Brancas; Les amours de Quaterquem. Assollant Alfred. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Assollant Alfred
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066085797
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      «Vieilleville est d'ailleurs un très joli séjour, où tu trouveras en abondance tout ce que les Parisiens vont chercher en Suisse et dans la Forêt-Noire. La ville est située sur le penchant d'une colline, à l'entrée de la plaine, près d'une petite rivière qui va se jeter dans la Loire. Le pays est un des plus fertiles de France, et le paysage, lorsqu'on entre dans les gorges qui aboutissent à la ville, du côté de l'ouest, est aussi désert, quoique moins sauvage, que la vallée de l'Arve et les environs de Chamounix. Tu pourras y rêver à l'aise si c'est ta fantaisie.

      «Les habitants sont les meilleures gens du monde. Assez d'esprit, peu de méchanceté, un grand soin de leur enveloppe charnelle, nulle étude du passé, nul souci de l'avenir, une avarice admirable qu'ils décorent du nom de sage économie, voilà les traits qui distinguent la race. Vrais bourgeois du siècle passé, qui seraient honteux de dépenser le tiers de leur revenu. Au reste, point de goût pour les aventures de la guerre et de l'industrie, fuyant tous les hasards, hormis ceux du loto et (les plus téméraires) ceux du baccarat, ils vivent heureux, serrés les uns contre les autres comme un tas de Ripainsels. Caïus-Gracchus, qui fut leur chef et leur modèle, prétendait qu'en dix-huit siècles, il ne s'est pas perdu une épingle dans tout l'arrondissement. J'en crois le bonhomme, car il s'y connaissait.

      «Adieu, mon cher ami, je t'attends au plus tard vers le 15 mai. Ma maison, qu'on appelle ici château, est meublée à la mode du pays: c'est-à-dire que le meilleur du mobilier est dans la cave. Mes pères m'ont laissé force purée septembrale, comme dit Rabelais, et des meilleurs crus. Je laisse aux gens du pays le soin de boire le vin de leurs vignobles, et j'envoie le mien à Paris; mais je garde pour mes amis quelques milliers de bouteilles d'un vin de Bourgogne qui ne déparerait pas la table du roi Louis-Philippe. Quant à ma cuisinière, elle a servi dix ans l'évêque d'A..., et tu connais la délicatesse ecclésiastique.

      «Salut et fraternité,

      «ATHANASE RIPAINSEL.»

      Tout Paris a connu Charles Brancas, le héros de cette histoire. Grand, bien fait, de belle structure, d'un visage intelligent et doux, presque célèbre à trente ans, assez riche pour ne pas voir de bornes à son ambition, assez désintéressé pour faire un choix parmi les moyens de pousser sa fortune, il était dans ce milieu admirable qui fait l'envie des sages. Un certain goût pour le romanesque et l'imprévu, dont rien n'avait pu le défendre, ne dérangeait pas trop ce bel équilibre de qualités naturelles ou acquises.

      Comme il réfléchissait, son oncle entra. M. Louis Graindorge, fonctionnaire prudent, était l'un des plus parfaits modèles de cette race heureuse et placide qui sert avec un dévouement inébranlable toutes les dynasties et toutes les républiques. Il était né fonctionnaire, et il fonctionnait de son mieux, à vingt mille francs par an, toujours médiocre et toujours loué de ses chefs qui ne craignaient pas sa supériorité; au reste, inoffensif et facilement abordable, s'il n'eût été trop fier d'assister le roi en son conseil.

      «Eh bien, dit-il en posant son chapeau, c'est une affaire conclue.

      —Quelle affaire?

      —Ton mariage, parbleu!

      —Je me marie donc? cher oncle; il fallait me prévenir plus tôt; je n'ai pas eu le temps de faire ma barbe. Avec qui, s'il vous plaît?

      —Avec Mlle Oliveira.

      —Une blonde?... Euh!

      —Un million de dot! deux millions d'espérances!

      —Oui, mais une blonde!

      —Vingt ans.

      —Une blonde!

      —Des yeux de saphir.

      —Une blonde!

      —Un nez retroussé et gracieux qui n'a pas son pareil.

      —Une blonde!

      —Des lèvres de rose, des dents blanches, un sourire charmant et le plus heureux caractère.

      —Ah! cher oncle! une fille si parfaite doit être bègue ou bossue?

      —Ni bègue ni bossue.

      —Déjà! Vous menez rondement les choses, cher oncle.

      —Parbleu! la vie est si courte! Au reste, rien n'est plus facile que de me désavouer et de n'être pas député.

      —Plaît-il? Que dites-vous?

      —Je dis qu'il est facile de n'être pas député.

      —Le père Oliveira est donc député?

      —De l'arrondissement de Vieilleville, oui, mon cher.

      —Ah! de Vieilleville... Et il céderait la députation à son gendre?

      —Par contrat de mariage passé devant notaire, oui, mon enfant.

      —Et les électeurs ratifieraient le contrat?

      —Je voudrais bien que quelqu'un d'eux le trouvât mauvais! Dès demain, le chemin de fer qu'on leur a promis, et qui, grâce aux savantes combinaisons de l'ingénieur, doit traverser tout l'arrondissement, ne passerait plus qu'à dix lieues de là. Plus de garnison, point de lycée; Vieilleville serait traité comme un chef-lieu de canton. Conçois-tu la douleur des honnêtes cabaretiers et marchands d'avoine de Vieilleville, si la clientèle de deux cents hussards et de leurs chevaux venait à leur manquer? Ce serait une vraie catastrophe.

      —Oliveira s'ennuie donc beaucoup de sa députation ou de sa fille?

      —Pas le moins du monde. C'est un homme prévoyant, qui veut se mettre à l'abri des coups du sort et des caprices du scrutin. Il a promesse du roi d'être fait pair de France dans la première fournée, et il grille de s'asseoir parmi les ducs et les comtes de la fabrique de Napoléon ou de ses prédécesseurs.

      —Eh bien! dit l'avocat, je réfléchirai.

      —Tu réfléchiras! Crois-tu qu'il soit si aisé de rencontrer ensemble une dot d'un million et un mandat de député? Réfléchir! Crois-tu qu'Oliveira soit en peine de marier sa fille? Je connais un petit duc, malmené par les révolutions et par le lansquenet, qui la ferait volontiers duchesse; mais Oliveira craint de jouer chez son gendre le rôle de père aux écus, qu'on exploite et dont on rit, et il s'est déclaré contre le faubourg Saint-Germain.

      —Diable! mon futur beau-père ne manque pas de bon sens.

      —Tu acceptes donc?

      —Est-ce que je puis vous refuser quelque chose, cher oncle?

      —Et tu te souviendras toujours que je t'ai mis la députation à la main?

      —Jusqu'à la consommation des siècles. Mais quel besoin pouvez-vous avoir de moi? N'êtes-vous pas riche, n'êtes-vous pas bien en cour? Que vous reste-t-il à désirer?

      —Une misère, à laquelle je ne tiens que pour avoir la paix dans mon ménage; mais ta tante le veut, et je n'ose rien lui refuser.

      —Voyons cette misère.

      —Une commanderie dans la Légion d'honneur et la présidence d'une section du conseil d'État; ma femme prétend que cela fait bien au bas d'une carte.

      —Eh bien, cher oncle, ce n'est pas cela qui nous empêchera d'épouser Mlle Oliveira aux yeux de saphir. Mais est-ce à moi de distribuer des croix et de régler les rangs au conseil d'État?

      —Pourquoi non? Tu parles comme un Démosthènes et tu sais te faire entendre. Crois-tu que ce soit un mérite si commun à la Chambre des députés? Va, va, je connais plus d'un ministre qui serait en peine d'en faire autant. Si tu veux seulement nouer ta cravate avec moins de négligence, ne faire aucun geste, n'être ému de rien, avoir la tête et les yeux dans la position du soldat sans armes (les yeux à quinze pas devant toi, la tête fixe et mobile), ne te permettre aucune plaisanterie, ce qui choque toujours les niais (c'est-à-dire les trois quarts de toutes les Assemblées), et citer avec respect