, avec ses fenêtres rythmées par des lésènes, surmontées de frontons curvilignes ornés de têtes de lion, pommes de pin, aigles couronnés, couleuvres des Visconti, etc. … qui lui parut immense.
Son Eminence se trouvait dans son étude poussiéreuse, occupé à signer des dizaines de paperasses que deux jeunes diacres imberbes lui présentaient avec un rituel savoir-faire.
A peine eut-il noté la présence du jeune homme qu’il leva lentement la tête en se tournant légèrement vers l’entrée ; posément, le regard fixé sur l’adolescent et le coude sur la table, il leva l’avant-bras gauche, la paume de sa main ouverte, pour interrompre son assistant dans le passage d’un autre document. Il se leva et s’approcha sans hâte du nouvel arrivant, comme s’il cherchait l’angle le plus favorable pour en apprécier au mieux les traits ; il lui caressa le visage avec bienveillance, s’attardant sur son menton.
« Tristano », murmura-t-il … « enfin, Tristano.”
Une main posée sur sa tête, de l’autre il lui donna sa bénédiction en traçant vaguement un signe de croix dans l’air.
Le garçon, malgré un mélange de crainte et de sujétion, l’observait fixement pour scruter chacune des expressions de sa bouche et de ses yeux qui puisse dévoiler de quelque manière la raison de ce transfert