Pierre Loti
Le château de La Belle-au-bois-dormant
Publié par Good Press, 2020
EAN 4064066087463
Table des matières
LE CHÂTEAU DE LA BELLE-AU-BOIS-DORMANT
LE GAI PÈLERINAGE DE SAINT-MARTIAL
VIEILLE BARQUE, VIEUX BATELIER
PROCESSION DE VENDREDI SAINT EN ESPAGNE
PRÉFACE POUR UN LIVRE QUI NE FUT JAMAIS PUBLIÉ
QUELQUES PENSÉES VRAIMENT AIMABLES
APRÈS L'EFFONDREMENT DE MESSINE, EN 1909.
PHOTOGRAPHIES D'HIER ET D'AUJOURD'HUI
CEUX DEVANT QUI IL FAUDRAIT PLIER LE GENOU
AVANT-PROPOS
Ceci est un bien petit livre, et sans doute je n'aurais pas dû le publier; il ne semblera tolérable qu'à mes amis, connus ou inconnus.
Que les lecteurs indifférents me le pardonnent, d'autant plus que ce sera le dernier peut-être....
P. LOTI.
LA MAISON DES AÏEULES
Avril 1899.
Combien est singulier et difficilement explicable le charme gardé par des lieux qu'on a connus à peine, au début lointain de la vie, étant tout petit enfant,—mais où les ancêtres, depuis des époques imprécises, avaient vécu et s'étaient succédé!
La maison dont je vais parler,—la maison «de l'île», comme on l'appelait dans ma famille autrefois,—la maison de mes ancêtres huguenots avait été vendue à des étrangers après la mort de mon arrière-grand'mère, Jeanne Renaudin, il y a plus de soixante ans. Quand je vins au monde, elle appartenait à un pasteur, ami de ma famille, qui n'y changeait aucune chose, y respectait nos souvenirs et n'y troublait point le sommeil de nos morts, couchés au temps des persécutions religieuses dans la terre du jardin. Pendant les premières années de ma vie ma mère, mes tantes et grand'tantes, qui avaient passé dans cette maison une partie de leur jeunesse, y venaient souvent en pèlerinage; on m'y conduisait aussi et il semblait que, malgré les actes notariés, elle n'eût pas cessé de nous appartenir, par quelque lien secret, insaisissable pour les hommes de loi.
Ensuite, nous nous étions peu à peu déshabitués d'aller dans l'île,—où, d'ailleurs, les dernières de nos vieilles tantes étaient mortes,—et je n'avais plus revu l'antique demeure.
Mais je ne l'avais point oubliée, et il restait décidé au fond de moi-même que je la rachèterais un jour, quand le pasteur, qui l'habitait depuis si longtemps, y aurait achevé son existence d'apôtre.
Tout arrive à la longue: depuis une semaine, j'ai signé l'acte qui me rend possesseur de ce lieu ancestral. Et aujourd'hui, pour le revoir après plus de trente années, je pars de Rochefort avec mon fils, un matin pluvieux d'avril.
Mon fils n'y est jamais venu, lui, dans l'île; depuis quelques jours à peine il a commencé d'en entendre parler,—et, cependant, sous je ne sais quelles influences ataviques, sa petite imagination de dix ans s'est étrangement tendue vers ce pays et cette demeure où je vais le conduire.
La pluie tombe incessante d'un ciel noir. Nous roulons d'abord en chemin de fer dans les plaines d'Aunis, dont les grands horizons monotones confinent à l'Océan. Arrivés ensuite au port où l'on s'embarque, sous une ondée plus furieuse, nous courons nous enfermer, sans rien voir, dans la cabine d'un bateau. Et, la courte traversée accomplie, nous remettons pied à terre, devant des remparts gris: c'est le Château, la première ville d'Oleron. Mais il pleut si fort que cela finit par noyer toute pensée, toute émotion de retour; les choses de l'île me semblent étrangères et quelconques.
On