Mais ne fouillons pas dans les secrets de vôtre coeur, j'y consens; égalons-nous pour la bonté des intentions. Il est sûr néanmoins qu'à l'égard de l'état ou nous sommes & vous & nous, & d'où nous tâchons de nous retirer les uns les autres, le mal que vous croyez que nous voulons vous faire, est bien moindre que celui que nous apréhendons de vôtre part. Laissant dans l'indécision la certitude des suplices éternels, n'est-il pas vrai que la crainte vive & certaine que nous en avons, est beaucoup plus sure que la crainte, ou si vous voulez, le soupçon que vous devez avoir, que ce l'on en dit pourroît bien être véritable? L'une nous porte à faire nos éforts pour les éviter; elle diminue à mesure que ces éforts redoublent, & nous fait dire enfin: Je craignois, mais je ne crains plus, & je sai que je ne dois plus craindre. L'autre vous porte à faire de nouveaux éforts pour en éloigner la pensée, ou pour les croire chimériques; mais elle ne diminue jamais assez pour vous faire dire avec une parfaite confiance; Je craignois, mais je ne crains plus, & je sai que je n'ai plus rien à craindre.
Mais à quoi bon, direz-vous, cet éfroi où vous voulez nous jetter? Sont-ce là les armes de vôtre Religion? Est-ce ainsi que la vérité se persuade?
Il nous est rude, n'en doutez pas, de vous présenter des motifs de frayeur, pendant que nous en avons d'autres qui ne respirent que douceur, que joye, & que tranquillité. Il nous est rude d'être obligez de vous ébranler par la crainte, pendant que nous croyons avoir de quoi vous ébranler par le poids & par la force des raisons. Ne prenez pas cela comme des menaces de personnes poussées à bout, & à qui les raisons manquent: prenez-le au contraire, comme un avis plein de tendresse, que nous suggérent vôtre persévérance dans une voye qui nous fait peur, & le peu de succès de nos autres armes. Si nous voulons vous éfrayer, c'est parce que nous tremblons les premiers pour vous. Nous souhaiterions avec ardeur de porter ces craintes jusques dans vos consciences, & de vous communiquer un peu de nôtre repos par les mêmes voyes, par lesquelles nous l'avons aquis.
Mon dessein n'est pas de disputer ici: c'est de vous parler en frère touché de vôtre état. Au nom de Dieu, faites y avec moi quelques réflexions: vous sur tout qui n'êtes ni Athées, ni Chrétiens.
N'oserois-je pas vous prier de rentrer encore un peu en vous-mêmes, & d'éprouver si vous ne vous acommoderiez pas de la Religion Chrétienne? Détournez un moment les yeux de dessus ce que vous regardez comme son foible, ou regardez-le avec un peu moins de prévention, & un peu plus d'équité. Suposez un peu, par une espéce de concession, que la Divinité ait voulu se révéler par une autre voye que par celle de ses Ouvrages; n'auroit-elle pas bien pu trouver à propos de laisser la plus considérable partie des hommes dans l'ignorance du salut puis qu'elle ne peut rien devoir à l'homme, encore moins à l'Idolatre? N'auroit-elle pas même pu mettre dans cette Révélation plusieurs choses capables de faire de la peine à l'esprit, aussi bien qu'elle en a pu mettre dans la Nature? Voyez si cela ne pourrait pas un peu diminuer la surprise, que vous causent les obscuritez de l'Écriture. Voyez si en ce cas la Divinité n'eût pas pû user de quelque retenue, pour ainsi dire, & de quelque ménagement dans la dispensation de ses lumières; se cacher pendant long tems sous des voiles, qui ne laissoient qu'entrevoir ses desseins, se raprocher en suite de nous par des voyes extraordinaires; employer à cela des gens qui n'avoient presque rien qui les distinguât, que leur grossiéreté & leur simplicité. Voyez si elle n'auroit pas pu permettre ce grand nombre de sentimens oposez, parmi ceux qui font profession de s'en tenir à sa parole. Voyez si elle n'auroit pas pu se passer de parler avec cette derniére évidence, qui réunit tous les esprits, & qui bannit tout doute & tout diférent.
Pour vous engager un peu à suposer que Dieu pouvait bien ajouter à la Nature une Révélation expresse, & à la Loi du coeur une Loi écrite, considérez s'il a pu se contenter de toutes les diférentes maniéres, dont les hommes le servent; s'il a pu lui être indiférent de se voir comme multiplié dans toutes les Divinitez des Payens, & si les idées grossiéres & ridicules qu'ils ont eues de lui, ont pu lui être suportables. Que jugeriez-vous d'un tas d'Ignorans, qui, suposant en gros qu'ils vous doivent beaucoup de vénération & d'estime, n'auroient de vous que des pensées basses & directement contraires à celles qui doivent imprimer du respect? Si Dieu n'a pu qu'être choqué de ces extravagances, n'auroit-il pas plus agréé le Culte Judaïque, qui sous un extérieur charnel renfermoit les idées les plus magnifiques que l'on puisse avoir de lui, les plus capables, par conséquent, d'exciter dans l'homme, l'amour, le respect, la confiance, & l'adoration? Ne trouveroit-il pas encore dans le Culte que les Chrétiens lui rendent, quelque chose de plus digne de lui: & ainsi, y auroit-il trop de témérité dans la suposition que nous exigeons de vous? Mais je vais plus loin. Si nous pensons mieux de lui, que toutes les autres Religions, seroit-ce le hazard qui nous auroit fait naître ces pensées? D'où nous viendroit ce rafinement de Culte & de sentimens, si peu connu dans les autres Religions? Dieu ne s'en seroit-il pas un peu mêlé, & n'y auroit-il pas, dès là, quelque vraisemblance dans l'histoire que nous faisons de la manière dont il l'a fait? Ne pourriez-vous pas remarquer que, dans le tems où l'Idolatrie étoit montée à son comble, & que tout alloit à déifier sans façon la Grandeur & l'Autorité, quelque deshonorée qu'elle fût par le déréglement des moeurs, c'est nôtre Religion seule qui a arrêté ces excès, fait remonter Dieu sur le Trône, & remis l'homme dans le rang qu'il doit tenir? Ne pourriez-vous pas enfin reconnoître, que ces hautes idées que vous croyez avoir de Dieu indépendamment de la Religion, sont dans le fond des fruits de la Religion même, puis que les lumières des plus habiles de ceux qui n'ont eu autrefois que la Nature pour guide, n'étoient presque rien au prix de celles que vous avez, & qu'étant nez plusieurs siécles après la Religion, vous avez été élevez par ses mains à ces grands sentimens, & à ces belles connoissances.
Si ces réflexions pouvaient un peu diminuer la mauvaise opinion que vous avez du Christianisme, je vous exhorterois ensuite de tout mon coeur, d'éprouver, si entrant dans nos sentimens, & vous soumettant, comme par provision, à ce que l'Écriture nous prescrit, & pour la Foi & pour la Vertu, vous ne pourriez pas venir jusqu'au point de sentir ce que tant de personnes, des lumières de qui vous convenez, se vantent de sentir; si vous ne pourriez pas trouver que nôtre joug est doux, & que nôtre fardeau est léger; si la complaisance que vous auriez eue de mettre à part pour quelque tems les dificultez de l'Écriture, de plier sous ses véritez & de vous assujettir à ses Loix, ne seroit pas ensuite sufisamment récompensée par une véritable tranquillité, & si enfin vous ne viendriez pas à faire par goût & par discernement ce que vous auriez commencé par une espéce d'honnêteté & de condescendance.
Je n'ai pas dessein de vous surprendre par des interrogations captieuses. Je vous ferois en cela moins de tort qu'à nous. C'est mon coeur qui parle & qui parle au vôtre. Après tout, qu'est-ce que vous auriez à craindre? Vous avez toûjours la voye du retour, si le chemin où je vous veux engager n'a rien qui puisse vous plaire. Dieu veuille que vous y entriez, & que vous y persévériez: Dieu veuille ajoûter aux preuves de nôtre sainte Religion, dont l'évidence n'a pu encore vous fraper, ce secours puissant, qui plie les coeurs les plus inflexibles, qui fait rompre les plus durs, mais qui